Le procès dans l'affaire de l'assassinat de l'ancien Premier ministre Rafic Hariri devant le Tribunal spécial pour le Liban (TSL) s'est ouvert jeudi à 10h30 (heure de Beyrouth) à La Haye.
"Nous sommes réunis aujourd'hui pour écouter la déclaration liminaire du procureur", a déclaré le juge David Re à l'ouverture d'une audience publique à Leidschendam, dans la banlieue de La Haye. "C'est au procureur de prouver la culpabilité des accusés", a ajouté le juge, soulignant que les procédures allaient se dérouler "comme si les accusés étaient présents et avaient plaidé non coupables".
Toujours en fuite malgré des mandats d'arrêt internationaux, quatre accusés, membres du Hezbollah, seront jugés par contumace pour l'attentat-suicide qui avait coûté la vie à l'ancien chef de gouvernement et à 22 autres personnes, et fait 226 blessés, le 14 février 2005 à Beyrouth.
Les deux principaux accusés sont Moustapha Badreddine, 52 ans, décrit comme le "cerveau" de l'attentat par les enquêteurs, et Salim Ayache, 50 ans, accusé d'avoir été à la tête de l'équipe qui a mené l'attaque.
Deux autres hommes, Hussein Oneïssi, 39 ans, et Assad Sabra, 37 ans, sont accusés d'avoir enregistré une fausse cassette vidéo, transmise à la chaîne al-Jazeera, pour revendiquer le crime au nom d'un groupe fictif, "Victoire et Jihad en Grande Syrie".
"Le peuple du Liban a droit à ce procès"
"Tout le monde au Liban a été affecté, directement ou indirectement, par l'attaque au centre de Beyrouth", a assuré de son côté le procureur Norman Farrel dans sa déclaration liminaire. "Le peuple du Liban a droit à ce procès et à connaître la vérité", a-t-il ajouté en montrant de nombreuses photos et des images de caméras de surveillance prises juste après l'explosion du 14 février 2005.
L'attentat contre Rafic Hariri a tué "des passants innocents, un père, un frère, une fille, des amis, une étudiante", a ajouté le procureur, utilisant une terminologie forte et poingante pour faire revivre aux juges présents l'ampleur du drame. Le but des auteurs de l'attentat "était de répandre la panique et la terreur à Beyrouth et au Liban", a-t-il déclaré : "la force de l'explosion a été telle que M. Hariri a été projeté hors de sa voiture".
"L'angoisse et l'horreur inscrites sur les visages de ceux présents (...) dit tout sur la souffrance humaine infligée par l'explosion", a pour sa part assuré Alexander Milne, du bureau du procureur, montrant notamment une photo du corps de M. Hariri, recouvert d'une couverture, sur les lieux de l'explosion.
Des photos représentant M. Hariri sortant d'un café du centre de Beyrouth, quelques minutes avant l'explosion, ont également été présentées.
Selon le procureur Farrel, les deux accusés Moustafa Badreddine et Salim Ayyache ont préparé l'attaque quatre mois à l'avance et l'ont exécutée avec l'aide de Hussein Oneïssi et Assad Sabra. Il a ajouté que des parties locales et étrangères ont planifié l'assassinat de Hariri. Le procureur a en outre précisé que Rafic Hariri avait été mis sous surveillance trois mois avant son assassinat, une opération dont Salim Ayyache avait été chargé.
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Un mandat d'arrêt pour un cinquième accusé, Hassan Habib Merhi, 48 ans, a été délivré en octobre 2013. Les poursuites à son encontre pourraient être jointes au procès des quatre autres accusés. Dans ce cadre, la chambre de première instance du TSL a tenu mardi une audience préliminaire (traitant strictement de questions procédurales), pour entendre les arguments de l'accusation et des conseils de Hassan Habib Merhi quant à la possible jonction des instances Merhi, d'une part, et Ayache ainsi que trois de ses complices, de l'autre.
Modus operandi
Lors de ce premier jour de travaux, l'accusation a passé en revue, et de façon détaillée, l'acte d'accusation, mettant l'accent sur le modus operandi des auteurs présumés de l'assassinat à travers le système de téléphonie mobile. On apprend qu'un groupe de ces téléphones classés en trois catégories (verts, bleus et rouges) a été acheté à l'aide de fausses identités ce qui prouve, selon l'accusation, l'intention réélle de vouloir camoufler l'identité des acheteurs pour brouiller les pistes.
Photos et vidéos à l'appui, l'accusation a également exposé le parcours de la camionnette piégée (une Mitsubishi), parallèlement à celui du convoi de M. Hariri, jusqu'à son arrivée à l'endroit de l'explosion.
Une analyse du type et de la quantité d'explosifs utilisés lors de l'attaque, un attentat-suicide selon l'accusation, a aussi été exposée. Il s'agit d'explosifs de type RTX, 1,35 fois plus puissant que le TNT.
