Les traits tirés, le visage pâle, la démarche hésitante, Labib est l’un de ces centaines de milliers de Syriens qui ont fui leur pays ravagé par la guerre depuis plus de 2 ans et demi. Ce père de famille de 55 ans a choisi de se réfugier au Liban, un pays qu’il connaît bien pour y avoir séjourné plusieurs fois avant le début du conflit à la recherche de son gagne-pain.
Originaire d’un village chrétien de la province de Hama, Labib n’hésite pas à afficher son appartenance religieuse en arborant au cou une croix, un signe ostentatoire, alors que le conflit syrien se radicalise et prend de plus en plus une tournure confessionnelle.
« J’ai attendu jusqu’en juin 2012 pour me décider à quitter famille, proches, village et patrie », affirme-t-il en tirant nerveusement sur sa cigarette. « Je n’avais plus vraiment le choix. J’avais perdu mon travail d’agriculteur dans un village musulman voisin, bien plus riche que le nôtre, et je devais nourrir ma femme et mes cinq enfants », ajoute-t-il.
À l’époque, sa famille refuse de l’accompagner. Le feu de la guerre n’avait pas encore atteint son village, dont il préfère taire le nom. Avant la guerre, il ne lui fallait que quelques heures pour arriver au Liban. Mais, cette fois-ci, c’est au bout d’un véritable périple d’une semaine qu’il parvient à passer la frontière. « J’ai dû faire face à tous les dangers. Je me suis réfugié chez des inconnus alors que l’armée syrienne pilonnait Hama et ses environs. Je devais montrer sans cesse patte blanche dans les villages conquis par l’opposition et afficher un soutien sans faille à Bachar dans les régions où ses troupes étaient présentes », dit-il.
Au Liban, Labib frappe à toutes les portes à la recherche d’un emploi. « J’étais prêt à accepter n’importe quelle corvée. J’ai de l’expérience dans le bâtiment, l’agriculture, je sais conduire, faire toutes sortes de petits boulots. Je me devais de trouver un travail qui me permettrait de nourrir ma famille restée en Syrie. »
Mais toutes les portes se ferment devant lui. De la Békaa, Labib garde un souvenir amer. « Des Libanais pour lesquels j’avais travaillé dans le passé ont refusé de me recevoir et d’écouter mes doléances. D’autres ont promis de me rappeler mais ne l’ont jamais fait. Hébergé par d’autres réfugiés syriens, j’ai erré pendant de longs jours en ayant à peine de quoi me nourrir », raconte-t-il. Il décide alors de tenter sa chance à Beyrouth.
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Les mots deviennent alors plus difficiles à trouver, le geste plus lent, le regard embué. « J’ai commencé par laver des voitures dans une station-service pour une poignée de dollars la journée. J’étais hébergé sur place avec des Bangladais et des Égyptiens, explique-t-il. J’avais rarement des nouvelles de ma famille. Les lignes téléphoniques étaient souvent coupées, je ne savais pas s’ils étaient toujours en vie ou s’ils manquaient de quoi que ce soit. Moi, j’économisais tout l’argent que je gagnais pour pouvoir l’envoyer en Syrie. Je me contentais du strict nécessaire pour survivre. »
Plus d’un an a passé depuis que Labib a trouvé refuge au Liban. Il a été depuis rejoint par deux de ses enfants. « Mon fils travaille actuellement dans le bâtiment à Aïn Saadé et ma fille de 18 ans a fait une dépression nerveuse à cause des combats qui se rapprochaient de plus en plus du village. »
Dans son 12 m² loué 150 dollars par mois au rez-de-chaussée d’un immeuble vétuste du quartier populaire de Badaoui, Labib héberge sa fille. Son fils dort sur le chantier, « d’ailleurs ici, la place manque ». Avec quelques boulots ici et là et l’aide de certaines organisations, Labib affirme pouvoir à peine joindre les deux bouts et économiser pour envoyer de l’argent au restant de sa famille.
En plus d’un an, il n’a pu se rendre qu’une seule fois en Syrie, durant les fêtes de Pâques, en mai dernier. « J’ai imploré ma femme et mes autres enfants de m’accompagner au Liban, mais ils ont refusé », regrette-t-il.
Comment voit-il l’avenir? « Sombre, pour la Syrie et pour nous les chrétiens. Je pense vraiment demander l’asile. Mais qui voudra de moi ? »
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