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Économie - Enquête

Quand le partage bouscule l’économie traditionnelle

Partager une voiture avec un inconnu, dormir chez l'habitant plutôt qu'à l'hôtel, déléguer une tâche à un voisin ou emprunter à un particulier plutôt qu'à une banque : les nouveaux usages de l'Internet révolutionnent notre façon de consommer et créent des modèles économiques inédits.

La société « Airbnb » vaut aujourd’hui 7,5 milliards d’euros, presque autant que le groupe « Accor ».

Elles s'appellent « Airbnb », « Lyft » ou « TaskRabbit ». Ces start-up basées sur l'échange et le partage sont en passe de bouleverser les secteurs traditionnels comme l'hôtellerie ou les transports. Ce phénomène appelé « l'économie collaborative » ou « sharing economy » aux États-Unis est en train d'accaparer tous les secteurs de l'économie traditionnelle.
Cette consommation « collaborative » n'est plus un microphénomène : le « C2C » (consumer to consumer), c'est-à-dire le commerce entre particuliers, est pratiqué aujourd'hui par sept internautes sur 10 dans le monde.
« Airbnb » par exemple, spécialisé dans la location de chambres chez l'habitant, réaliserait plus d'un milliard de dollars de chiffre d'affaires. Depuis la création de cette plate-forme, plus de 4 millions de personnes l'auraient utilisée, dont 2,5 millions seulement en 2012.
D'autres secteurs comme les transports (« Uber »), la gastronomie (« cavientdujardin », « troc légumes ») en passant par le commerce, les services (« youneed », « TaskRabbit ») ou la banque (« Lendingclub ») sont aussi concernés.


Le financement se trouve aussi bouleversé par ce phénomène. « Kickstarter » a ainsi permis de collecter plus de 800 millions de dollars, pour un total de près de 50 000 projets financés. En France, la plate-forme, « KissKissBankBank » (plus de 8 millions d'euros collectés depuis quatre ans) accueille surtout des projets artistiques ou associatifs.


Interrogé par L'Orient-Le Jour, Olivier Bomsel, professeur d'économie industrielle à Mines ParisTech et directeur de la chaire ParisTech d'économie des médias et des marques, explique que d'un point de vue économique, l'économie collaborative permet aux consommateurs « de mettre à disposition de tiers des biens ou services dont ils n'usent qu'une partie ».
« Une voiture, un appartement, une paire de skis peuvent ainsi avoir un taux d'utilisation plus élevé, et permettre à leurs propriétaires de tirer un revenu complémentaire », ajoute-t-il.
En pratique, cela fait baisser le coût de ces biens et services pour tous les consommateurs, mais M. Bomsel rappelle que « cela introduit une concurrence sévère pour les vendeurs de services traditionnels ». Un consommateur a désormais le choix entre un prestataire traditionnel ou un consommateur partageur.


Louis-David Benyayer, cofondateur de « Without Model », dont la mission est de contribuer à la généralisation des modèles économiques ouverts, collaboratifs et responsables, affirme que l'émergence de ces applications est tout d'abord de nature technologique, grâce au développement des nouvelles technologies d'informations et de communications. « Même si le concept de partage existe depuis bien longtemps avec l'exemple du covoiturage ou du "couchsurfing", la généralisation de l'utilisation d'Internet a clairement servi d'accélérateur. » Il ajoute que la deuxième raison serait la « praticité ». « Aujourd'hui, Airbnb par exemple rend un service que le marché ne rendait pas auparavant et le rend de façon plus économique », précise-t-il.
Ce qui en effet bloquait le marché du partage, c'était les coûts de transaction attachés à la mise en relation des partageurs. Trouver l'objet, le service dont le consommateur avait besoin coûtait plus cher que ça ne rapportait. Les technologies numériques ont permis la création de plates-formes spécialisées abaissant ces coûts. « Enfin, l'évolution et le changement des pratiques de consommation jouent bien sur un rôle dans l'émergence de l'économie collaborative. Aujourd'hui les offres sont plus diversifiées et plus efficaces », ajoute M. Benyayer.
Nous assistons donc aujourd'hui à une véritable « corévolution » : covoiturage, couchsurfing, coworking (un réseau de travailleurs encourageant l'échange et l'ouverture), crowdfunding (financement participatif), troc ou encore peer-to-peer et cocréation sont autant de facettes d'une nouvelle économie dont la créativité renouvelle progressivement notre quotidien.

