L'ambiguïté dont a fait preuve jusque-là la diplomatie américaine par rapport à Bachar el-Assad est-elle en passe d'être levée ?
La déclaration pour le moins surprenante du secrétaire d'État américain, John Kerry, au quatrième anniversaire, jour pour jour, du soulèvement syrien, sur la nécessité pour l'administration US de négocier avec le président syrien afin de mettre fin au conflit en Syrie, semble inaugurer une nouvelle ère dans la politique de Washington dans la région.
« Au final, il faudra négocier. Nous avons toujours été pour les négociations dans le cadre du processus (de paix) de Genève I », a ainsi déclaré hier M. Kerry dans une interview diffusée sur la chaîne CBS, ajoutant que Washington travaillait d'arrache-pied pour « relancer » les efforts visant à trouver une solution politique au conflit. « Si Assad est prêt à engager des négociations sérieuses sur la façon d'appliquer Genève I, bien sûr, a répondu M. Kerry lorsque la journaliste lui a demandé s'il était disposé à parler au président syrien. Nous l'encourageons à le faire. »
La nouvelle attitude de Washington vient s'aligner de toute évidence sur celle exprimée il y a un mois par le médiateur de l'Onu, Staffan de Mistura, qui avait affirmé que Bachar el-Assad « faisait partie de la solution » en Syrie. Elle rejoint également les propos du directeur de la CIA, John Brennan, qui avait déclaré que les États-Unis ne veulent pas d'un effondrement du gouvernement et des institutions en Syrie qui laisserait le champ libre aux extrémistes islamistes.
Cette nouvelle déclaration US prélude sinon à un changement stratégique dans l'attitude de Washington par rapport à la crise syrienne, du moins à un revirement clair en faveur d'une ouverture explicite en direction du président syrien, que les États-Unis avaient mis à l'index dès le début de la crise en Syrie. À maintes reprises d'ailleurs, les responsables à Washington avaient clairement signifié que Bachar el-Assad était devenu indésirable et qu'il devait partir. Parallèlement, les États-Unis avaient annoncé leur disposition à s'engager auprès de l'« opposition modérée » qu'ils ont décidé d'armer et d'entraîner avec la coopération de la Turquie et de la Jordanie pour combattre le régime précisément, donnant l'impression d'une continuité de leur politique d'hostilité à l'égard de Damas.
Force est de constater que la diplomatie américaine a laissé transparaître beaucoup d'ambiguïté à l'égard de cette crise, faisant montre par moments d'hésitations, voire de confusion. Si Washington s'était clairement prononcé dès le départ en faveur d'une opposition qui lui paraissait légitime, condamnant à maintes reprises la répression pratiquée par le régime Assad, il n'a cependant pas hésité à mettre en place une coalition internationale pour combattre l'émanation extrémiste de cette opposition, l'État islamique. Washington avait, rappelons-le, frappé des positions du groupe jihadiste en Syrie même, après le consentement tacite des autorités en place. Un feu vert qui avait d'ailleurs suscité à l'époque de multiples interrogations sur la nature de cette coopération et sa portée politique.
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« Ce ne sont pas les personnes qui comptent... »
Certes, il reste à voir ce que cette nouvelle position américaine signifie véritablement, quelles seront ses portées réelles et comment l'administration US compte la concrétiser sur le terrain. C'est ce qu'admet d'ailleurs l'ancien chef du gouvernement Fouad Siniora, qui estime n'avoir pas assez d'éléments à ce stade pour pouvoir s'exprimer. « Il est encore très tôt de se prononcer. Attendons pour voir ce à quoi l'administration américaine aspire exactement à travers cette déclaration. Est-ce à dire qu'elle cherche à réhabiliter le régime de Bachar el-Assad ? » s'interroge-t-il en réponse à une question de L'Orient-Le Jour. M. Siniora tient toutefois à rappeler qu'il reste « en faveur de Genève I pour trouver une solution pacifique à la crise syrienne et mettre fin aux affrontements armés ».
Plus radicale, la position du chef du PSP Walid Joumblatt a fusé quelques minutes à peine après l'annonce des propos tenus par M. Kerry. Dans un tweet, le député a résumé sa réaction en ces termes : « Je ne trouve pas les mots appropriés pour exprimer ma colère, sinon mon mépris, vis-à-vis de la déclaration de M. Kerry. » Interrogé par L'Orient-Le Jour, le leader druze affiche son amertume à l'égard de la dernière position US qui, selon lui, « n'a rien de nouveau d'ailleurs. Il n'y a qu'à revoir l'histoire. Les Américains n'ont jamais voulu donner des armes à l'opposition syrienne, et ce dès le début. Ce sont de grands menteurs », dit-il. Il relève à ce titre « la mise en scène » des déclarations récentes faisant état d'un soutien militaire à l'opposition, « qui est une mascarade ».
M. Joumblatt insiste sur le fait que ce qui était requis à un moment donné, c'était un soutien qualitatif, réel et concret, qui n'a jamais eu lieu. « C'était patent depuis la bataille de Homs en 2012 », dit-il. Pour le leader druze, cette prise de position n'est autre que « le prix de la réconciliation avec l'Iran ».
C'est un autre son de cloche que l'on entend toutefois de la bouche du ministre d'État pour la Réforme administrative, Nabil de Freige, pour qui la déclaration de M. Kerry vient rejoindre celle du directeur de la CIA, John Brennan. M. de Freige insiste ainsi sur le fait qu'il ne faudrait pas perdre de vue le contexte qui entoure la déclaration du département d'État. « Discuter avec le régime syrien n'implique pas pour les Américains sauver la personne de Bachar el-Assad. Ce ne sont pas les personnes qui importent dans cette optique, mais l'idée qu'il faut éviter de rééditer la même erreur commise en Irak par les Américains », lorsque ces derniers ont contribué à l'anéantissement des institutions en place.
Le ministre ne fait pas le lien avec les pourparlers américano-iraniens sur le nucléaire. Car, estime-t-il, ce sont les Iraniens qui sont demandeurs dans ce cadre, notamment pour trouver une issue « à la crise économique désastreuse qui érode leur pays ». Les Américains n'ont donc aucun prix à payer en contrepartie, croit-il savoir. Selon lui, la stratégie américaine consisterait ainsi à paver la voie à l'après-Bachar el-Assad, mais en œuvrant à préserver les institutions de l'État.
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14 h 16, le 16 mars 2015