Six ministres indépendants – représentants huit ministres, dont sept chrétiens – se sont réunis vendredi soir au domicile de l'ancien président de la République, Michel Sleiman. Ils ont renvoyé l'image, hautement symbolique, d'une alliance ministérielle chrétienne, couvrant le tiers du cabinet, parrainée par l'ancien chef d'État, avec pour objectif direct d'exercer, de l'intérieur des institutions, une pression renforcée pour le déblocage de la présidentielle.
Cette « réunion de concertations » s'est tenue à l'initiative de l'ancien président de la République, selon des participants à la réunion, et a regroupé les trois ministres relevant de l'ancien président Sleiman (Samir Mokbel, Abdel Mottaleb Hennaoui et Alice Chaptini), les deux ministres indépendants du 14 Mars, Boutros Harb et Michel Pharaon, ainsi que le ministre Kataëb, Sejaan Azzi.
Les ministres ont élaboré « une position unifiée » sur le mécanisme de prise de décision au sein de l'exécutif, qui tend à limiter au strict nécessaire les réunions ministérielles : ils ne défendent pas le maintien du mécanisme de vote à l'unanimité, sur lequel ils avaient d'ailleurs émis des réserves, mais ne préconisent pas non plus une facilitation du travail du gouvernement, qui ferait oublier la vacance présidentielle. Ils favorisent un exercice ministériel qui respecte « l'esprit de l'expédition des affaires courantes », explique le ministre Boutros Harb à L'OLJ. En pratique, « le cabinet n'a le droit de se réunir que dans les limites du nécessaire, c'est-à-dire, a contrario, il ne peut se réunir pour prendre des positions de fond instaurant une situation juridique nouvelle, ou entérinant des projets nouveaux, ni pour se pencher sur des affaires qui supportent un ajournement », ajoute-t-il.
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Ce mécanisme est assorti d'une prérogative constitutionnelle du Premier ministre, sur laquelle Boutros Harb insiste : « Le président du Conseil peut décider de ne pas recourir au vote » et donc d'écarter éventuellement les questions qui dérogent à l'esprit des affaires courantes.
Les huit ministres indépendants se démarquent donc à la fois du mécanisme de l'unanimité, qui « avait été exigé par le Courant patriotique libre et le Hezbollah, et entériné par le Premier ministre » (comme le souligne Michel Pharaon), avant d'être « approuvé, sans grand enthousiasme, par les ministres du 14 Mars » (comme le relève pour sa part Sejaan Azzi).
La position élaborée sous l'égide du président Sleiman se démarque surtout du débat en cours sur une formule alternative à l'unanimité.
Les concertations politiques, menées notamment par l'ancien Premier ministre Saad Hariri, tendent vers un retour à l'article 65 de la Constitution, dans l'esprit de redynamiser l'exécutif, paralysé par l'exigence de l'unanimité. Nabih Berry et Walid Joumblatt tendraient vers une application à la lettre du texte constitutionnel, qui exige un vote à la majorité absolue, sauf pour les questions fondamentales, énumérées limitativement, qui requièrent les deux tiers des voix. Le courant du Futur proposerait une application plus rigide du texte, que le Premier ministre, Tammam Salam, favoriserait également : exiger les deux tiers des votes à la place de la majorité absolue, et l'unanimité pour les questions fondamentales.
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Ainsi, la réunion présidée par Michel Sleiman est allée à contre-courant de la tendance à faciliter le travail du gouvernement, pourtant défendue par le courant du Futur. Le conseiller du président Hariri, Ghattas Khoury, y a d'ailleurs perçu une « tentative de créer un nouveau tiers de blocage au sein du cabinet ».
Cette déclaration a suscité l'« étonnement » du ministre Boutros Harb. « N'est-il plus permis aux chrétiens de se concerter autour de la présidentielle ? » s'est demandé ce dernier à L'OLJ. C'est que, au-delà du débat technique sur le fond, et de la constitutionnalité ou non des formules proposées, l'enjeu de la réunion des huit ministres est de discréditer désormais tout débat sur le fonctionnement institutionnel tant qu'un nouveau chef de l'État n'est pas élu. « Nous partageons avec le courant du Futur certaines considérations d'ordre économique qui pourraient justifier le maintien du travail de l'exécutif, sauf que notre souci le plus grand est la présidentielle. Nous sommes les plus soucieux de combler la vacance présidentielle, et nous ne pouvons plus tolérer l'ajournement de cette échéance, au rythme de débats vains et de rounds de dialogue », déclare Boutros Harb à L'OLJ.
S'il estime que le débat sur le mécanisme de prise de décision au sein de l'exécutif trahit « une volonté de prolonger la vacance présidentielle », il répond par la négative à la question de savoir si un différend émerge actuellement au sein du 14 Mars sur le rôle de l'exécutif sous la vacance présidentielle. Il déclare en tout cas que « les députés du Futur ne s'alignent pas sur la position de Ghattas Khoury », avant de rappeler le penchant de ce dernier en faveur de la candidature du général Michel Aoun à la présidence. « Nous avons en tout cas tous les moyens de nous opposer à un mécanisme de prise de décision ayant pour effet de normaliser la vacance présidentielle », ajoute Boutros Harb.
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Le ministre Pharaon fait état, pour sa part, de « nervosités », qui doivent s'estomper une fois que la teneur des concertations sur la formule à adopter sera tirée au clair. Il tient à souligner que la réunion chez le président Sleiman n'a pas pour objectif de former un bloc indépendant au sein du cabinet. « Il est normal de se concerter avec l'ancien chef de l'État, comme avec les autres parties », affirme-t-il, dénonçant « le tapage médiatique » autour de cette réunion.
Il reste que Michel Pharaon appelle le bloc du Changement et de la Réforme à prendre une position claire sur le mécanisme de prise de décision ministérielle, d'autant que la rencontre conviviale Aoun-Hariri à la Maison du Centre a directement porté sur ce débat. « Nous attendons sincèrement la position officielle du CPL et du Hezbollah sur le mécanisme de l'unanimité qu'ils avaient jusque-là défendu, tout en maintenant, paradoxalement, le boycottage des séances électorales », précise Michel Pharaon. « Saad Hariri a-t-il pu convaincre Michel Aoun de débloquer la présidentielle ? » se demande-t-il.
Pour Sejaan Azzi, « s'ils ne veulent pas que le mécanisme de l'unanimité persiste, qu'ils élisent un président de la République ». Il explique d'ailleurs que « les entraves à la prise de décision au sein du cabinet ayant toujours existé, le problème n'est donc pas à ce niveau, il se situe au plan de la vacance présidentielle ». Il estime enfin que la réunion entre le chef du parti Kataëb Amine Gemayel et le président Sleiman a préludé à la réunion de vendredi, qui sera suivie d'autres rencontres cette semaine, notamment entre Amine Gemayel et Saad Hariri.
(Rq : Cet article a été corrigé, au niveau du nombre de ministre présent, le 23 février à 16h30).
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commentaires (3)
Puisque la réunion s'est déroulée sous l'égide du Président Suleiman, donc cela ne serait que dans les intérêts supérieurs de la Patrie.
Un Libanais
16 h 05, le 23 février 2015