L'accusation, qui compte appeler les témoins après sa déclaration liminaire jeudi et vendredi, entend prouver la culpabilité des accusés par ce qu'elle appelle des "preuves circonstancielles", à savoir les communications entre plusieurs téléphones portables qui appartiendraient aux accusés. "Des centaines de témoins seront appelés et entendus à partir de mercredi prochain", a précisé le juge David Re lors du procès.
Selon un communiqué publié par le TSL, "la présentation par l'accusation de cette affaire complexe sera suivie par les déclarations du représentant légal des victimes participant au procès, ainsi que des conseils de la défense de MM. Badreddine et Oneissi." Le procès devrait durer des années.
"Un jour historique"
Entré en fonction en 2009 dans une banlieue cossue de La Haye, le TSL a longtemps été une véritable pomme de discorde au Liban. Il était source de tensions entre le parti chiite Hezbollah, soutenu par Damas, et ses rivaux de la coalition du 14-Mars, pro-occidentale et lancée en réaction à l'assassinat du sunnite Hariri. La question du soutien au TSL avait même entraîné la chute du gouvernement de Saad Hariri, fils de Rafic, en janvier 2011.
Celui-ci est présent à Leidschendam ainsi qu'un groupe de parents de victimes et des personnalités visées par les attentats perpétrés depuis l'assassinat de Rafic Hariri. Assis dans la salle d'audience derrière les représentants légaux des victimes, Saad Hariri écoutait attentivement le juge. Au centre de la pièce, une maquette reproduisant le centre de Beyrouth avait été installée.
En milieu de journée, Saad Hariri a affirmé que personne ne pouvait plus désormais arrêter le cours de la justice. "Le refus de remettre les suspects au TSL est un nouveau crime contre les martyrs. Aujourd'hui est un jour historique, et Rafic Hariri ainsi que tous les martyrs étaient présents avec nous au procès", a déclaré M. Hariri à la presse en marge du procès.
"Le cours de la justice ne s'arrêtera pas et personne ne peut empêcher sa progression. Le TSL a ouvert les premières pages de la vraie justice et pavera la voie à la fin de l'impunité et des assassinats politiques", a-t-il ajouté. "Nous avons été choqués d'apprendre l'implication d'un groupe libanais dans l'assassinat de Rafic Hariri. Nous demandons que justice soit faite mais nous n'appelons pas à la vengeance", a souligné M. Hariri.
L'ouverture du procès a été très "traumatisante pour ceux qui ont vécu cette terrible tragédie, a de son côté déclaré à l'AFP l'ancien ministre Marwan Hamadé. Je suis confiant dans le fait que la justice internationale va remplacer la faillible justice libanaise".
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L'ancien directeur de la Sûreté générale, Jamil Sayyed, l'un des quatre généraux arrêtés en lien avec l'attentat et libérés trois ans plus tard pour insuffisance de preuves, s'est lui aussi rendu à La Haye. Sa présence est perçue par les familles de victimes comme une provocation.
Prenant lui aussi la parole en marge des travaux du TSL, M. Sayyed a estimé que "le début du procès n'a rien apporté de nouveau". "Pour de nombreux Libanais, le TSL n'a aucune crédibilité et devrait juger les faux-témoins. Le TSL n'a pas non plus discuté des événements ayant survenu avant 2005", -t-il déclaré.
Le Hezbollah estime que le TSL, premier tribunal pénal international pouvant juger des actes de terrorisme, est le fruit d'un complot "israélo-américain" visant à le détruire et a exclu la remise des quatre suspects au tribunal.
"La fin de l'impunité"
Jeudi, le vice-président de la chambre Farid Makari a exprimé sa conviction depuis La Haye que "les véritables coupables derrière les assassinats politiques sont la Syrie et le Hezbollah", en espérant que le tribunal "arrive à la vérité et juge les coupables".
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D'autres députés se sont eux aussi exprimés au sujet du TSL. Pour Kazem el-Kheir, "le début du procès sera la fin de l'impunité". Atef Majdalani a déclaré pour sa part qu'"aujourd'hui est un jour spécial pour le Liban, le temps de la justice a commencé".
Les tensions au sujet du TSL ont été éclipsées, trois ans après le début de la guerre en Syrie voisine, par une série d'attentats dont le dernier en série a été perpétré ce matin aux environs de 9h, dans la ville de Hermel, dans le nord-est du Liban.
Ces violences vont continuer d'augmenter, exacerbées par la guerre, selon les experts. Le Hezbollah a ouvertement pris parti pour le régime de Bachar el-Assad tandis que la coalition du 14 Mars est anti-syrienne.
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commentaires (9)
Et tant pis pour tous ceux qui sont contre ce tribunal....si c'est pas la justice, le ridicule de leur déni aura leur peau...
CBG
01 h 12, le 18 janvier 2014