Au lendemain de l'attaque perpétrée pour la première fois depuis longtemps par le Hezbollah contre Israël, dans les hameaux de Chebaa au Liban-Sud, des explications très différentes tentent d'analyser l'incident et d'en cerner les implications, surtout qu'Israël a riposté pour venger ses deux soldats blessés en envoyant une pluie d'obus en territoire libanais. Si le Hezbollah continue d'affirmer que l'opération vient en réponse aux nombreuses violations israéliennes qui ont fait un mort dans les rangs du parti et un blessé parmi les soldats au mois de septembre dernier, d'autres y voient une tentative d'envoyer un tout autre message. Et même si le ministre hezbollahi Mohammad Fneich avait assuré à L'Orient-Le Jour que « la Résistance était prête à tout escalade » venant du côté adverse, l'incident restera probablement sans suite, aux dires de nombreux observateurs.
Pour Élias Hanna, général à la retraite et analyste en stratégie, « le Hezbollah a tout d'abord voulu rappeler au monde qu'Israël est l'ennemi et que cette adversité constitue les bases de sa mission première ». « C'est une sorte de retour aux bases, qui a permis également au Hezbollah d'user de la stratégie d'économie de la force, explique également le général Hanna à L'Orient-Le Jour. Face au risque d'infiltration takfiriste au Liban-Sud, le Hezbollah a préféré recourir à cette opération pour obliger Israël à se mettre en état d'alerte. Dorénavant, l'État hébreu surveillera de près cette région et cela empêchera les jiahdistes d'y pénétrer. » Toutefois, Élias Hanna précise que le parti chiite a juste tenté d'envoyer des messages via cette opération sans toutefois tenter de changer les règles du jeu.
« Le parti ne compte surtout pas se retirer de Syrie. Il n'est pas maître de cette décision car cela mènerait à la chute du régime de Damas. D'autre part, il ne compte pas déclencher une guerre en bonne et due forme au Sud. Il a en tout cas mesuré minutieusement sa frappe pour cela, et l'opération était bien étudiée et calculée. En portant atteinte à la présence d'Israël dans les fermes de Chebaa qui font l'objet d'un contentieux, le Hezb a évidemment prévu une réponse israélienne proportionnée, donc modérée. Il n'y aura donc pas d'escalade, tout comme l'a prévu le Hezbollah qui n'a aucun intérêt immédiat à entrer en guerre au Sud », a-t-il ajouté. Et de poursuivre : « Israël aussi ne cherchera probablement pas l'escalade puisque ce genre d'incidents ne change pas la donne. À moins que le parti ne répète ce genre d'incidents. Là seulement, nous pourrions dire que le Hezbollah cherche à changer les règles du jeu. »
De son côté, le député et ancien général Jean Oghassabian peine à évaluer « à quel point l'attaque du Hezbollah est en relation avec la prise par le Front al-Nosra de la région de Quneitra, menaçant ainsi l'axe Rachaya-Hasbaya ». « Il est probable que le parti a vu la menace et a tenté de prendre des mesures préventives, surtout que cette région pourrait devenir un front comme à Brital », a-t-il expliqué, refusant la théorie selon laquelle le parti « empêtré dans les boues syriennes » serait prêt à lutter sur deux fronts, à savoir au Liban-Sud et en même temps à la frontière libano-syrienne. « Le Hezbollah n'a aucun intérêt à chercher la guerre et la page de cet incident est tournée, je crois. Mais la question fondamentale reste : comment ce parti politique puissant peut décider seul d'ouvrir et de fermer des lignes de front ? La région est très délicate, et même si le parti ne cherche pas la guerre, les choses pourraient bien déraper. Le Hezb joue donc avec le feu », a-t-il souligné.
Les mêmes craintes ont été évoquées par des sources militaires qui se sont confiées à l'agence al-Markaziya. Ces sources se sont interrogées en effet sur l'opportunité d'entraîner le Liban dans une guerre inutile et coûteuse à bien des égards. « Le Hezbollah a peut-être voulu tout simplement faire diversion pour détourner l'attention des pertes cuisantes qu'il a encaissées lors de la récente bataille de Brital », ont-elles ajouté.
Chebaa interdite à de nouveaux réfugiés syriens
En attendant, l'armée israélienne a lancé, hier, au-dessus de Wazzani un ballon d'observation, équipé de plusieurs caméras et de dispositifs de brouillage et d'écoute, avec une pleine vue sur le cours du fleuve et sur les berges qui longent sa rive ouest. Pour sa part, un comité conjoint de l'armée libanaise et de la Finul a inspecté les régions qui ont été touchées par les bombardements israéliens. Cette inspection a révélé qu'Israël a utilisé dans cette attaque des bombes incendiaires et que les obus ont été tirés par l'artillerie israélienne d'une distance qui varie entre 2 et 3 km. Un mouvement intensif de patrouilles israéliennes a également été enregistré le long de la ligne frontalière, qui s'étend de Roueisset el-Aalam jusqu'à Berket al-Nakkar à l'ouest de Chebaa. Une unité a également ratissé la région au niveau du site de l'explosion qui a ciblé un tank israélien.
« Par expérience, nous pensons vraiment que l'incident est clos, a assuré par ailleurs le président du "Comité des citoyens du Arqoub et des hameaux de Chebaa", Mohammad Hamdan. Il s'agit d'un échange croisé de messages. Si le parti a voulu empêcher les Syriens de se déplacer librement dans la région, c'est réussi. Cette dernière est actuellement en état d'alerte. Et le parti a également tenté de rappeler à Israël les règles du jeu, surtout que l'État hébreu a multiplié les violations en dehors de la ligne bleue et qu'un soldat a été blessé ». Selon M. Hamdan, « les Israéliens ont lancé des obus sur des régions inhabitées ». « Dans un communiqué, l'armée israélienne a assuré avoir bombardé des positions du Hezbollah, mais cela est faux. Leur action tend à rassurer l'opinion publique israélienne », a-t-il poursuivi, assurant que la situation est de retour à la normale à Chebaa.
Dans ce village où vivent quelque 7 000 habitants libanais, 6 500 réfugiés syriens y sont installés depuis le début de la crise syrienne. « Ces Syriens ne vivent pas dans des camps mais louent des appartements, explique Mohammad Hamdan à L'Orient-Le Jour. Mais les ressources énergétiques d'eau et d'électricité ne nous suffisent plus. Nous sommes incapables d'en accueillir davantage. Il faut avouer qu'ils n'ont causé aucun incident sécuritaire jusque-là et que l'armée, qui a fait de nombreuses perquisitions dans leurs appartements, n'a rien trouvé de suspect, mais nous préférons prendre des mesures de prévention. » Et d'expliquer : « Il y a environ un mois, nous avons tenu une réunion avec le conseil municipal et les notables du village, et avons décidé de ne plus permettre l'entrée de nouveaux réfugiés à travers la frontière. Sur les 6 500 qui se sont installés chez nous, 250 sont déjà rentrés chez eux. Ils ne pourront plus revenir à Chebaa. Nous avons également demandé à l'armée d'augmenter ses points de contrôle pour empêcher les entrées illégales. Il sera difficile pour des jihadistes d'entrer à Chebaa. »
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19 h 27, le 09 octobre 2014