Le patriarche maronite, le cardinal Béchara Raï, a rendu visite hier au nouveau mufti de la République, cheikh Abdellatif Deriane, qu'il a félicité après son investiture et auquel il a rendu hommage pour les positions qu'il a prises dans son discours ce jour-là.
Dans une courte déclaration qu'il a préparée pour l'occasion, le patriarche a affirmé qu'il fallait franchir « des pas supplémentaires » en direction de la consolidation de la vie commune et mettre en application la décentralisation administrative prévue par le document d'entente nationale.
Il a également dénoncé le détournement de la démocratie consensuelle au profit d'une « alliance » qui cherche à exercer son hégémonie sur le Liban, s'indignant aussi que, plus de 90 ans après la proclamation du Grand Liban, certains proposent la tenue d'un « congrès constitutif ». Tout ce qu'il faut, pour le patriarche Raï, c'est appliquer le document d'entente nationale « dans son esprit et sa lettre ».
Sommet interreligieux demain
Par la même occasion, on annonçait de source officielle qu'à l'insistance du mufti de la République, le sommet interreligieux islamo-chrétien dont l'idée avait été lancée par le patriarche maronite se tiendra demain, à Dar el-Fatwa même, en présence de représentants des patriarches orientaux se trouvant en dehors du Liban et des chefs des communautés islamiques.
Selon les organisateurs, le sommet « envisagera ce qu'il est possible de faire pour renforcer l'unité et la solidarité nationales face à des dangers qui ne sont plus lointains ou même imminents, mais qui sont désormais là ! ».
« Il est évident, a-t-on ajouté de même source, que parmi les sujets qui seront abordés, figure celui d'une élection présidentielle qui a trop tardé. »
La délégation accompagnant le patriarche comprenait en outre l'archevêque de Beyrouth, Boulos Matar, ainsi que trois vicaires patriarcaux, Samir Mazloum, Joseph Mouawad et Hanna Alouane, ainsi que les pères Nabil Ters et Joseph Boueiri.
Aux côtés du nouveau mufti siégeaient notamment le secrétaire général de Dar el-Fatwa, cheikh Amine Kurdi, son conseiller cheikh Mohammad Assaf, le juge Mohammad Nokkari et le directeur général des wakfs, cheikh Hicham Khalifé.
En outre, les deux coprésidents du comité national pour le dialogue Mohammad Sammak et Hareth Chéhab étaient présents.
(Lire aussi : Une déclaration commune se substituerait au sommet islamo-chrétien)
Dar el-Fatwa ouvre son cœur et ses portes
Dans sa réponse au propos du patriarche, le mufti Deriane a mis l'accent sur le fait que, sans un président de la République, le pays ne peut faire face aux dangers qui le menacent.
« Nous nous faisons tous l'écho des demandes répétées du patriarche à ce propos. Nous sommes à ses côtés, et pour cela, Dar el-Fatwa ouvre non seulement ses portes, mais aussi son cœur », a dit cheikh Abdellatif Deriane.
Dar el-Fatwa restera toujours fidèle à la vie commune et œuvrera à promouvoir cette vie commune non seulement au Liban, mais dans le monde arabe aussi, a ajouté le mufti.
Et d'enchaîner : « Le Liban ne pourrait jamais survivre s'il était d'une seule couleur, et nous ne permettrons jamais que qui que ce soit nuise à la convivialité que nous avons toujours proposée à nos frères arabes. »
Le discours patriarcal
Voici par ailleurs de larges extraits de la note lue par le patriarche Raï à Dar el-Fatwa :
« Nous appuyons pleinement la teneur du discours d'investiture, qui a ouvert des horizons nouveaux du point de vue national, musulman et convivial. Mais nous souhaitons que des pas supplémentaires soient franchis en ce qui concerne le resserrement des liens d'unité et de coopération entre nous, et que nos visions et nos efforts sur le plan social, dans le domaine de la croissance économique et sur le plan national soient concertés.
« Socialement, les musulmans et les chrétiens du Liban forment une seule famille ayant un seul destin, une culture commune qui s'est enrichie des valeurs et traditions aussi bien islamiques que chrétiennes. Cette culture est caractérisée par sa chaleur humaine, son sens de l'hospitalité et l'ouverture à l'autre dans sa différence ; elle s'incarne dans la convivialité et est réglementée par la Constitution. Aujourd'hui, en pleine crise interne, alors que nous subissons les contrecoups des divisions, des crises, des guerres et des organisations takfiristes et terroristes, le grand défi consiste à protéger notre culture libanaise commune, à la développer, à la diffuser et à la passer aux générations montantes ; la culture est ce qui protège les patries et les délivre de leurs crises. »
Le Libanais défiguré par la corruption
« Sur le plan du développement, il convient de coopérer afin de développer l'homme libanais à tous les points de vue : spirituellement, culturellement, moralement, économiquement et socialement. Mais les événements en cours, les divisons politiques, la crise économique, la corruption rampante dans le secteur public, la décadence morale, l'extension des allégeances sectaires et des animosités ont défiguré le visage de cet homme libanais. Et nous nous interrogeons : sommes-nous bien au Liban?
« Il est également indispensable de coopérer avec la société civile et de demander à l'État de développer de façon équilibrée toutes les régions du Liban, aussi bien l'infrastructure que l'emploi ou l'habitat. Pour atteindre ce but, nous pensons que la décentralisation administrative élargie, telle que prévue par le document d'entente nationale, est indispensable.
« Comme le dit le pape Paul VI d'heureuse mémoire : "Le développement est le nouveau nom de la paix" (Populorum progressio, 87). »
Sur le plan national
« Sur le plan national, il est de notre devoir comme chefs religieux de nous faire les garants des valeurs spirituelles et morales, et par conséquent des principes constitutionnels et constantes nationales (...) de les défendre toutes et de demander à la communauté politique de les appliquer (...) Mais nous n'avons pas le droit, 94 ans après la création du Grand Liban, après l'adoption du document d'entente nationale et de la Constitution qui s'en inspire, après avoir consacré le pacte national et la formule libanaise, de nous demander : "Quel Liban voulons-nous ?", ou de parler d'un "congrès constitutif" ou d'une "répartition par tiers" du pouvoir, et aucune composante, aucune alliance politique ou sectaire n'a le droit d'exercer une hégémonie sur le pays et d'instrumentaliser à son avantage la démocratie consensuelle qui est là pour le bien de tous. Il faut faire allégeance au Liban d'abord et respecter la Constitution et le pacte, appliquer le document d'entente nationale dans sa lettre et son esprit, et en combler les lacunes qui font obstacle au bon fonctionnement des institutions, après une expérience de 15 ans.
« Tout en faisant la claire distinction entre les principes et constantes que nous avons le devoir de défendre en tant que dignitaires religieux, et les techniques politiques et économiques qui sont du ressort de la communauté politique, nous ne pouvons, en toute conscience, nous taire face à l'oppression, à la tyrannie et aux violations des principes et constantes nationaux. Nous nous trouvons en même temps obligés d'œuvrer à une entente entre les deux camps du 14 et du 8 Mars, à l'élection d'un président de la République, à l'avènement d'une réconciliation nationale, et à veiller à la bonne marche des institutions (...) C'est de la sorte que nous nous préparons au cours des six prochaines années à la célébration du centenaire de la proclamation du Grand Liban (1920-2020). »
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