Dans le prolongement de ses positions constantes et franches pour l'application de la déclaration de Baabda, l'abandon du triptyque prôné par le Hezbollah et le respect de la parité, Michel Sleiman multiplie ses concertations en vue de lancer prochainement un forum politique aux objectifs clairement définis : « Servir la République en préservant les acquis de Taëf. »
La structure et les objectifs de ce forum font l'objet de contacts avec près de soixante-dix figures politiques, civiles et économiques, toutes appartenances communautaires et régionales confondues.
Même le nom proposé au mouvement, le « Rassemblement pour la République », est sujet à débat.
La dimension participative qui caractérise cette initiative imprégnera la réunion élargie, prévue, le 13 avril prochain, au domicile du président Sleiman à Yarzé.
Il est une constante autour de laquelle doivent graviter toutes les idées proposées : la présente Constitution est la base de toute réforme, et le pacte national aura prouvé, au fil des événements postérieurs au retrait des troupes syriennes, sa conformité au système libanais. Mais le refus d'une nouvelle constituante ne devrait pas être interprété comme une obstruction à d'éventuels amendements constitutionnels. Si ceux-ci s'imposent, ils ne sauront justifier une révision intégrale du système, qui équivaudrait à un sabordage.
(Pour mémoire : Sleiman évoque l'idée d'une « période de transition » avant que le Hezbollah ne remette ses armes à l'armée)
Dans une interview à L'Orient-Le Jour, l'ancien chef d'État qualifie son initiative de « forum libre », qui prévoit la tenue d'une réunion mensuelle, « ouverte à toute personne portée sur la question de la formule libanaise et les réformes pour l'édification d'un État moderne ». Ce forum ne constitue pas une présidence-fantôme.
« L'invitation à la première réunion du forum à Yarzé porte le nom du général Michel Sleiman, avec une omission délibérée du président Michel Sleiman », précise ce dernier. Ce forum ne tend pas non plus à constituer un bloc de pression pour débloquer la présidentielle, ni une mouvance qui contrebalancerait l'orientation, encore timide et non confirmée, de conduire le pays vers une nouvelle Constituante, explique-t-il.
« Personne n'a exprimé sa volonté de changer le système », affirme-t-il. Cette négation catégorique fait fi sciemment de signes qui émergent dans les discours de certains politiques pour l'institutionnalisation d'une répartition par tiers. « Des dizaines de personnalités de poids refusent la Constituante. Il faudra une guerre civile pour l'imposer », souligne Michel Sleiman, qui relève la date symbolique du 13 avril, à laquelle doit se tenir la première réunion du Rassemblement pour la République.
Celui-ci se situe en effet au-delà de la situation actuelle dans le pays : son positionnement est dans le Liban de l'avenir.
Le forum se définit ainsi comme « un groupe de pensée politique indépendante, qui a pour objectif de permettre au président de la République, au gouvernement et au Parlement de poser les fondations de la IIIe République », explique Michel Sleiman. Son initiative tend vers une République renouvelée, fondée sur des réformes constitutionnelles et législatives pour un État moderne et une démocratie renforcée. « L'objectif est de faire évoluer la Constitution. Il faut bâtir sur ce qui existe déjà », note l'ancien président de la République. Plus précisément, il défend sans tempérer la parité, essence du pacte national, « à laquelle toutes les composantes libanaises se sont engagées lors de la dernière séance de dialogue, le 5 mai 2014, qui a précédé la fin de mon mandat ». Il estime surtout que l'expérience libanaise ayant fait suite au retrait des troupes syriennes aura démontré que « le pacte national a garanti la stabilité ». Il valorise l'évaluation de la situation libanaise « libérée de la présence syrienne », c'est-à-dire livrée à son propre arbitrage.
Ce bilan aura prouvé le caractère immuable du pacte national. C'est cette entente qui aurait protégé le Liban des bouleversements régionaux, et non quelque volonté étrangère de préserver la stabilité. Le fait d'évoquer cette volonté lui paraît d'ailleurs risible. « Quelle est cette histoire montée de toutes pièces pour défigurer la réalité ? La réalité est que c'est le pacte national qui incite le chiite à aller à l'encontre du sunnite », souligne-t-il.
(Pour mémoire : La nouvelle réunion des « huit ministres », une expression nationale contre le vide intentionnel)
Mais cette formule n'aura-t-elle pas démontré son infirmité face au blocage institutionnel ? « Ce n'est pas la Constitution qui est défaillante, mais la pratique politique actuelle qui est problématique. Franchir l'impasse, c'est décider de trouver des clés à toutes les questions, y compris celle des prérogatives du chef de l'État. Or l'élargissement des prérogatives présidentielles, ou d'autres prérogatives, deviendra chose simple et pourra se faire de multiples manières, lorsque la volonté de délier la situation sera initiée. Le plus grave à mes yeux n'est pas la question des prérogatives présidentielles, mais le blocage de l'élection d'un nouveau chef de l'État, la prorogation du mandat parlementaire, les efforts de former un gouvernement qui s'étalent sur des mois, et des cabinets d'expédition des affaires courantes qui durent », déclare Michel Sleiman. Autrement dit, la dénaturation de la Constitution ne vise pas une communauté ou l'autre, mais l'équation fondamentale qui définit la marche de l'État.
