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Économie - Des villes et la crise

À Zahlé, un malaise bien plus social qu’économique

Depuis le début de la guerre en Syrie, comment la crise se fait-elle ressentir sur l'économie des villes libanaises ? Commerces, tourisme, agriculture, industries : comment ces moteurs ont-ils été affectés ? Dans sa nouvelle rubrique, « Des villes et la crise », « L'Orient-Le Jour » propose tous les mois le portrait économique d'une ville face à la crise syrienne. Deuxième étape : Zahlé, troisième ville du pays.

À Zahlé, la tension sociale est à son paroxysme.

Son bureau a comme des allures de tour de contrôle. Ghassan Saliba, directeur général de Berdawni Water, se dit de plus en plus préoccupé par la sécurité de son site industriel depuis l'afflux grandissant de réfugiés syriens. Trône dans la pièce, un écran géant quadrillé de 32 fenêtres, lui offrant autant de points de vue sur l'ensemble du site de mise en bouteille.

Depuis que sa caisse a été volée il y a trois mois, l'homme d'affaires a bien l'intention de prendre toutes les mesures nécessaires pour renforcer la sécurité des lieux. « Outre les 32 caméras, j'ai également fait installer deux alarmes et compte embaucher trois agents de sécurité, poursuit-t-il. Au total, il faudra compter quelque 2 500 dollars par mois pour assurer la sécurité du site. »


Sur la question des réfugiés, Joseph Maalouf, le président de la municipalité de Zahlé, ne cache pas, lui non plus, son inquiétude. « C'est un très lourd fardeau pour le Liban, estime-t-il. Pour la Békaa, c'est encore pire. Il est même difficile d'établir un recensement précis des réfugiés, tant l'afflux est important et diffère tous les mois. »
Selon les chiffres de la municipalité, 75 % des déplacés syriens au Liban trouveraient refuge dans la Békaa, qui accueillerait ainsi quelques 800 000 déplacés. Dans la ville de Zahlé, le chiffre serait de 25 000 réfugiés pour 150 000 habitants.


« Évidemment, cette présence se fait ressentir sur l'économie locale, insiste le président de la municipalité. Ramassage d'ordures, eau, électricité... elle pèse de plus en plus lourd sur les infrastructures de la ville. Le seul ramassage des 50 tonnes quotidiennes de déchets rejetés par les réfugiés coûte chaque jour 600 dollars à la municipalité. »

 

 

 

 

Près de 70 % d'économie avec la main-d'œuvre syrienne
Outre le poids sur les infrastructures, M. Maalouf souligne les effets de la présence syrienne sur le marché de l'emploi.
« Restauration, menuiserie, garages... Les réfugiés syriens commencent à ouvrir leur propre commerce, et ce dans tous les domaines, concurrençant directement l'offre libanaise », ajoute le président de la municipalité.


Pour Saïd Gédéon, président de la Chambre de commerce et d'industrie de Zahlé, « la compétition sur le marché du travail s'est accentuée après l'été 2013, durant lequel l'afflux de réfugiés syriens s'est encore accéléré ».
« La concurrence entre travailleurs libanais et syriens a alors redoublé surtout en ce qui concerne les métiers un peu plus spécialisés, explique-t-il. Les industriels zahliotes subissent aujourd'hui une telle pression qu'ils sont tentés de se tourner vers lamain-d'œuvre syrienne moins coûteuse pour réaliser des économies. » Car le salaire d'un employé syrien peut coûter deux fois moins cher à l'employeur, et ce dernier ne déclare pas cette main-d'œuvre, de même qu'il ne paie pas non plus de charges sociales. « Au total, l'employeur peut réaliser jusqu'à 70 % d'économie en se tournant vers la main-d'œuvre syrienne », ajoute Saïd Gédéon.
Une pratique qui ne fait qu'accentuer la tension sociale déjà lourdement pesante à Zahlé, alimentant les craintes des travailleurs libanais et aussi des employeurs. « Il y a encore des travailleurs libanais, souligne Saïd Gédéon, mais je ne sais pas jusqu'à quand... ».

De son côté, le président de la municipalité estime que « si les choses continuent ainsi, il y aura forcément confrontation entre Libanais et Syriens. Il n'y a pas de place pour tout le monde », affirme-t-il.

 

Les ONG, un stimulant pour l'économie locale ?
Si la crise syrienne a mis en concurrence directe travailleurs libanais et syriens, elle a en parallèle attiré de nombreuses ONG dans la ville de Zahlé même, créant de la même manière de nouveaux emplois locaux.
« Que ce soit des postes d'administrateurs, de chauffeurs ou de managers, des milliers d'emplois sont nés du travail des ONG », estime Saïd Gédéon. Même s'il est difficile de savoir précisément combien l'ont été à Zahlé, pour le responsable de la Chambre de commerce et d'agriculture de Zahlé, la tendance est significative pour les habitants. « Beaucoup de jeunes préfèrent travailler pour ces ONG même sur le court terme plutôt que de conserver des emplois assurés sur le long terme mais moins bien rémunérés. »


Selon l'Agence des Nations unies pour les réfugiés (HCR), une trentaine d'ONG opèrent aujourd'hui à Zahlé. Parmi elles, Save The Chidren, dont les employés sont passés de 40 à la mi-septembre à près de 150 aujourd'hui. « Nous avons plus que doublé nos opérations depuis le mois d'octobre, explique Benoît Delsarte, responsable pour la zone Békaa. Nos projets ont pris une dimension supplémentaire, notamment avec les programmes hivernaux dont la distribution de 5 000 cartes bancaires aux réfugiés syriens. »
Enfin, selon les estimations du responsable, l'activité de l'ONG nécessiterait localement quelques dizaines de milliers de dollars de frais de fonctionnement, notamment pour les écoles, les fournitures...


