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Économie - Liban - Des villes et la crise

À Nabatiyeh, des maux économiques bien antérieurs à la crise syrienne

Depuis le début de la guerre en Syrie, comment la crise se fait-elle ressentir sur l'économie des villes libanaises ? Commerces, tourisme, agriculture, industrie, comment ces moteurs ont-ils été affectés ? Dans sa nouvelle rubrique, « Des villes et la crise », « L'Orient-Le Jour » propose tous les mois le portrait économique d'une ville face à la crise syrienne. Première étape : Nabatiyeh au sud du Liban.

« À cause de la crise syrienne, je suis obligé d’acheter mes produits ici, au Liban, explique le coiffeur, au double de ce que je payais auparavant en Syrie ! »

Sur les hauteurs de Nabatiyeh, de somptueuses demeures surplombent la ville dans le quartier cossu d'al-Bayad. Construites en matériaux précieux, bordées par des parures de bougainvillées ou de jasmins, elles témoignent de ce qui constitue le poumon économique de Nabatiyeh : ses émigrés. Une source de revenus stable et continue, qui pourrait en partie expliquer pourquoi la ville n'a été que relativement peu affectée par la crise syrienne et ses effets sur l'économie.


C'est dans ce quartier que vivent depuis 20 ans Zoulfa et son mari. Issus de la seconde génération d'expatriés libanais du Sénégal, ils ont décidé de rentrer à Nabatiyeh par amour pour leurs origines. Depuis, leurs quatre enfants ont successivement quitté le nid familial pour à leur tour repartir en Afrique. Dans le quartier, ils ne sont pas les seuls à avoir « bouclé la boucle ».
« Beaucoup de ces villas sont vides pendant l'année, explique Zoulfa. Elles appartiennent pratiquement toutes à des Libanais d'Afrique qui font les allers-retours entre ici et là-bas. La maison à droite appartient à un homme d'affaires travaillant au Ghana, à gauche vous avez le Sénégal », poursuit-elle. Un peu plus loin, Abidjan, le Nigeria puis le Cameroun...


Selon une source bancaire interrogée par L'Orient-Le Jour, les transferts de fonds auraient continué d'affluer de manière stable à Nabatiyeh depuis le début de la crise syrienne.
« C'est grâce à cela que nous avons pu envoyer nos filles à l'université, précise Zoulfa avec fierté. Dès que mon fils est parti travailler en Afrique, nous avons pu envoyer notre première fille faire ses études à Beyrouth, lui louer un appartement, lui acheter une voiture... »

 

 

 


Même pour ceux qui restent à Nabatiyeh, les liens avec l'extérieur sont encore très forts. Dans les demeures habitées, beaucoup de femmes élèvent seules leurs enfants. C'est le cas de Sarah, 33 ans, qui est revenue vivre au Liban il y a deux ans. « Après onze années passées au Nigeria, j'ai dû revenir avec mes trois filles car la plus grande devait rentrer au collège, explique-t-elle. Mon mari et moi avons alors acheté un appartement ici où vivent également mes parents. Lui continue de travailler au Nigeria et moi je m'occupe de nos filles ici. »
Le mari de Sarah envoie tous les mois environ 4 500 dollars à sa famille. « Lui essaie de revenir nous voir presque tous les mois, ajoute la jeune femme. Un train de vie que nous n'avons pas changé depuis le début de la crise, et ce grâce à son travail en Afrique. »

 

L'activité commerciale dopée par la consommation syrienne ?
En s'enfonçant dans les profondeurs de la ville, les rues sont jonchées de commerces. Primeurs, épiciers, détaillants en tout genre se jouxtent jusqu'au quartier historique de Nabatiyeh, le souk de Hay el-Saray. Ici se révèle l'autre visage de la ville : son identité commerçante.
Entre les arcades du souk, ça se bouscule dans l'épicerie de Soha. Du pain, du thé, du riz... Ce sont surtout les condiments de première nécessité qui s'arrachent. « Avant le début de la crise syrienne, les affaires n'allaient pas aussi bien », livre la commerçante discrètement. Car le quartier populaire concentre une partie importante des réfugiés syriens. « Sans eux, je ne sais pas comment je travaillerai », poursuit-elle.


