Parler russe et ukrainien ? Seulement russe ? Uniquement ukrainien ? La plupart des Ukrainiens sont en fait bilingues mais le choix est politique au moment où Vladimir Poutine invoque la langue commune pour justifier le déploiement de troupes dans ce pays "frère".
Traditionnellement, l'ouest nationaliste parle surtout l'ukrainien, et l'est et le sud frontaliers de la Russie le russe, mais la majorité des Ukrainiens jonglent en fait entre les deux en fonction des circonstances. Les deux langues sont, en outre, très proches.
Le mouvement de contestation qui a conduit à la chute du président Viktor Ianoukovitch, accusé d'avoir voulu "vendre" le pays à Moscou, puis l'intervention de forces russes dans la péninsule séparatiste majoritairement russophone de Crimée, ont ravivé la question linguistique, qui taraude le pays depuis son indépendance lors de la chute de l'URSS en 1991.
Un marqueur politique
"En politique, l'utilisation de la langue est un marqueur: +Vous êtes avec nous ou contre nous+", souligne la sociologue ukrainienne Irina Bekechkina interrogée par l'AFP. Des habitants de Kiev qui s'exprimaient en russe sont ainsi passés à l'ukrainien en signe de protestation contre l'intervention russe.
Le président déchu Viktor Ianoukovitch est originaire de l'est russophone. Mais, cherchant à effacer son image d'"homme de Moscou", il s'est employé à améliorer sa maîtrise de l'ukrainien, la langue officielle du pays, après son élection en 2010. Son adversaire de toujours, qu'il avait fait mettre en prison, l'ex-Premier ministre pro-occidentale Ioulia Timochenko, aux accents volontiers nationalistes, est contrairement aux apparences elle aussi originaire de l'est russophone. Mais, là aussi par choix politique, elle se refuse à parler le russe en public. Quant au chef du parti nationaliste Svoboda Oleg Tiagnibok, interrogé en pleine contestation à Kiev par une chaîne russe, il a même demandé un interprète. Dans une interview à l'AFP, le chef du mouvement d'extrême-droite Pravy Sektor, Dmytro Iaroch, très en pointe pendant la contestation, a, pour sa part, déclaré qu'il comprenait le russe mais qu'il refusait par principe de le parler.
Une réalité plus complexe
Même s'ils ne le parlent pas en famille, les Ukrainiens russophones comprennent et écrivent l'ukrainien, dont l'enseignement était obligatoire à l'époque de l'URSS malgré la domination du russe qui était la langue officielle de l'Etat soviétique. Il le reste aujourd'hui.
Selon les études, seulement 1% de la population ne comprend pas l'ukrainien et 1% ne comprend pas le russe, souligne Mme Bekechkina. Lorsqu'il faut s'exprimer, 30% ne parlent pas couramment l'ukrainien, autant pour le russe.
Le dernier recensement effectué en Ukraine, en 2001, réserve d'ailleurs des surprises. Ainsi dans plusieurs régions considérées comme "russophones" de l'est et du sud de l'Ukraine, la majorité des habitants répondait naturellement que l'ukrainien, non le russe, était leur langue maternelle. C'était notamment le cas pour deux tiers des habitants de la ville de Dnipropetrovsk, et pour près de 54% de la population de l'ancienne capitale ukrainienne Kharkiv. De nombreuses émissions de débat à la télévision ukrainienne sont animées par des présentateurs russophones dont les invités débattent en mélangeant les deux langues.
Pour l'un des leaders de la contestation et candidat à la présidentielle du 25 mai, Vitali Klitschko, la question linguistique est "artificielle" et manipulée par des politiciens "à court d'arguments". "Je suis moi-même russophone, c'est difficile de m'accuser de nationalisme, ma mère est russe, mon père est ukrainien, et je n'ai jamais eu l'impression que mes droits étaient bafoués du point de vue de la langue", a-t-il dit.
Une loi controversée
En 2010, malgré des protestations à Kiev, une loi faisant du russe la deuxième langue officielle dans certaines régions avait été votée à l'initiative du président Viktor Ianoukovitch. Le nouveau pouvoir a envisagé de l'abroger, provoquant un tollé dans le camp pro-russe.
Mme Bekechkina qualifie de "bêtise" l'idée d'abroger cette loi, qui est finalement restée en vigueur. "Les régions concernées l'ont interprétée comme +Les nationalistes commencent à nous dicter leurs règles+", dit-elle. Une menace aussitôt brandie par la Russie pour justifier son intervention.
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11 h 27, le 12 mars 2014