Ce n'est donc pas en termes d'équilibre des forces communautaires que raisonne l'ancien président de la République, l'intérêt de cet équilibre s'étant disséminé dans le boycottage et autres anomalies « sans précédent » survenues depuis 2005.
(Pour mémoire : Sleiman revient à la charge : « Celui qui se soucie de placer ses gendres ferait un président faible »)
Ce forum indépendant pour la République se veut l'amorce d'un retour aux sources des valeurs institutionnelles. « Ce rassemblement ne relève ni du 8 ni du 14 Mars, mais reste ouvert à la participation de l'un et de l'autre camp », explique Michel Sleiman. Il n'écarte pas, par exemple, l'hypothèse de la participation des ministres indépendants du 14 Mars, Boutros Harb et Michel Pharaon, qui avaient répondu à son récent appel à la « réunion de concertations des huit ministres ». Celle-ci d'ailleurs est basée sur les principes du Rassemblement pour la République, mais reste « circonstancielle et limitée à un objectif », explique-t-il, en réponse à une question. Son initiative se démarque par ailleurs du Conseil national du 14 Mars, qui doit être lancé en fin de semaine, « ce dernier ayant une appartenance politique précise », estime-t-il.
« Mon ambition est que ce forum constitue une plateforme de débat sur les réformes pour la République... quiconque voudrait y prendre part est le bienvenu, à moins qu'il ne veuille plaider pour la loi orthodoxe, par exemple », résume le président Sleiman. Cette plateforme pourrait constituer « un moyen de pression pour le déblocage de la présidentielle », même si cela n'est pas son objectif direct, conclut-il.
Les principales idées fondatrices du Rassemblement pour la République
L'invitation lancée hier par le président Sleiman à la première réunion du Rassemblement pour la République, qui doit se tenir le 13 avril à son domicile, énumère les idées-forces qui guideront les débats pour un Liban moderne, dont ce rassemblement se veut le cadre (voir l'interview avec Michel Sleiman).
« Les dix dernières années ont prouvé que l'accord de Taëf et la Constitution qui en a émané constituent le filet de sécurité de la stabilité, la politique et l'économie du pays, en dépit des circonstances difficiles auxquelles a été confronté le pays », souligne le document du rassemblement, qui énumère les tournants de la dernière décennie, autant « d'épreuves qui auront prouvé, en somme, l'attachement des Libanais au contrat social moulé dans Taëf et la Constitution ». Le texte retient ainsi « l'assassinat de Rafic Hariri et les assassinats de personnalités importantes, le retrait des troupes syriennes, la reconnaissance du TSL et le reniement de ses actes d'accusation, la guerre de juillet 2006 et le déploiement de l'armée au Liban-Sud, ainsi que les guerres d'Israël à Gaza, la guerre de Nahr el-Bared, les événements du 7 mai, la manière dont la chute du gouvernement Hariri a été provoquée (le dossier des faux témoins), les troubles dans les États arabes et la guerre en Syrie, les événements de Tripoli, Saïda (Abra), Ersal et le Akkar, les attentats de Tripoli, de la banlieue sud et de l'ambassade d'Iran, l'émergence du takfirisme et de l'État islamique, et les agressions contre l'armée, la prorogation du mandat parlementaire, les cabinets d'expédition des affaires courantes pendant 22 mois, la vacance présidentielle jusqu'à ce jour ».
Si le mouvement se tourne vers les événements passés, dont certains sont brouillés par une vive opposition entre les versions des uns et des autres, c'est seulement pour démontrer la pertinence de la voie choisie par le mouvement : « Œuvrer à préserver la Constitution et contrer les appels chroniques, chaque six ans, à la tenue d'une nouvelle assemblée constituante. »
Cet enjeu doit se concrétiser à travers deux objectifs : « Une immunisation de l'accord de Taëf », d'une part, et « la poursuite de l'application de la Constitution », d'autre part. Le premier objectif doit être atteint notamment par le biais d'une « application de la déclaration de Baabda, et l'adaptation corollaire de la méthode du dialogue et de la distanciation du Liban de la politique des axes ; la recherche d'issues et de solutions aux problématiques constitutionnelles ayant émergé avec la disparition de l'arbitrage syrien. Le second objectif de poursuivre la mise en application de la Constitution doit se traduire par une série de démarches de nature législative : l'approbation d'une nouvelle loi électorale basée sur la proportionnelle, la participation de la femme et des émigrés, et la baisse de l'âge de vote à 18 ans, l'approbation de la loi sur la décentralisation administrative élargie, l'élaboration d'un plan de développement global et équilibré, et l'adoption d'une législation favorable à un partenariat public-privé, de manière à suivre enfin le principe de la politique au service de l'économie et œuvrer, d'une manière générale, à « l'édification d'un État moderne, fondé sur la citoyenneté, la transparence, et qui lutte contre toutes les formes de corruption ».
Ces deux objectifs doivent construire la passerelle vers « le lancement d'une troisième République », selon le document.
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commentaires (6)
C'est qui sleiman? Connais pas!
Ali Farhat
00 h 24, le 11 mars 2015