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Liban - Développement

Le barrage de Hammana, ou la folie des hommes

Cette construction n'en finit pas de faire couler beaucoup d'encre, comme en témoigne le texte ci-dessous qui fait état de solutions alternatives à un projet qui risque de porter préjudice à la région.

La construction du barrage de Hammana/Qaïssamani sur la plaine de Meghiti, à l'intérieur d'une zone protégée, en infraction du décret n° 108 du 15 mai 2002 du ministère de l'Eau et de l'Énergie, reste au cœur d'une polémique. Les parties impliquées font peu de cas du nombre de lois et décrets violés lors de l'élaboration et de la mise en place de ce projet (article paru dans L'Orient-le-Jour le 22 janvier 2015). Ce qui amène à se poser un certain nombre de questions.
À l'origine, le projet du barrage de Qaïssamani avait été étudié par Libanconsult, assisté par l'expert international Georges Post. Ils déterminèrent l'emplacement étanche de la façon la plus judicieuse, compte tenu des spécificités géologiques, sismiques et hydrauliques de la région. Le gouvernement autorisa le 21 mai 2007 le ministère de l'Eau et l'Énergie à poursuivre les études nécessaires pour la construction du barrage. Libanconsult s'est vu attribuer le contrat. Les expropriations ont été payées 1,165 milliards de LL. Les travaux pouvaient commencer.
C'est alors que, contrairement à l'autorisation du gouvernement et malgré les expropriations déjà payées, Libanconsult décida de déplacer le projet vers la plaine de Meghiti, produisant des études préliminaires, à la surprise de la Direction générale des ressources hydrauliques et électriques (DGRHE), qui considéra que le nouvel emplacement n'était pas couvert par la décision du gouvernement. Libanconsult offrit donc une nouvelle étude qu'il avait déjà effectuée avec le barragiste Tardieu, et ce sans autorisation préalable ni l'accord de la DGRHE. Ce document contradictoire portait sur une étude de Meghiti. Il en ressort que 4 forages avaient été effectués à une profondeur insuffisante de 15 mètres. M. Tardieu y a surtout insisté sur la perméabilité des sols et sur l'absolue nécessité de concevoir un bassin à « risque de fuite zéro », ce qui est pratiquement impossible à réaliser.
Au cours des différents échanges au plus haut niveau, toutes les mises en garde contre les problèmes techniques, dont la nécessité d'étanchéité absolue, et les dangers futurs qui pouvaient découler de la construction de ce barrage ont été balayées, en dépit de l'insistance de M. Post à maintenir les mêmes conditions de sécurité qui avaient été prévues pour le premier emplacement. La DGRHE considéra que sans ces conditions de sécurité, l'utilité technique et économique de ce barrage était sérieusement mise en doute. Le ministre lui retira alors le dossier en 2009 et en assuma la reponsabilité directe. Cela nous amène à nous poser des questions légitimes sur le bien-fondé et la solidité de l'ouvrage en l'absence d'une étude sérieuse des fondations et d'une étude d'impact environnemental conformément à la législation en vigueur.

Éboulis et risques sismiques
Depuis quelques années, des instruments de mesure sont posés par le CNRS à Hammana dans la région de Kroum el-Joura. Ces instruments servent à mesurer le déplacement de la Falaise de Blanche qui provoque son lent effritement. Des éboulis de roches fragmentées au pied de la falaise témoignent de cette précarité. Ce mouvement allié à une activité sismique intense dans la région nous interpelle quant au devenir du tapis d'étanchéité du bassin de retenue d'eau qui, de toute évidence, se détériorera rapidement, au même titre que le mur du barrage et la totalité de l'ouvrage dont la durée de vie risque fort de ne pas dépasser une décennie
Alarmés par les dangers de la construction de ce barrage dans leur région, des représentants de la municipalité de Hammana ont tenu plusieurs réunions au siège du CNRS début 2013, en présence d'une équipe d'experts. Ces derniers mirent en garde contre les graves dangers auxquels seraient exposés la région ainsi que les villages en aval à cause du barrage, soulignant la nature précaire du sol, soumis à des pluies acides attaquant le calcaire. La fréquence sismique alliée au poids de l'édifice du barrage augmentent les risques de liquéfaction des sols et de coulées de boue.
La municipalité adressa, le 7 juillet 2013, un courrier au secrétaire général du CNRS, Mouïne Hamzé, lui faisant part de nouveau de ses inquiétudes et demandant que celles-ci soient communiquées aux membres de la commission d'experts du CNRS afin que cette dernière puisse émettre son avis et rédiger un rapport technique détaillé répondant à ces appréhensions. Le CNRS n'a pas donné suite à cette requête, contrairement aux dispositions de la loi 444/2002 du ministère de l'Environnement qui affirme le droit des « ayants droit » à obtenir toutes les informations concernant un projet, ce qui met en évidence son embarras. Cet embarras est confirmé par l'avocat du CDR, Me Chbaklo, dans sa réponse au Conseil d'État le 15 octobre 2014. Il y confirme l'absence d'une étude sismique.
D'autre part, Libanconsult et le CDR ont vigoureusement refusé de réaliser les sondages nécessaires dans les deux flancs de la vallée, afin de déterminer la résistance à l'entraînement vers la mer, en cas de déferlante. Pourtant ces flancs sont en perpétuel glissement et les maisons qui les surplombent sont souvent fissurées. Le ministère de l'Eau et de l'Énergie le sait puisque c'est lui qui accorde des aides financières aux riverains dont les murs ne cessent de se fissurer et les terrains de glisser.
Selon Libanconsult, « le béton bitumineux comme organe d'étanchéité pour l'eau potable » couvrira le bassin de retenue et le mur du barrage. L'innocuité douteuse de cette substance a été remise en question en 2011 par l'Union européenne qui a confié à la France, la Hollande, l'Allemagne et l'Angleterre l'étude approfondie des conséquences de cette substance sur la santé et l'environnement. En attendant les conclusions de cette étude, l'emploi de ce produit a été suspendu « par mesure de précaution ».

