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Culture - Exposition

Le syndrome de l’altérité de Ziad Abilllama

Les sculptures de Ziad Abillama, en son atelier à Dbayeh, sous l’ombrelle de la galerie Agial, sont un monde d’idées qui s’entrechoquent. Avec leur cohérence ou incohérence. Sculptures lisses et luisantes, en toute ludique et énigmatique modernité. Pour traduire la contestation de toute (auto)suffisance, arrogante hégémonie et mépris ou ignorance de l’autre.

Variation sur le monolithe.

Dans un hangar de six cents mètres carrés, au plafond haut, martelé de bruits sourds de machineries en action, aux murs lépreux et au sol en béton coulé aux reflets satinés, se placent, comme flaque d’eau dans un désert, sept pièces de métal. Constructions rigides au souffle intrigant, aux tonalités à prédominance rouges et noires. Comme tout rituel de la vie et de la mort.
Monde secret et symbolique qui anime un local froid. Monde pétrifié qui livre toutefois les clefs d’une certaine rébellion, d’une certaine provocation, d’une certaine dénonciation, d’une certaine réflexion, d’un certain procès. Procès interminable et véhément où le Liban, porte de l’Orient, est en prise avec l’Occident et son impitoyable impérialisme, malgré tous ses échecs, ses bavures, ses dérives et ses déconvenues.
Procès contre une société sclérosée, fermée, enfermée dans ses valeurs, ses obsessions, ses craintes, sa suffisance, son système. Système politique, social, affectif. Bien cadenassé. Cadenas, d’ailleurs symbole omniprésent et récurrent. Tel sur cette porte-coffre-paravent vermillon lustrée qui donnerait son sésame difficilement, même aux quarante voleurs d’Ali Baba...
Appel à la culture pour se libérer et se lâcher. D’abord à la peinture, absente ici de toute connotation esthétique au premier degré. Ouverture ou introduction à ce sulfureux tableau de Courbet intitulé L’Origine du monde. Gros plan sur le sexe féminin entre fente et touffe. Regard magnétique, vorace et happeur sur tout visiteur qui découvre un organe sexuel fascinant, centre de toutes les convoitises. Reprise de l’idée, en fausse impudeur, avec du métal peint en noir et rouge, en des courbes et des tendresses pointues et minimalistes. Mais l’image, si elle a perdu de sa virulence instinctuelle et de sa force initiale, demeure en cette métamorphose épurée suggestion et perception. Métaphore aux phosphorescences troublantes qui interpellent et saisissent toujours par le collet.
Et s’articule, comme particules sur un totem, cette notion de l’altérité. Englobant la parité femme/homme, s’installe dès lors la quête d’une indispensable altérité, pour rejoindre l’ordre sociétal, en fait biscornu et tarabiscoté. On ne finira jamais d’égrener les malheurs de tous les êtres vivants, tous plus ou moins des damnés de la terre, à des niveaux différents. Tous piégés dans ce qu’on leur présente sur le plateau de la vie, hélas bien dégarni par des autorités retorses. Plateau toujours illusoire, tendancieux, piégé. Et bonjour la liberté de choisir !
Ce n’est guère hasard si les concepts de fascisme et d’impérialisme sont invoqués dans ces œuvres aux couleurs industrielles et aux formes géométriques se voulant neutres et sans états d’âme. Sans renier toutefois les traces d’un certain jeu de piste pour réfléchir et méditer sur l’ordre (plutôt le désordre) de l’état et la cacophonie des choses.
On revient à ce monolithe noir de Donald Judd, plasticien américain avocat des installations permanentes et à qui Stanley Kubrick emprunte dans son film L’Odyssée de l’espace ce plan mythique des mondes qui basculent, sur une musique de Richard Strauss.
Représentation corsée et hermétique de ce pouvoir plénipotentiaire qu’est l’Occident et ses valeurs, soi-disant sûres et irréfutables. Dans une confrontation où le gagnant n’est pas toujours celui que l’on croit, l’artiste érige l’altérité en une option, si ce n’est pas de « salvation », du moins plus humaine, plus fraternelle. Et dans ce bras de fer, le Liban a bonne place. En des images de métal soigneusement travaillé, aux finitions impeccables, pliées aux divagations de l’imaginaire et au diktat du labeur, le pays du Cèdre émerge en une carte pourfendue de balles. Sur un mur de Judd scindé en deux et prenant l’envol comme un cerf-volant prêt à piquer dans les nuages...
De la poudre de savon pour se laver et se purifier au pied de ce monolithe sombre comme une bakélite en lustrine scintillante. Se nettoyer et se régénérer pour une renaissance. Pour un meilleur être.
Plus amusants sont ces ballons-couilles prêts à éjecter une semence volatile et turbulente dans un trou conduisant à un tube gainé de fils de barbelés aux pointes acérées. Interprétation ouverte aux amateurs du freudisme !
Ici la sculpture, sœur jumelle d’un univers conceptuel publicitaire adroitement glacé, garde toutes les allures d’une invitation à une pénétration pour revisiter les idées qui nous gèrent et nous dominent. Ou nous laissent aveugles et muets. Invitation pour des images sensorielles, à la sensualité glacée et glaçante, refusant la violence, les dictatures, les doctrines (pro)formatées, les cultures mayonnaises imposées aux masses bêlantes.
Une expo à caractère intellectuel, pour « few » (guère happy few, comme le dit le dictionnaire stendhalien!), tendue d’avance, loin des joliesses, des couleurs tentantes, des représentations usées jusqu’à la corde. « J’aurai pu intituler cette expo “la volonté de comprendre” », dit l’artiste aux aguets de chaque geste et cillement des yeux de tout visiteur. Comme pour avoir une réponse à ses propres questionnements.
Essayez. C’est interactif, comme pour résoudre une charade. À part l’ennui des embouteillages de cette bretelle en périphérie de Beyrouth, il n’y a rien à perdre.

*L’exposition « Post fascisme, post impérialisme, post Ziad » de Ziad Abillama, présentée par la galerie Agial à l’atelier de l’artiste à Dbayeh, se poursuivra jusqu’au 9 décembre.

Dans un hangar de six cents mètres carrés, au plafond haut, martelé de bruits sourds de machineries en action, aux murs lépreux et au sol en béton coulé aux reflets satinés, se placent, comme flaque d’eau dans un désert, sept pièces de métal. Constructions rigides au souffle intrigant, aux tonalités à...

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