List Dose est le nom d'un site un peu particulier qui a fait du langage des chiffres son cheval de bataille. Sa dernière classification porte sur les alliés des États-Unis en cet an de grâce 2013. Dans le top ten, l'Arabie saoudite occupe la dernière place, après la Russie, l'Égypte, la Turquie, etc., le numéro un étant... le Canada, suivi du Royaume-Uni, de la France, de l'Allemagne, du Mexique et d'Israël. Curieux ? Disons édifiant.
Dans son discours du 24 septembre devant l'Assemblée générale des Nations unies, Barack Obama avait établi lui aussi une liste de ses priorités en matière de politique étrangère : négocier un accord avec l'Iran sur son programme nucléaire, rapprocher les points de vue d'Israël et des Palestiniens, enfin mettre un terme à la guerre civile qui ravage la Syrie. Les autres questions, a-t-il dit, occuperont le siège arrière (« Everything else would take a back seat »). Ah ! Qu'en termes clairs ces choses sont dites...
L'accord du 24 novembre à Genève n'est pas seulement, n'en déplaise à certains, historique ; il a fait l'effet d'un séisme dont les répliques ne finissent pas de secouer le monde, en particulier un Moyen-Orient encore plus déstabilisé qu'il ne l'était déjà. En tendant la main au nouveau président de la République islamique, le successeur de George W. Bush a établi la primauté de la diplomatie sur l'action militaire, tournant du même coup la page post-11-Septembre marquée par une croisade contre le terrorisme et deux expéditions (en Afghanistan, en Irak) dont on mesure aujourd'hui la sanglante inutilité. Les grandes lignes de cette politique ne tenant plus compte de l'« axe du mal » – une théorie chère à son prédécesseur –, il les avait définies dès 2008, durant les primaires, lorsqu'il avait pris l'engagement de tendre la main aux ennemis de l'Amérique et de renoncer à toute condition préalable.
Dans la pratique, les résultats de ce qui fait figure, plus que de virage, de volte-face, on les voit dans les chiffres (encore !) du budget 2014 du département d'État. Hier encore principal bénéficiaire des injections financières US, au titre de la reconstruction, l'Irak voit cet apport réduit de 65 pour cent : 1,3 milliard de dollars contre 4,8 milliards pour l'exercice précédent. Aucun changement par contre dans l'aide à l'Égypte, dont l'économie continuera de bénéficier l'an prochain de quelque 250 millions et l'armée d'environ 1,3 milliard de dollars. Il est aisé de relever que l'on est loin de l'engagement américain en faveur de la démocratie au Proche-Orient contenu dans le discours du Caire.
Les révisions déchirantes de ces dernières semaines auront mécontenté plus d'un dans la région, en particulier l'Arabie saoudite, inquiète au plus haut point par les perspectives de renforcement de la position de l'Iran dans le Golfe, mais aussi au pays d'entre les deux fleuves ou encore en Syrie et même à Bahreïn. Bien maigres ont été les résultats du lobbying intense mené à Washington dans les dernières semaines ayant précédé la rencontre entre les représentants de Téhéran et ceux du groupe des 5+1 (les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l'ONU et l'Allemagne). Ce n'est pas le seul pétrole qui est en cause mais aussi une conjoncture nouvelle, marquée par ce qu'il est convenu d'appeler « le printemps arabe », une saison riche en promesses non tenues et au cours de laquelle la diplomatie wahhabite a multiplié les choix douteux, estiment la Maison-Blanche et le département d'État.
Toutefois, la tiédeur observée dans une liste de miel qui dure depuis plus de soixante ans (le pacte du Quincy fut conclu en 1945) ne signifie en rien que le divorce est sur le point d'être prononcé, en dépit des tweets défaitistes qui se multiplient sur la Toile. Ce n'est pas demain que le monde cessera de recourir aux plus importantes réserves – avec celles revendiquées par le Venezuela – d'or noir (267 milliards de barils) ou que le gaz de schiste viendra se substituer à l'Arab Light. Ce sont des officiers sortis de l'académie de West Point qui forment les soldats de la garde royale, l'enfant tant choyé du roi Abdallah ben Abdel Aziz, et l'on voit mal le Saoudien moyen se détourner de Washington pour lorgner en direction de Moscou, ou même de Bruxelles, siège de l'Union européenne.
Si difficulté à convaincre il y a, c'est du côté du Capitole qu'il faut la chercher, dans les rangs républicains certes, mais aussi chez les démocrates, également effrayés par le changement de style de gouvernement. Tout comme les alliés d'hier. Il serait utile peut-être de rappeler à ces derniers que mieux vaut s'installer sur le siège arrière qu'à la place du mort.
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14 h 49, le 28 novembre 2013