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Moyen Orient et Monde - Bilan

Comment l’État islamique s’est fait connaître au monde entier en 2014

L'avancée fulgurante des jihadistes en Irak et en Syrie a redistribué les cartes régionales, obligeant les puissances à se repositionner, les minorités à fuir et se protéger, et faisant le jeu du régime syrien.

Une vue d'Alep, détruite par la guerre. REUTERS/Mahmoud Hebbo

Autrefois frères ennemis, se disputant tous deux le monopole du baassisme au moyen de méthodes aussi vicieuses que semblables, l'Irak et la Syrie ont vu leurs chemins respectifs se rapprocher, puis carrément s'entremêler en cette année 2014, suite à la fulgurante montée en puissance des jihadistes de l'État islamique (EI).
En effet, ce groupe terroriste devait conquérir Falloujah et Ramadi en janvier, avant de se faire mondialement connaître en juin après la prise de Mossoul et l'annonce de la proclamation d'un nouveau califat par son chef Abou Bakr al-Baghdadi, autosurnommé « le calife Ibrahim ». L'avancée de l'EI avait pour conséquence directe de déstabiliser le gouvernement irakien de Nouri al-Maliki, jusqu'à entraîner sa démission, d'éloigner encore un peu plus les projets politiques d'Erbil et de Bagdad, renforçant l'autonomisation du Kurdistan irakien, et surtout de remettre en question la cartographie, bientôt centenaire, héritée des accords de Sykes-Picot en effaçant littéralement la frontière séparant l'Irak et la Syrie.

Dès lors, la confusion générale a régné et les thèses les plus farfelues attribuant aléatoirement aux jihadistes une filiation américaine, syrienne, israélienne, saoudienne, ou encore iranienne se sont très vite propagées. Non seulement parce que le mouvement était jusqu'alors totalement inconnu aux yeux de la plupart des gens, alors que celui-ci, loin d'être nouveau, était l'héritier de la branche d'el-Qaëda en Mésopotamie et avait acquis de ce fait une longue expérience de la lutte armée durant l'occupation américaine, mais aussi parce que le jihadisme international, dans sa version 2.0, ne se développait plus dans les fins fonds de l'Afghanistan, mais dans le cœur historique du monde arabe. Il ne désignait plus, non plus, comme principal ennemi le lointain occidental, mais bel et bien le frère chiite dans un contexte général de tensions vives et réciproques entre les deux grandes branches de l'islam. Il faut également rappeler que les nombreux acronymes EIIL, ISSIS, Daech, EI, utilisés simultanément pour qualifier ce groupe, venaient ajouter encore un peu plus de confusion à une situation au préalable assez difficilement lisible du fait de l'imbrication des problématiques syriennes et irakiennes.

(Lire aussi : 2014, année la plus meurtrière du conflit syrien)

Nouveau modèle de jihadisme
En fait, l'EI semble avoir profité du croisement entre, d'une part, les conséquences désastreuses de la campagne américaine en Irak et la colère sunnite qui en a résulté, et, d'autre part, l'instrumentalisation et l'internationalisation du conflit syrien, du fait de la répression du régime et de l'avidité des pays du Golfe et de la Turquie, faisant de la Syrie le principal foyer de jihadisme dans le monde.
Devenu le groupe jihadiste le plus puissant de l'histoire, décrédibilisant el-Qaëda et son chef Ayman el-Zawahiri, grâce à la vente de pétrole, aux rançons versées pour récupérer les otages, aux dons et aux commerces illégales d'antiquités, l'EI pouvait alors diffuser son modèle à tous les apprentis ou potentiels jihadistes. Un modèle de violence basé sur une vision extrêmement littéraliste de l'islam, où toute secte considérée comme déviante doit être éliminée, afin de purifier l'humanité. Car les jihadistes, pas seulement attirés par l'argent et par l'aventure, pensent réellement défendre un idéal et adhèrent à ces idées, non seulement par folie, comme cela est souvent analysé de façon caricaturée, mais aussi comme idéologie.

Doté d'un outil de propagande ultraperfectionné, à base de vidéo HD faisant référence à l'histoire musulmane mais aussi à l'univers des jeux vidéo, très actifs sur les réseaux sociaux, diffusant son propre magazine (Dabiq, traduit aussi en anglais...), l'EI a réussi à recruter des jeunes venus du monde entier, parfois des convertis ne parlant pas un seul mot d'arabe, et a érigé les bases administratives d'un véritable État. Mais l'organisation terroriste s'est surtout fait connaître en filmant de nombreuses décapitations, en violant, persécutant, crucifiant de nombreuses personnes appartenant notamment à la minorité yazidie ; en d'autres termes : en faisant de la barbarie et de l'horreur un véritable programme politique.

 

(Lire aussi : En Irak, l'année la plus sanglante depuis 2007)


Ce mélange extrême de mondialisation, de maîtrise des outils scientifiques modernes, d'intelligence tactique, d'une part, et de la cruauté la plus limpide, la plus épurée, la plus sombre, d'autre part, a été un véritable choc pour de nombreux observateurs. Pas parce que les actes d'horreur étaient nouveaux, les siècles précédents ayant largement fait étalage de leur maîtrise en la matière, mais parce que, pour la première fois dans l'histoire de l'humanité, cette horreur était visible, quasiment en direct, par des milliards de personnes, aux quatre coins de la planète. Aussi, le progrès technique et scientifique, considéré depuis des décennies comme un moyen de pacification, devenait, entre les mains des jihadistes, un terrible instrument de torture.

Réponse désorganisée
Il faut également rappeler l'hésitation et le désordre de la réponse de l'Occident, qui s'est employé à organiser une coalition internationale contre l'EI à partir d'alliances politiquement contradictoires en donnant l'impression qu'une nouvelle fois, à défaut de plan, de vision, de stratégie, les Occidentaux, comme les puissances du Golfe, n'avaient que des réactions et des tactiques courtermistes à proposer. Au risque d'alimenter encore un peu plus, ce qui fait le succès de la rhétorique jihadiste.


(Lire aussi : Quelles sont les principales sources de financement de l'État islamique ?)


Aussi, alors que l'année 2014 a été la plus meurtrière depuis le début du conflit en Syrie (76 000 morts) et en Irak depuis 2007 (plus de 15 000 morts), plusieurs conclusions et interrogations peuvent être dressées.
Tout d'abord, un constat : loin d'être morts et enterrés, l'islamisme et l'autoritarisme ont su s'adapter au contexte, se réinventer pour rester les seuls horizons à moyen terme de l'avenir politique du Proche et du Moyen-Orient. Ensuite, il est assez ironique de relever qu'au moment même où les Américains achevaient leur politique de désengagement en Irak, la menace représentée par l'EI les obligeait à s'y investir à nouveau, et peut-être même pour une plus longue durée cette fois-ci. En outre, la surmédiatisation de ce jihadisme version 2.0 aura très certainement alimenté l'islamophobie et l'arabophobie dans le reste du monde.

Enfin, et c'est bien là que le bât blesse, s'il ne devait y avoir qu'un seul gagnant suite aux évolutions tactiques et stratégiques de cette année, ce serait sans aucun doute lui, Bachar el-Assad, plus conforté que jamais dans sa position, qu'il a lui-même contribué à engendrer de moindre mal. Et, comme si tout cela ne suffisait pas, reste la question des réfugiés, elle aussi, insoluble...

 

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