Des substances cancérigènes
Le béton bitumineux contient des substances cancérigènes similaires à celles contenues dans la cigarette.
Qu'adviendra-t-il lorsque le béton sera soumis aux rayons du soleil et à des températures très élevées à 1 500 mètres d'altitude ? Lors de la première réunion qui s'était tenue dans les bureaux du ministre de l'Énergie à l'époque en présence de ses conseillers, du représentant de Libanconsult ainsi que les représentants du CDR, un des partenaires avait lancé : « Tous les fumeurs de cigarette ne meurent pas du cancer ! »
Selon un rapport établi par Bahzad Hakim pour le compte du CDR et du ministère, aucun essai de coloration de l'eau n'a été effectué. Si ce rapport souligne quand même les dangers et les manquements, il en ressort qu'aucune étude sérieuse n'a été effectuée pour étudier le sous-sol et les eaux souterraines (sismique, magnétique, résistivité ou sondage par radar...).
Néanmoins, les risques d'infiltration d'eau à travers les parois du mur du barrage sont soulignés par l'avocat du CDR, Me Chbaklo, dans une réponse au Conseil d'État datée du 24 mars 2014. Ce dernier précise l'obligation d'une surveillance et d'une maintenance ininterrompue du barrage 24 heures sur 24 afin de prévenir ces dangers.
Pourtant, le bassin de retenue qui, dit-on, n'occupera que 1 % de la plaine recueillera un million de mètres cubes d'eau en provenance des ruissellements qui se forment sur les hauteurs lors des précipitations et de la fonte des neiges. Fait aggravant, le surplus d'eau, après ce remplissage, sera pris par l'évacuateur des crues et jeté directement dans le fleuve sans en faire profiter la plaine, ce qui aura comme conséquence additionnelle la perte d'une partie de l'approvisionnement du Chaghour.
Le Conseil des ministres approuva le déplacement du barrage, le 24 mars 2010. Dans le compte-rendu de la séance, il est clairement stipulé que le coût du mètre cube du barrage de Hammana pour une contenance d'1 million de mètres cubes d'eau, estimé à plus de 25 dollars/m3, est « le plus élevé de tous les barrages ». Or, le texte manquait de précision. Il n'y était pas indiqué par exemple que le chiffre d'un million de mètres cubes qui a été avancé ne tenait compte ni de l'évaporation, estimée à 50 % selon le rapport du Programme des Nations unies pour le développement (Pnud), ni des infiltrations estimées à 45 %. Les calculs doivent donc se faire sur base de 600 000 m3 d'eau. Ce qui amènerait le coût à un minimum de 45 dollars/m3. Il s'agit d'une hérésie économique à laquelle vient s'ajouter un risque d'accroissement du coût du projet en raison du manque d'études géologiques et hydrogéologiques nécessaires.

Trois solutions
Pour un projet tel celui d'un barrage, le décret 8 633/2012 du ministère de l'Environnement exige la présentation d'une solution alternative. Dans une lettre adressée au CDR datée du 7 août 2013, la réponse était catégorique : « Pas de solution alternative ! » Or, les solutions de rechange existent bel et bien !
– La première serait de revenir à l'emplacement initial choisi pour sa sécurité et son utilité, qui consistait en un barrage et un petit lac collinaire dans une zone étanche, adjugé en 2006 à un coût dérisoire par rapport à celui imposé actuellement.
– Alternativement, pour la seule vallée de Chaghour Hammana, entre 5,5 et 10 millions de mètres cubes d'eau partent à la mer. Ceux-ci peuvent être récupérés et acheminés vers les villages conformément à la proposition du Dr Antoine Jabre.
– La troisième proposition concerne les puits. Les études hydrogéologiques dans cette région ont prouvé l'existence d'une grande réserve en eaux souterraines renouvelables à des profondeurs allant de 350 à 450 mètres. D'ailleurs, des forages de puits ont déjà été effectués : les deux puits de Bmaryam, celui de Kobayé et celui de Kornayel. D'autres sont en cours de forage dans les alentours de Hammana.
Pourquoi avoir opté pour un projet dont le prix de revient du mètre cube d'eau est exhorbitant ? Pourquoi le Conseil des ministres n'a-t-il pas été informé des solutions alternatives ? Pourquoi le CDR et le ministre de l'époque ont-ils confié à une seule et même entité les études préliminaires, l'étude de l'impact environnemental, ainsi que la recherche de solutions de rechange, alors même qu'il y a un conflit d'intérêts notoire ? Quid du certificat de validation et de l'opinion de l'organisme indépendant, impartial, chargé du contrôle technique ?

Claudia PRETI
Vice-présidente de Machrou' Watan / Nation Initiative

La construction du barrage de Hammana/Qaïssamani sur la plaine de Meghiti, à l'intérieur d'une zone protégée, en infraction du décret n° 108 du 15 mai 2002 du ministère de l'Eau et de l'Énergie, reste au cœur d'une polémique. Les parties impliquées font peu de cas du nombre de lois et décrets violés lors de l'élaboration et de la mise en place de ce projet (article paru dans...

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