Pour le seul mois de janvier dernier, 10 278 réfugiés syriens à Zahlé ont bénéficié du programme de bons alimentaires du PAM (Programme alimentaire mondial), soit 308 000 dollars injectés dans l'économie de la ville sur ce seul mois. À l'échelle de la Békaa, Laure Chadraoui, chargée des relations publiques au PAM, estime que 44 millions de dollars ont ainsi bénéficié à la région en 2013 grâce aux bons alimentaires. « Ce programme bénéficie directement aux commerçants locaux avec qui nous effectuons un partenariat, ajoute la responsable du PAM. Sur ces 110 magasins concernés dans la Békaa, 32 % ont recruté suite au programme et 13 % ont augmenté les salaires de leurs employés. »


Des retombées d'autant plus positives pour l'économie qu'un accord a été signé le mois dernier entre le ministre de l'Industrie et les agences onusiennes basées au Liban afin que ces dernières se fournissent en priorité en produits libanais. Cet accord concerne les besoins du PNUD, du HCR, du PAM, et de l'Unicef, notamment dans le cadre de leur aide aux réfugiés syriens. La valeur des achats effectués en 2013 dans le cadre de l'aide aux déplacés syriens a atteint près d'un milliard de dollars.

 

Les profits du secteur agricole ont doublé en 2013
Autre retombée positive issue de la crise syrienne : le nouveau dynamisme du secteur agricole, fer de lance de l'économie zahliote.
« L'année 2013 a été une excellente année pour l'agriculture libanaise et pour le secteur zahliote en particulier, sachant que la Békaa représente la moitié de la surface agricole du pays », explique Tony Tohmé, vice-président de l'Association des agriculteurs libanais.
Ce dernier est également propriétaire de quelque 1 500 hectares agricoles à Zahlé. Selon lui, plusieurs facteurs peuvent expliquer le nouveau dynamisme du secteur agricole en 2013. En premier lieu, l'absence de la Syrie sur l'échiquier régional a joué un rôle majeur.
« Avec les événements, les produits syriens n'ont plus pénétré sur le marché libanais, tandis que les agriculteurs locaux ont pu récupérer les marchés arabes autrefois détenus par les producteurs syriens. » Les exportations agricoles libanaises ont ainsi grimpé de 25 % en 2013 et de 12 % pour celles en provenance de Zahlé.


Mais ce n'est pas tout, selon Tony Tohmé. Les profits du secteur agricole auraient doublé en 2013. « L'absence de la Syrie sur le marché a poussé les prix de nos produits à la hausse, ceux des haricots verts par exemple ont plus que triplé en un an ! »
Mais cette envolée des exportations agricoles zahliotes ne se serait pas traduite par de nouveaux investissements. Selon le président de la Chambre de commerce, dans ce contexte de crise, les professionnels peu confiants adoptent une attitude prudente. « Ils préfèrent épargner leurs rentrées d'argent en prévision de lendemains difficiles, explique-t-il. En période d'insécurité, l'heure n'est pas aux prises de risques. »


L'agriculture n'est pas le seul secteur de l'économie zahliote à avoir pu bénéficier de la crise. Selon une source bancaire qui a préféré conserver l'anonymat, « les dépôts bancaires syriens auraient augmenté de plus de 50 % en deux ans dans l'agence zahliote interrogée, et cela représente une source importante de profitabilité car elle concerne surtout des Syriens de la classe moyenne, voire aisée ». Toujours selon cette même source, « même s'il est difficile d'avoir des statistiques précises, en valeur, les dépôts syriens représenteraient la majeure partie du total des dépôts de l'agence ».


« Même s'il existe quelques avantages, nous souhaitons tous que cette crise se termine pour que nous puissions retrouver notre vie normale, insiste M. Gédéon. Nous ne pouvons pas compter sur ces quelques bénéficiaires de la situation, un jour les ONG repartiront et ces emplois aussi. »

 

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Son bureau a comme des allures de tour de contrôle. Ghassan Saliba, directeur général de Berdawni Water, se dit de plus en plus préoccupé par la sécurité de son site industriel depuis l'afflux grandissant de réfugiés syriens. Trône dans la pièce, un écran géant quadrillé de 32 fenêtres, lui offrant autant de points de vue sur l'ensemble du site de mise en bouteille.
Depuis que sa...

commentaires (2)

Les réfugiés syriens à Zahlé sont entrain de remplacer les libanais sans aucun permis de travail.Inacceptable .

Sabbagha Antoine

15 h 14, le 12 mars 2014

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Commentaires (2)

  • Les réfugiés syriens à Zahlé sont entrain de remplacer les libanais sans aucun permis de travail.Inacceptable .

    Sabbagha Antoine

    15 h 14, le 12 mars 2014

  • Il a raison Saïd Gédéon...parceque Gédéoni daïman 3ala hakk....lol! Salut cousin!De la part du fils d'Antoine.Et vive Zahlé,l'indomptable!

    GEDEON Christian

    13 h 45, le 12 mars 2014

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