 

Les acteurs traditionnels s'adaptent
Tous les métiers de services fondés sur l'exploitation d'une infrastructure (immobilier, transport, équipement divers...) ont désormais de nouveaux concurrents. « Ils doivent innover en qualité de service, en flexibilité, en fiabilité, voire aussi en coût », précise M. Bomsel.
En effet, les acteurs du marché dit traditionnel ne manquent pas d'idées pour rester solides : rachat, partenariat, fournisseurs de services de partage... « C'est le cas par exemple de Auchan, en France, qui signe un partenariat avec Quirky, une plate-forme qui transforme les idées des consommateurs en produits réels. Ou la SNCF qui rachète le site "123envoiture.com" spécialisé dans le covoiturage. Ou encore La Poste qui fournit des services issus de l'économie collaborative avec son service Identité numérique. »
Le « lobbying » ou faire pression sur les nouveaux entrants avec des ententes est une autre forme de protection et d'innovation des acteurs traditionnels.

 

« OuiShare » : la communauté de l'économie collaborative
Lancé en janvier 2012, « OuiShare » est un nouveau média entièrement dédié à l'économie du partage et de la collaboration, il a pour ambition de valoriser l'ensemble des initiatives innovantes qui fourmillent dans le secteur.
« OuiShare » est maintenant un chef de file international dans le domaine de l'économie collaborative. Une organisation à but non lucratif qui a rapidement évolué à partir d'une poignée de passionnés à un mouvement mondial dans plus de 25 pays en Europe, en Amérique latine et au Moyen-Orient.
Interrogé par L'Orient-Le Jour, Arthur de Grave, « connector » en charge de la communauté parisienne de « OuiShare », explique que cette dernière voit l'économie collaborative comme la première étape d'une forme d'horizontalisation des rapports économiques et sociaux. « Il est en effet de plus en plus facile pour les individus de s'organiser de façon quasi autonome pour consommer, produire, financer, apprendre, travailler. Et nous n'en sommes qu'au tout début », affirme M. de Grave.
Mais il rappelle que l'économie collaborative n'est pas un remède miracle et qu'il s'agit plutôt « d'un mouvement de transition remettant en question de nombreux équilibres sociaux et institutionnels hérités du passé (je pense principalement aux rôles respectifs des citoyens, des États et des entreprises) ».
La mission de « OuiShare », selon M. de Grave, est de porter la vision d'une société plus juste et soutenable « auprès des porteurs de projets, des entreprises, des citoyens en général et des pouvoirs publics et de les accompagner dans cette phase de transformation ».

 

Alternatif ou capitaliste ?
Aujourd'hui, il suffit de voir l'importance qu'a prise une société comme « Airbnb » pour mesurer le poids croissant de l'économie collaborative. Plusieurs économistes critiquent aujourd'hui les termes « partage » ou « collaboration » qui font référence au concept.
« Il y a certainement une forme d'ambiguïté dans les termes utilisés. "Airbnb" par exemple n'est certainement pas équivalent à ce qu'on appelle du couchsurfing. Ce dernier fait référence à un service gratuit et non monétisé », rappelle Louis-David Benyayer.
La société « Airbnb » vaut aujourd'hui 7,5 milliards d'euros, presque autant que le groupe « Accor ». « C'est donc sûr que le terme peut faire réagir », précise l'expert. Il explique qu'il n'y a pas de « partage d'équilibre » entre le détenteur du bien ou du service et celui qui bénéficie de ces derniers.
Il conclut en expliquant que ces start-up sont construites sur des « logiques capitalistes très explicites ». « N'oublions pas que ces entreprises vivent dans un monde capitaliste et qu'elles sont financées par des actionnaires. »
Aujourd'hui l'économie collaborative est toujours dans sa phase de puberté. Faire confiance à un étranger pour faire le taxi, promener son chien ou faire ses courses est quelque chose qui reste toujours difficile pour la grande majorité de la population.
Avec le temps, nous entrerons peut-être dans un monde où l'économie collaborative sera plus globale ; un mode où le collaboratif deviendra peut-être la norme. Affaire à suivre.

 

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