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Nos Lecteurs ont la Parole - Ghassan OSMAT (Montréal) Paul SUCCAR (Varsovie)

Le « Hezbollah » entre double discours et mutations

Depuis quelque vingt mois, le Hezbollah est engagé dans le conflit syrien où il sert d'allié extérieur au régime de Bachar el-Assad, dans la guerre que le dictateur alaouite mène contre une insurrection armée. Plusieurs, au Liban, s'opposent à l'intervention du surpuissant groupe militant chiite en territoire syrien. D'autres, craignant une victoire de l'islam radical, justifient cette implication du Hezb auprès de l'État baassiste. Ces deux opinions sont, au regard de la logique, des constructions valides. L'une découle de la logique d'État et est incarnée par le courant « nationaliste libanais » qui prône la neutralité d'un État libéral et propose la sécurisation des frontières ; l'autre courant est né de l'héritage militant du panarabisme mêlé à des mutations doctrinaires chiites et de considérations stratégico-militaires de puissance régionale. Si la République était en mesure d'agir unitairement, qu'aurait-elle fait ? Elle aurait opté pour l'une de ces deux idées. Elle se trouve néanmoins paralysée par l'absence de consensus sur les principes constituants de la vie collective. Dans la présentation motivée des enjeux de ce conflit, certains analystes politiques ont essayé de tracer des axes chiites antisalafistes ; d'autres, plus conspirationnistes, voient le complot américain contre les forces de la moumana'a, d'autres croient toujours à la révolution syrienne, etc. Néanmoins, ce qui se présente comme un fait incontestable, c'est qu'aujourd'hui (et cela peut tout à fait changer), le Liban (certains diront « nous », d'autres diront « eux ») est pour la première fois de son existence davantage un acteur régional qu'un terrain de jeux. Le Hezbollah a engagé la nation en entier dans un conflit contre l'invisible nouvelle variable de la question moyen-orientale : le sunnisme radical. La seule anomalie est qu'au Liban, le conflit syrien est un élément de politique intérieure.
La question qui se pose alors est de savoir ce qu'il en est de la raison d'être du Hezbollah. Où se trouve Israël dans la nouvelle dimension du conflit levantin ? La manifestation la plus intéressante que l'on peut déceler à travers la lecture transversale du conflit est que le Hezbollah est assez flexible pour changer ses priorités belligérantes. Israël n'est plus qu'une tournure discursive. L'État hébreu est aujourd'hui, dans la vie politique libanaise, l'outil de propagande sur lequel le Hezbollah lance ses accusations d'attentat, plus explicitement attribuables aux groupes terroristes islamistes. Traditionnellement un instrument tenu par la famille Assad pour justifier l'isolationnisme syrien post-1973, précédemment utilisé par un grand nombre de régimes arabes, il sert aujourd'hui à légitimer l'intervention en Syrie et sauver « l'union nationale » des accusations sectaires en évitant de qualifier les sunnites (ou du moins le radicalisme sunnite) d'ennemis.
Mais que préfère Israël ? Se positionnant comme observateur, l'État hébreu est loin des conflits interarabes. Les voix israéliennes sont familières de la forme du discours antiterroriste d'Assad. C'est-à-dire, en d'autres termes, que le Hezbollah, aujourd'hui, combat des entités dont l'image est similaire à celles qu'Israël lui avait attribuées depuis ses premières années d'existence. Le Hezbollah, selon son chef, combat les terrorismes radicaux et agit en agent de sécurité contre la menace subversive. Non seulement il renforce ses réseaux sécuritaires à l'intérieur, mais les parallèles de son ingérence directe en Syrie avec l'invasion israélienne du Liban, dans le but de sauver le « régime en place », sont flagrants. Les mêmes stratégies de guerres préventives ou offensives-défensives y sont mises en application en Syrie (sans néanmoins le désir expansionniste territorial). En surplus de puissance, le Hezbollah (et Assad, ses partisans alaouites principalement, mais là n'est pas le sujet) abandonne dans les faits sa place dans le conflit arabo-israélien et se joint au groupe des minorités moyen-orientales qui combattent la domination arabo-sunnite. Il agit comme allié (objectif ou de facto, le moins polémique des deux) de l'État hébreu dans « la lutte pour l'existence dans un bassin hostile » (dans une logique désormais partagée).
Enfin, une question en connexion avec l'objet de l'article : la guerre civile syrienne signifie-t-elle, entre autres, la fin du mythe de la moumana'a ?

Ghassan OSMAT (Montréal)
Paul SUCCAR (Varsovie)

Depuis quelque vingt mois, le Hezbollah est engagé dans le conflit syrien où il sert d'allié extérieur au régime de Bachar el-Assad, dans la guerre que le dictateur alaouite mène contre une insurrection armée. Plusieurs, au Liban, s'opposent à l'intervention du surpuissant groupe militant chiite en territoire syrien. D'autres, craignant une victoire de l'islam radical,...

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