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Liban - « L’Orient-Le Jour »

JI in memoriam

Mémoire et pilier de L'Orient-Le Jour durant plus d'un quart de siècle, Jean Issa nous a quittés hier, foudroyé par une crise cardiaque qui l'a emporté à presque 72 ans, au bout de deux semaines d'hospitalisation.
Sa culture phénoménale, sa plume incisive ou cinglante et son réflexe journalistique avaient marqué le journal dont il a été l'un des plus brillants esprits. Venu du Jour, où il était entré dans les années 60, Jean Issa maniait l'ironie comme on respire, et ne s'épargnait pas. Cette ironie faisait merveille dans ses analyses politiques ; il en usait pour décaper déclarations et situations de leur croûte de suie et de moisi. Il était en même temps d'une infinie courtoisie, d'une correction exemplaire, toujours premier à s'accuser.


Marié, père de trois enfants, deux garçons et une fille, Jean n'avait jamais cessé d'être, à l'intérieur de la stabilité que donne un foyer, un aventurier de l'école buissonnière, qui fut pour lui un art de vivre et de penser ; un art dangereux « pour adultes avertis ». Seule Éliane tint le coup. Son éclectisme culturel remontait à ses années de classe où, parallèlement au cours, il voyageait, livres ouverts sur ses genoux, « à la recherche du temps perdu ».


Ce génie du billet, qu'il signait J. I., qu'il truffait de calembours et de jeux de mots, et affublait des titres les plus fantaisistes, pour les rendre consciemment hermétiques et labyrinthiques, garda toute sa vie la nostalgie d'une enfance merveilleuse vécue à Zahlé.
Dans une page émouvante et élégiaque, écrite pour le journal, il avait noté : « Summer of 42. Un muret rectangulaire de soixante centimètres de haut. Pierre de taille blanche restée immaculée par-delà les années : l'air était si pur là-haut, à Zahlé. Le propriétaire de cette future maison de maître laissée en plan, qui aurait eu les tuiles rouges de nos poètes à tarbouche, était mort au Brésil. Ou il s'était disputé avec son frère, ce qui est à peu près la même chose. »
« À l'intérieur du parallélépipède magique livré à l'abandon, peu à peu des ronces, de l'herbe folle, des broussailles, des calices roses de camomille sauvage, poussaient. Et même un succulent jujubier qui bordait tout en haut un ruisseau chantant dans la verdure, sous un étroit sentier poudreux flânant de figuier en figuier jusqu'aux vignes âpres des collines. Là, dans ces sept cents mètres carrés d'un manoir avorté, nous avons vécu plusieurs dizaines d'enfances en un seul été. »


Sa conscience professionnelle était irréprochable. Aux jours noirs de la guerre, c'est lui qui quittait le journal en dernier, après avoir abattu le travail de trois ou quatre, histoire de nous congédier avant le réveil des « fronts » et le balai des balles. Cette conscience lui resta jusqu'aux dernières années quand, diminué par un cancer et tout ce qui peut l'accompagner, physiquement et nerveusement, il se surmontait pour être fidèle au poste. C'est que le journal, pour lui, était devenu une seconde famille.


« Comme nous le montrent Maupassant, Bernanos ou Camus, l'histoire d'une vie se raconte simplement. C'est déjà assez troublant d'en parler », écrivait-il pour un Spécial 75 ans de L'Orient-Le Jour. « Le journal et nous, car nous restons toute une bande, c'est un mémoire. Autant qu'une filiation. Il a 75 ans, nous en avons 57. Nous avons des fois vécu pour lui. Et toujours par lui vécu. Ou survécu. Dies illae, dies irae. Le souffle de la guerre rase de près, gratis, la mémoire d'antan. Des souvenirs de jeunesse, il ne subsiste que le réconfort que nous en tirions le soir dans le resto en sous-sol de l'hôtel de Hamra, maintenant démoli, que le journal nous offrait au temps des bombes. Pour continuer à être, donc à paraître. (Admirez la finesse). Là, comme dans bien d'autres points de chute voisins que nous expérimentâmes au fil des ans, nous étions devenus une entité familiale autant que professionnelle. Là, nous avons appris à nous aimer les uns les autres profondément, viscéralement liés par le besoin de vivre. On serait peut-être tenté à ce propos d'évoquer, avec un peu d'emphase, le culte d'une profession que les événements transfiguraient en mission de paix. Ce n'est pas tout à fait faux. Mais cela ne correspond pas, n'a rien à voir, avec la souffrance intolérable ressentie quand Édouard Saab ou Fabienne Thomas ont été tués. C'était un grand frère, une petite sœur qui s'en allaient brusquement, sans un geste de la main, sans un sourire, sans un adieu. »


Et voilà que maintenant, c'est toi qui nous joue ce tour, Jean. Nous avons peine à le croire ! Dis-nous que ce n'est pas vrai !

 

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commentaires (3)

ALLAH YIR7AMOU !

LA LIBRE EXPRESSION

14 h 42, le 10 mars 2014

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Commentaires (3)

  • ALLAH YIR7AMOU !

    LA LIBRE EXPRESSION

    14 h 42, le 10 mars 2014

  • Dommage qu'il n'y en ait pas beaucoup plus comme lui..

    GEDEON Christian

    14 h 01, le 10 mars 2014

  • Sincères condoléances.

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    08 h 51, le 10 mars 2014

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