Dans la grisaille d'un quotidien politique bloqué par la volonté d'un homme qui croit ainsi servir son pays, l'escalade contrôlée entre le courant du Futur et le Hezbollah a représenté hier la seule note animée.
Accusé de faire le jeu d'Israël par un Wi'am Wahhab outrancier comme toujours, Fouad Siniora comprend ces attaques comme des tentatives d'intimidation qui précèdent sa comparution comme témoin devant le Tribunal spécial pour le Liban (TSL), à La Haye.
Ce n'est pas impossible. Les témoignages politiques les plus accablants continuent en effet d'être apportés, à La Haye, contre le régime syrien, et le président Bachar el-Assad en personne, et contre le Hezbollah, dans le cadre des preuves conjoncturelles d'une possible implication du régime syrien dans le complot pour l'élimination de Rafic Hariri.
Ce qui rend ces témoignages encore plus troublants – et convaincants –, c'est bien ce qui se produit en Syrie en ce moment et le sort que le régime syrien semble avoir fait à Rustom Ghazalé, qui a régné en maître sur les services de renseignements syriens au Liban, au temps de la gloire de Rafic Hariri.
Pour beaucoup d'observateurs, le régime syrien élimine l'un après l'autre les hommes qui en savent trop sur les commanditaires et les exécutants de l'assassinat de Rafic Hariri.
En outre, selon un ancien député, le régime syrien a fini par faire assassiner l'ancien Premier ministre parce qu'il craignait l'étoile montante d'un homme qui avait l'envergure d'un véritable homme d'État.
Indirectement, assure la source citée, l'ancien vice-président syrien, Abdel Halim Khaddam, a précipité la mort de Rafic Hariri en se laissant prendre au jeu d'une alternative possible à la dictature des Assad, ce qui avait éveillé les soupçons de ces derniers.
(Lire aussi : Ghazi Youssef au TSL : Hariri voulait signifier à ses adversaires qu'il ne plierait pas devant les intimidations)
Ce qui se passe à La Haye n'est d'ailleurs pas étranger à ce qu'on a qualifié jeudi de « prise de bec » en Conseil des ministres entre Achraf Rifi et Mohammad Fneich. Le ministre de la Justice, apprend-on, n'a pas mâché ses mots et a reproché directement à ses collègues du Hezbollah de faire obstruction à la justice internationale, en refusant de livrer les quatre ou cinq suspects que le TSL accuse d'être impliqués dans l'exécution de l'assassinat.
Voyant la discussion s'animer et les contre-accusations pleuvoir sur son collègue de la Justice, Boutros Harb lui a prêté secours en s'interrogeant à haute voix sur les raisons pour lesquelles le Hezbollah continue de protéger l'homme identifié comme étant l'un des sbires qui tentait de trafiquer l'ascenseur de son immeuble, sans doute pour provoquer sa mort dans la cabine.
Ces discussions parallèles aux audiences du TSL qui sont échangées en Conseil des ministres ne sont pas l'un des moindres paradoxes de la phase politique que traverse le pays. Une période où les soupçons doivent – unilatéralement – être endormis, au nom d'une raison d'État qui a décidé que la priorité absolue va à la stabilité et à la sécurité. Ce qui n'empêche pas certains, au sein du 14 Mars, de craindre quand même que des assassinats soient perpétrés, pour parachever le travail d'élimination de l'élite commencée en 2005.
Dans le cadre des manifestations de solidarité que reçoit ces jours-ci Fouad Siniora, Nadim Gemayel a rendu visite hier au chef du bloc parlementaire du Futur.
Parallèlement, le ministre de la Défense a signé hier le décret prorogeant de six mois (jusqu'au 20 septembre 2015) la date du départ à la retraite du général Edmond Fadel, chef des renseignements militaires, une mesure augurant de décisions similaires dont bénéficieraient notamment le général Jean Kahwagi, dont le mandat à la tête de l'armée expire le 23 septembre prochain.
Ainsi, en dépit d'un abcès qui continue de suppurer en secret, la vie politique ordinaire se poursuit, au nom du principe de la continuité des institutions, ainsi que les dialogues internes entre, d'une part, le Hezbollah et le courant du Futur et, d'autre part, les alliés de ces deux courants, le Courant patriotique libre et les Forces libanaises. Alors qu'on en est à envisager, côté musulman, à démanteler les drapeaux, banderoles et portraits délimitant les zones urbaines d'influence des deux camps sunnite et chiite, les Forces libanaises et le CPL peaufinent une déclaration d'intention commune qui prouverait qu'ils se sont parlé et ont progressé sur des questions de fond, mais ne réglerait pas la question en suspens de la présidentielle. Pour leur fête, aujourd'hui, les mères du Liban n'auront donc droit, politiquement, qu'à la grisaille habituelle.
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commentaires (9)
Triste de voir le pays se balancer dans un vide effarant . On ajourne les crises faute de solutions .
Sabbagha Antoine
15 h 37, le 21 mars 2015