Au commencement, était Béchara el-Khoury.
Ce n'est pas que Charles Debbas, Antoine Privat-Aubouard et ses trente jours, Habib Pacha el-Saad, Émile Eddé, Pierre-Georges Arlabosse et ses cinq jours, Alfred Naccache, Ayoub Tabet et Petro Trad et ses deux mois n'étaient pas, en général, de braves messieurs, mais c'étaient juste des mandataires, des gouverneurs plus ou moins dociles, bons soldats.
Béchara el-Khoury est le président de la République du Liban originel. Avec ses copains d'abord, Riad el-Solh, Majid Arslane, Adel Osseirane, Salim Takla et Habib Abou Chahla, il avait été au/le cœur d'une révolution du Cèdre primitive et fondatrice. Camille Chamoun n'avait rien à envier à JFK, mélange de flamboyance absolue et d'intelligence aiguisée au couteau. Fouad Chéhab était Janus : impeccable de probité, de droiture et d'efficacité, mais garant d'un bureau de sinistre mémoire. Charles Hélou était une sorte de Pompidou, mais les Libanais se souviennent malheureusement davantage des désastreux accords du Caire qu'il a signés que de sa bienveillance. Sleimane Frangié était une épée, bénéfique et nocive, le premier généticien, zélé, du clonage du Liban sur la Syrie. Élias Sarkis, le brave Élias Sarkis, restera comme le plus incompris des présidents libanais ; c'est lui, pourtant, qui aura été le premier des vrais résistants. Béchir Gemayel, ou l'étoile dynamitée, l'espérance assassinée. Amine Gemayel, à qui l'on doit de très courageuses initiatives, mais aussi la décision la plus hallucinée de toute l'histoire du Liban : celle de nommer le commandant en chef de l'armée de l'époque, un certain Michel Aoun, au poste de Premier ministre, au poste, en réalité, de président et de six ministres. René Moawad aurait pu faire des merveilles. Élias Hraoui était très sympathique, il défendait le mariage civil, mais c'était malheureusement tout. Émile Lahoud, prosyrien jusqu'à la moelle, a construit une autoroute reliant Baabdate à la côte. Enfin, Michel Sleiman a été, malgré son infinie frilosité au début de son mandat, l'exception qui confirme la règle : oui, un ancien militaire peut faire un excellent chef d'État.
Et maintenant ? Maintenant, tout le Maronistan gigote. Le Maronistan s'affole. Et s'agite. Et s'approche de la crise de nerfs carabinée. La grande majorité des maronites de plus de 21 ans, de l'illustre inconnu plouc nouveau riche avec le drapeau libanais bien en vue sur son bureau dans la photo, jusqu'au plus chevronné des leaders politiques, se met à rêver, plus ou moins fort, plus ou moins publiquement, plus ou moins habilement. Les peaux d'ours se vendent par douzaines, les châteaux en Espagne se dessinent en 3D, les plans se tirent sur cent et une comètes, tout devient matière à fantasmes, à espoirs, à tractations, à calculs, à ballets – et les Médicis se retournent dans leurs tombes. Le pire : les épouses (et les maîtresses...) de ces hommes, qui vendraient un rein pour prendre la succession de Wafa' Sleiman. Elles préparent, tricotent, commandent, achètent, appellent les pâtissiers, réservent les décorateurs, expliquent au coiffeur que désormais il aura sa chambre au palais de Baabda, tellement affolées qu'elles en deviennent extrêmement touchantes.
Et les Libanais ? Ils regardent. Sans savoir exactement quel sourire afficher pour l'occasion. Résignés. Résignés à rester ad vitam un peuple de seconde zone, qui ne choisit pas lui-même son président, confessionnalisme politique ou pas, peu importe. Résignés à laisser faire des députés qu'ils ont élus mais qu'ils méprisent, pour la plupart d'entre eux. Résignés à supporter les caprices de diva hitchcockienne de Nabih Berry, plus Marlene Dietrich sur le retour que jamais. Résignés à se contenter, au mieux d'un Jean Obeid, charmant au demeurant, mais qui ne représente personne ou presque, au pire, d'un Jean Kahwagi totalement dépassé par les événements. Résignés. Comme d'habitude. Comme toujours.
Les jardins méditerranéens à Amchit de Michel et Wafa' Sleiman attendent impatiemment le 24 mai. Et de là-haut, Nassib Lahoud sourit. Pas mécontent.
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AU MARONISTAN : CHACUN AVEC SON PISTON !
LA LIBRE EXPRESSION
13 h 00, le 30 mars 2014