C'est surtout la manière dont il a été mis fin à sa vie – non pas tant sa mort en tant que telle, théoriquement escomptée en circonstances de guerre pour un soldat enrôlé depuis dix ans dans l'armée – qui peut expliquer l'immense colère qui s'est emparée hier des habitants du village de Fnaydek, où a été enterré son héros, Ali Sayyed.
Le fait également que c'est leur fils qui a été sélectionné en premier parmi les trente otages restants pour subir une mort épouvantable et en tous points, inhumaine et barbare, devait accentuer encore plus la douleur de ses proches et exacerber la révolte de certains parmi eux exprimée hier lors des obsèques. Le militaire a été décapité par l'État islamique (EI, ex-Daech) et ses souffrances cruellement exhibées dans des scènes d'une rare violence à l'aide d'une vidéo qui a circulé sur les médias sociaux.
L'étalage de force – les tirs à partir d'armes automatiques ont ponctué le chemin du cortège sur plusieurs kilomètres – n'était rien moins qu'un signe d'« écœurement » qui sera clairement exprimé par l'oncle du défunt, lors des obsèques. Dans un communiqué d'une rare violence, ce dernier a fait assumer à l'armée et au gouvernement le sort réservé au soldat Ali Sayyed.
« Nous faisons assumer la responsabilité à l'institution militaire qui a vendu son soldat, cette institution à laquelle il appartenait. Son commandant l'a trahi, les politiciens l'ont trahi, le gouvernement l'a trahi », affirme le communiqué. « Nous en avons assez de vous, nous avons eu assez de cet État », ajoute le texte.
Une réaction qui tranche toutefois avec celle bien plus mesurée du père, qui a demandé à ce que les armes se taisent pour protéger les civils de tout débordement. Des mesures de sécurité importantes ont d'ailleurs été prises sur le parcours du convoi funèbre et dans la région de Akkar. Toutes les routes menant au Liban-Nord au niveau du Qalamoun étaient hermétiquement fermées, à l'exception de celle de Koura.
« Mon fils est le martyr de tout le Liban », a martelé le père de Ali, d'une voix brisée par la douleur, suppliant presque les jihadistes de se contenter de la mort de sa progéniture et d'« épargner aux autres leurs vies ». Il a également formulé une exhortation d'une rare sagesse, demandant aux citoyens du village de ne pas chercher à venger son fils en s'en prenant aux réfugiés syriens, particulièrement nombreux dans la localité.
Une position qui surprend lorsqu'elle est comparée à celle de l'oncle de la victime qui n'a pas mâché ses mots en parlant de l'institution militaire et de son chef, l'accusant d'être restée passive à l'égard de la vie de l'un de ses soldats.
Des propos qui ne peuvent être aisément compris par la simple douleur de la perte d'un neveu, d'autant que les drapeaux de l'armée ont été brandis aux côtés des drapeaux libanais par les habitants de la bourgade alors qu'ils accueillaient la dépouille mortelle. La position de l'oncle détonnait clairement du reste de la foule.
Selon une source de sécurité autorisée, le problème est que la mort violente de Ali Sayyed est due au fait qu'il avait effectivement déserté l'armée au début des accrochages à Ersal pour aller rejoindre l'État islamique pour le regretter sitôt après. Ali Sayyed était en effet apparu le 3 août dernier dans une vidéo aux côtés d'un autre soldat, Abdel Rahman Diab, annonçant leur défection pour aller rejoindre les jihadistes. Une vidéo qui a laissé plus d'un perplexe, suscitant par ailleurs des doutes sérieux sur la libre volonté de désertion exprimée par les soldats.
Pour la source sécuritaire, l'intention des deux soldats était sans aucun doute sérieuse au départ. « Nous savons également que Ali Sayyed a pris contact avec son oncle par la suite pour lui demander de tenter de le sortir de pétrin. C'est probablement la raison pour laquelle ils l'ont tué », croit savoir la source, qui stigmatise en de vifs termes la décapitation du soldat. La famille de Ali crie au scandale et assure que leur fils, un serviteur de l'armée pendant toute une décennie, n'est en aucun cas un déserteur.
Autre élément intriguant dans cette histoire : le fait que son compagnon, Abdel Rahman Diab, qui est pourtant apparu dans la vidéo montrant les neuf militaires de l'armée détenus par l'EI, n'est autre que le parent proche du chef de cette formation dans le jurd, Yahya al-Hamad Abou Talal, alias Abou Malek. La famille de ce dernier n'a plus aucune nouvelle de lui et personne ne sait s'il est toujours du côté des bourreaux, ou s'il est passé, comme Ali, dans le camp des otages.
Pour compliquer encore plus les choses, l'EI a annoncé hier sur son site « avoir écarté Abou Talal des négociations dans l'affaire des soldats retenus, confiant le dossier à Abou Hassan al-Souri ». Il reste à voir si c'est une bonne ou une mauvaise nouvelle dans ce cas de figure.
(Pour mémoire : Un échange de prisonniers serait un passage obligé pour la libération des militaires détenus par al-Nosra)
Ces révélations sont-elles pour autant suffisantes pour croire que l'EI pourrait suspendre un moment son appétence de sang et s'abstenir de mettre à exécution les funestes promesses de mort formulées mardi par le dénommé Abou Massaab Hafid al-Baghdadi, qui affirmait que le groupe jihadiste pourrait assassiner un deuxième soldat ?
« Nous n'avons aucune assurance sur ce plan, ni dans un sens ni dans un autre », assure une source proche du dossier, qui confirme toutefois que les milieux politiques carburent à fond pour tenter de trouver une issue, notamment par l'intermédiaire d'un médiateur externe.
Entre-temps, la grogne des familles des otages monte jour après jour, leur unique voix de recours étant pour l'instant le blocage des rues. Hier, plusieurs axes en différentes régions ont été coupés pour la énième journée. À Nahr el-Kalb, ce sont les participants au cortège funèbre de Ali Sayyed qui ont bloqué l'axe principal au niveau du pont, pour protester contre tous ceux au sein de la classe politique « qui refusent le principe des négociations en vue de la libération des militaires ».
Des manifestations de révolte ascendante qui ne sauraient malheureusement sortir pour autant l'État de cet inextricable dilemme : choisir entre la vie de ses citoyens-otages et l'avenir de l'État, menacé d'effondrement par la demande de libération des détenus islamistes les plus dangereux.
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c'est un heros national et l'Etat est encore en train de tergiverser. Mais agissez!!! D'autres soldats libanais vont etre decapites encore! Qu'attendez-vous? Surtout pas la liberation des detenus islamiques!
07 h 49, le 05 septembre 2014