Un peu plus bas dans le souk, deux hommes se refont une beauté dans le salon de Mohammad, le barbier de Hay el-Saray. Ici, les conclusions sont beaucoup moins optimistes. « À cause de la crise syrienne, je suis obligé d'acheter mes produits ici, au Liban, explique le coiffeur, au double de ce que je payais auparavant en Syrie ! »
Alors bien sûr, Mohammad a été obligé d'augmenter ses prix, faisant passer ses tarifs de 5 000 à 10 000 livres la coupe. « Mais là, je ne peux plus hausser les prix, sinon les clients ne viendront plus », poursuit-il. Contrairement à Soha, Mohammad n'a pas bénéficié d'un surplus de demande provenant des réfugiés syriens.


D'un point de vue macroéconomique, la ville de Nabatiyeh n'a été que peu influencée par les événements en Syrie, explique Wassim Baddredine, le président de l'Association des commerçants de la ville. « La présence de réfugiés syriens est trop minime (3 000 familles pour 40 000 habitants) pour avoir pesé significativement sur la demande locale, explique-t-il. De plus, ces derniers se tournent essentiellement vers des produits de première nécessité peu coûteux. En revanche, il est vrai que la ville a directement bénéficié des événements de Saïda. Pour éviter les événements, les habitants du Sud qui partaient consommer là-bas se sont tournés vers Nabatiyeh à 80 % pour leurs achats. Mais depuis que le calme est revenu là-bas, la tendance commence à s'inverser. »


En ce qui concerne l'emploi, Wassim Baddredine ne considère pas non plus que la crise syrienne ait changé le paysage socio-économique de la ville. « Avant même le début de la guerre, la majorité de la main-d'œuvre travaillant dans le secteur du bâtiment était d'origine syrienne. Bien sûr, depuis fin 2011, ce chiffre a augmenté, mais selon moi, il n'existe pas de concurrence entre Libanais et réfugiés syriens sur le marché de l'emploi. Les Syriens occupent des postes peu qualifiés qui n'intéressent que très peu les Libanais. »
Enfin, en ce qui concerne les prix de location, le président de l'Association des commerçants de Nabatiyeh n'a pas constaté d'évolution quant aux loyers des commerces. En revanche, les prix des locations privées ont augmenté, certains loyers étant passés de 250 000 livres à entre 300 et 400 dollars aujourd'hui.


Pour Kamal Hamdan, économiste originaire de Nabatiyeh, « les problèmes économiques n'ont en réalité rien à voir avec la crise syrienne ».
« Il y a toujours eu une crise économique ici et les choses se poursuivent à présent tout simplement. Un seul emploi ne suffit pas à faire vivre une famille. Les gens de Nabatiyeh vivent pour la plupart grâce à leurs enfants expatriés. »


Pour la ville, le défi reste de transformer ces transferts d'émigrés en investissements productifs, créateurs d'emplois.
« Le modèle économique de la ville, reposant sur l'immigration, ne produit aucune valeur ajoutée et condamne ses résidents à l'émigration, que ce soit à Saïda, Beyrouth ou à l'étranger », ajoute Kamal Hamdan. Un cercle vicieux qui se répète malheureusement de génération en génération.
« L'avenir de mes filles n'est pas à Nabatiyeh, confirme ainsi Sarah. Elles feront des études et, je l'espère, trouveront un emploi qualifié ailleurs, ce qui n'existe malheureusement pas ici. »

 

Nabatiyeh en chiffres

Altitude : 500 m
Surface : 8,4 km2
Population : 38 500
Familles réfugiés syriennes : 3 000
Entreprises : 3 771
Commerces : 3 400
Banques : 16
Établissements de
change : 6
(Source : Association des commerçants de Nabatiyeh)

 

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