Il y a d'abord une langue qui fourche. Avec tous les défauts, et ils sont nombreux, qui collent à la peau de la bête politique absolue qu'il est devenu, année après année, Walid Joumblatt reste le leader le plus smart et le plus drôle qui soit : son lapsus des Michel à Brih, spontané ou fabriqué, est déjà d'anthologie. Il y a ensuite l'opéra-rock des rumeurs : elles disent toutes, et parfois de sources très sûres, que ça y est, le deal entre la Maison du Centre et Rabieh est quasi finalisé, avec tout ce que cela draine de fantasmagories en tout genre. Il y a enfin la translation géographique, la mécanique des fluides en marche : le presque selfie névrotique Hariri-Geagea, rive droite, a fait s'emballer tout le landernau local. Un lapsus, des rumeurs, une rencontre : les amoureux transis de l'orange sabrent le champagne.
Mais quel président sera-t-il...
Lui président de la République, il s'intronisera aussi Premier ministre et (sans doute) trente ministres – et pourquoi pas, commandant en chef de l'armée, de facto. Lui président de la République, il érigera le népotisme en un tel art de (sur)vivre, entre gendre, neveu, médecins personnels, etc., qu'il fera passer les Borgia pour des démocrates acharnés et stakhanovistes. Lui président de la République, et Michel Chiha fera de la gymnastique acrobatique dans sa tombe. Lui président de la République, il facilitera comme personne l'inscription de la wilayet el-faqih dans la Constitution libanaise. Lui président de la République, il permettra au Hezbollah de se renforcer en six ans comme il ne l'a pas fait en vingt, et dynamitera les (infimes) espoirs de la troupe de voir sa capacité militaire dopée. Lui président de la République, et l'hystérie relationnelle Émile Lahoud-Rafic Hariri, un des pires schémas que le Liban contemporain ait connu, se reproduira avec tous les dommages collatéraux possibles et imaginables, à commencer par la systématisation du blocage politique. Lui président de la République, et ce sont les lambeaux mêmes de l'État, c'est d'ailleurs tout ce qui en reste, qui seront métastasés. Lui président de la République, et c'est l'image du Liban à l'étranger qui en prendra un nouveau coup, un énième coup, un sacré coup. Lui président de la République, et voilà la moitié des journalistes (au moins) qui devra s'habituer à se faire traiter au quotidien de tous les noms, sur tous les tons. Lui président de la République, et la démagogie, le populisme, le poujadisme aussi, naturellement noyés de surdoses d'autoritarisme quasi baassiste, refleuriront tous azimuts. Lui président de la République, et la diaspora libanaise dans le monde gonflera, gonflera, gonflera. Lui président de la République, et toutes les idées positives de quelques-uns de ses lieutenants (si : elles existent, et parfois, elles sont assez brillantes) s'échoueront, mort-nées, sur les Everest de sa gloutonnerie à gouverner seul, enfin Napoléon, Napoléon enfin, avec le palais de Baabda pour Notre-Dame et Mgr Raï pour Pie VII. Lui président de la République, et ce sera un bien triste Liban.
Sauf que... Lui président de la République, et une opposition, une vraie, un 14 Mars-phénix, pourrait finalement (re)voir le jour. À quelque chose malheur est bon : au Liban, on a appris, depuis longtemps, à se consoler comme on peut. Affligeant.
Liban
Orange is the new black
OLJ / Par Ziyad MAKHOUL, le 19 mai 2014 à 00h00
CORRECTION ! Merci : ".... de visages blêmes qui traficotent "du Sacré" et de fétides métamorphoses...."
03 h 51, le 21 mai 2014