La récente déclaration du patriarche maronite, Mgr Béchara Raï, qui a renvoyé autant au 8 Mars qu'au 14 Mars la responsabilité du blocage de la présidentielle a suscité une réaction immédiate de la part du député des Forces libanaises, Antoine Zahra. Dans une déclaration publiée hier, qui s'adresse directement et franchement au patriarche, le député a d'abord rappelé que « le 14 Mars soutient un candidat déclaré, avec un programme clair, et s'attache à l'esprit et à la lettre de la Constitution, ainsi qu'aux normes de l'exercice politique ». « Malgré tout cela, a-t-il poursuivi, le 14 Mars a déclaré sa disposition à appuyer un candidat consensuel, étant prêt à renoncer à la candidature initiale qu'il soutient. »
Dès lors, « comment généraliser et renvoyer la responsabilité du vide à toutes les parties sans distinction? Comment vous permettez-vous, en tant qu'autorité spirituelle, qui incarne la morale et la conscience, de mettre sur un pied d'égalité ceux qui honorent la Constitution et ceux qui la paralysent, à l'heure où les députés du 14 Mars, du Front de lutte nationale et du bloc du président de la Chambre se présentent à toutes les séances électorales ? », a-t-il demandé, en s'adressant au patriarche. Il a ainsi estimé que le patriarche « bafoue le droit et la vérité, en traitant de la même manière les ayants droit et ceux qui violent le droit ».
Le député des FL s'est en même temps montré compréhensif face à l'attitude de Bkerké de ne pas prendre position en faveur d'une partie contre une autre. « Mais alors, pourquoi ne vous engagez-vous pas à ne prendre aucune position tout court? » s'est-il encore interrogé. « Sinon, s'il est une position à défendre, celle-ci ne devrait pas être injuste à l'égard d'un grand groupe qui déploie tous ses efforts pour élire un président de la République », a ajouté Antoine Zahra.
Commentant par ailleurs les propos de Mgr Raï sur la nécessité pour les deux camps, du 8 et du 14 Mars, de « cesser d'avancer sur deux voies séparées », le député des Forces libanaises s'est « permis » de demander au patriarche comment il souhaite mettre en œuvre ce souhait. Il s'est lancé dans une série d'interrogations rhétoriques dénonçant indirectement le comportement du 8 Mars, qu'il serait en outre impossible pour le 14 Mars de cautionner.
« Que voulez-vous que nous fassions ? Devons-nous porter les armes et rejoindre les Brigades de la résistance ? Demandez-vous notre participation aux combats en Syrie ? Voulez-vous que nous boycottions les séances électorales ? Voulez-vous que nous vous accusions de trahison à cause de votre visite en Terre sainte ? Devons-nous manifester notre force contre l'État et les institutions ? Ou encore mettre les mains sur les institutions publiques et les paralyser ? Souhaitez-vous nous voir recourir aux blocages des routes et aux rapts ? » s'est demandé Antoine Zahra dans son communiqué.
Dans un contexte où « deux projets politiques s'affrontent au Liban », non seulement le discours de Bkerké « est infondé et contribue à leurrer l'opinion publique », mais il trahirait une partialité du patriarche. « C'est vous, en personne, qui soutenez, par vos positions, l'un de ces deux projets », lui a lancé le député des FL. « Tant que vous y êtes, pouvez-vous convaincre le 8 Mars au moins de prendre part aux séances électorales, à défaut de pouvoir miraculeusement lui faire changer de projet ? » a-t-il conclu.
La virulence de cette déclaration, quoique atténuée par une source des Forces libanaises qui préfère évoquer « un blâme affectif », semble à première vue démesurée. En effet, Bkerké n'a jamais dissimulé son indignation face au boycottage des séances électorales, dont il avait renvoyé presque nommément la responsabilité au bloc du Changement et de la Réforme. D'ailleurs, dans sa récente déclaration, le patriarche maronite a repris la teneur de sa position constante sur la question du boycottage, en défendant « la continuité de la séance électorale, censée rester ouverte jusqu'à l'élection d'un nouveau chef de l'État ». C'est ce qu'il aurait proposé, mais en vain, au président de la Chambre, poussant ainsi jusqu'au bout la logique du 14 Mars.
Y aurait-il un revirement non déclaré de la position de Bkerké, incitant les FL à y réagir ? « Pas du tout, notre relation avec Bkerké est excellente et le reste », répond la source des FL interrogée par L'Orient-Le Jour. « Mais nous ne faisons que prier notre père spirituel de ne pas nous réprimander pour une faute commise par notre frère », ajoute cette source limitant à cela la teneur de la déclaration du député Antoine Zahra. Si la source confirme que « le patriarche se positionne avec le 14 Mars sur la présidentielle », elle se dit soucieuse de l'impact qu'aurait « sur l'opinion publique » un discours plaçant toutes les parties dans un même panier. Pour les FL donc, même si la déclaration du patriarche est de pure forme, elle est critiquable par principe. « Elle occulte injustement les efforts déversés pour combler la vacance présidentielle », explique la source des FL, sans plus.
Pour sa part, le bloc du Changement et de la Réforme n'a pas pris l'initiative de réagir à la déclaration du patriarche. Prié par L'OLJ de la commenter, le député Alain Aoun a affirmé « adhérer à la position du patriarche en ce qui concerne la responsabilité incombant au 14 Mars ». Il s'abstient toutefois de commenter la relation du Courant patriotique libre avec Bkerké, « qui ne varie pas en fonction des prises de position ».
Revenant à la présidentielle, il relève que « même si le 14 Mars se rend à la séance électorale, cette démarche sert les apparences et n'est pas le gage d'une volonté réelle de débloquer la présidentielle ». Pour Alain Aoun, l'initiative du 14 Mars sur la présidentielle n'est pas suffisante, « puisqu'elle ne répond pas à la solution que nous préconisons : le dossier ne se réglera pas en écartant de la course les candidats forts d'une légitimité populaire et représentatifs de la scène chrétienne ».
Face au blocage né du schisme politique, tel que l'a diagnostiqué le patriarche, il existerait une issue possible, relevant directement de Bkerké : et si la légitimité chrétienne pouvait être accordée exclusivement par le siège patriarcal ? À cette question, les FL et le CPL s'entendent à considérer ce scénario comme hors de propos. « Seuls le choix du peuple et le vote des chrétiens définissent la représentativité d'un candidat à la présidence. Ce n'est pas à l'Église d'assumer une responsabilité à ce niveau », affirme Alain Aoun. Il précise, en réponse à une question, que « ce qui est attendu aujourd'hui de Bkerké est de dire le vrai ». Pour sa part, la source des FL répond d'abord que « Bkerké ne s'est pas décidé à jouer le rôle de choisir un candidat. En tout cas, il ne pourrait accomplir ce rôle sans se concerter préalablement avec toutes les parties ».
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commentaires (8)
CORRECTION ! MERCI : "On connait l'opposition entre 1 secte "courant d’air" orange et 1 vrai courant politique éhhh tel celui des Öûééétes".
ANTOINE-SERGE KARAMAOUN
17 h 59, le 15 septembre 2014