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Les étudiants libanais et la lecture : est-ce la rupture ?

Ils sont des milliers de jeunes à travers le monde à délaisser les livres. La lecture serait-elle aujourd’hui l’apanage des littéraires et des intellos ? À quelques jours de la 20e édition du Salon du livre francophone de Beyrouth, « Campus » a mené une enquête auprès des étudiants libanais. Confidences de jeunes en mal de lecture.

Stéphanie Cham (Esmod).

Ce n’est pas une simple intuition : les étudiants libanais lisent beaucoup moins qu’il y a une ou deux décennies. Dans le cadre d’une étude menée auprès de 3 000 d’étudiants de trois universités privées – USEK, USJ et NDU –, Pamela Chrabieh, docteure en sciences des religions et professeure, a relevé la baisse quantitative de la lecture dans le milieu estudiantin. Le taux des jeunes qui lisent est passé de 40 % en 2007 à 1 % en 2013. Perdu le goût de la lecture ? Ceux qui choisissent de lire en dehors de toute contrainte universitaire ou professionnelle se perdent dans une masse principalement consommatrice de nouvelles technologies de communication. Afin de décrypter cette nouvelle tendance, Campus a interrogé 50 étudiants à travers le Liban.

Un constat alarmant
Lire, certains n’ont jamais aimé ça. Trente-sept étudiants sur 50 avouent détester cette activité. Ce rejet catégorique trouve le plus souvent ses racines dans leur enfance : soumis à une forte pression parentale ou scolaire, ces jeunes gardent de bien mauvais souvenirs des séances de lecture imposées. « Quand on est enfant, il y a toujours quelqu’un qui nous demande de lire, ou nous force à le faire. Je détestais quand les profs nous disaient qu’il fallait faire un résumé qui serait noté », raconte un étudiant de la NDU qui a souhaité garder l’anonymat. Et il ajoute : « Le pire, c’est quand ma grand-mère et ma tante m’offraient des livres pour Noël. J’ai 18 ans, et je ne peux plus voir les livres même en peinture. » 

 

Mikael Abi Khalil (IESAV).


D’autres, moins nombreux, ont répondu que la lecture les laisse indifférents. Ces 6 étudiants pensent que les livres sont bons pour les autres, les premiers de la classe, les retraités, les profs, les parents. Eux, ils ont mieux à faire. Ouvrir un livre les tente peu mais, parfois, ils se débrouillent pour trouver une édition abrégée d’un classique ou achètent des nouvelles, parce qu’elles se lisent vite. Roy, 21 ans, étudiant en master 1 à la faculté de gestion de l’UL, fait partie de ces jeunes qui, mal entraînés à lire, déclarent très vite forfait. « Le nombre de pages d’un livre me décourage, avoue-t-il. Après quelques lignes, je suis prêt à sacrifier le chapitre entier. » Mikael, 25 ans, étudiant en audiovisuel à l’USJ, raconte qu’il a, comme beaucoup d’autres jeunes, du mal à s’intéresser à un support écrit. « Je préfère voir l’adaptation audiovisuelle plutôt que lire l’œuvre littéraire. Je trouve le langage cinématographique plus attrayant. » 


Sur les 50 étudiants interrogés, 5 ont déclaré qu’ils apprécient la lecture sans être pour autant des lecteurs assidus. Ceux-là lisent raisonnablement pour se cultiver ou parce qu’ils sont curieux. Théo, étudiant en 3e année à la faculté d’ingénierie de l’Université de Balamand, explique qu’il lit par plaisir, mais que cette activité ne figure pas au premier plan . « J’aime lire pour tout ce que cela m’apporte au plan personnel, mais je ne le fais pas souvent. Je lis quand j’en ressens le besoin. » Rita, 4e année en études de sage-femme à l’Université Sainte-Famille (USF), confie : « Puisque je tiens à lire, mais que je n’ai pas trop le temps pour le faire, je privilégie les œuvres qui sont utiles pour ma formation. Je m’intéresse actuellement aux travaux de Lise Éliot. » Sollicités par d’autres activités qui concurrencent la lecture, nombreux sont les étudiants qui font des sélections. Depuis qu’elle est étudiante à Esmod, Stéphanie, 22 ans, reconnaît qu’elle a besoin de lire très fréquemment la presse mode. « Si j’ai le temps et l’envie, je lis des ouvrages sur l’histoire de la mode ou des biographies de créateurs, mais je m’intéresse très peu à tout ce qui est littéraire. » 

 

Seuls 2 étudiants clament haut et fort avoir un goût prononcé pour la lecture. Rosalie, qui prépare son mémoire en lettres françaises à l’USJ, affirme que la lecture est sa passion : « J’aime lire régulièrement pour le plaisir et pour la culture. Je m’intéresse à tous les genres littéraires et j’ai souvent un livre de chevet. » Élie, qui prépare son DESS en architecture à l’USEK, explique son amour des livres : « J’aime la lecture pour ce qu’elle m’apporte, pour son côté échappatoire intelligente, pour la beauté des mots. » Le jeune homme de 25 ans confie que ses lectures de prédilection sont les poèmes et les traités philosophiques parce que « l’esprit se repose en lisant et, en même temps, reste très actif ». Rosalie et Élie projettent de visiter le Salon du livre francophone au BIEL, une chose que les 48 autres étudiants ne feront pas.

 

Roy Khoury (UL).



Internet, une chance pour la lecture
Sans aucun doute, le taux de lectorat chez les moins de 30 ans a baissé et les jeunes ont une expérience littéraire qui se révèle assez limitée. Seuls 8 étudiants sur 50 sont capables de citer un auteur ou un livre préféré. Aux œuvres littéraires, ils préfèrent les lectures rapides, fragmentaires et utiles – poèmes, nouvelles, revues de presse, magazines – qui peuvent se faire sur supports électronique et papier. Face à ceux qui parlent d’une baisse du nombre de lecteurs, les jeunes interrogés sont unanimes : Internet, nouvel outil éducatif, les incite à lire plus. Mikael, 25 ans, avoue : « Tous les jours, je lis les infos sur mon Smartphone. Si je n’étais pas abonné à Internet, je n’aurais jamais l’idée d’aller acheter mon journal chez le marchand. » Rita, 22 ans, lance : « Même si Internet ne me dispense pas de la lecture des ouvrages papier, il est très efficace. Souvent, il me permet d’avoir accès à des documents difficiles à trouver. » Roy, quant à lui, note qu’Internet et les réseaux sociaux sont d’excellents moyens de découvrir des auteurs et des ouvrages. Comme lui, nombreux sont les étudiants qui font l’expérience d’échanges culturels riches sur Facebook et Twitter. En plus des groupes de lecture, ces sites fourmillent de pages consacrées aux écrivains et aux livres. En un clic, on partage son coup de cœur avec des centaines d’amis. N’oublions pas les sites de vulgarisation de la lecture sur lesquelles les jeunes peuvent passer des heures à parcourir les plus belles citations : babelio et goodreads.


Un jour prochain, peut-être, ces étudiants qui ont réorienté leur façon d’aborder la lecture seront tentés de pousser l’aventure encore plus loin. Ils voudront alors aller à la rencontre d’eux-mêmes et grandir parce que « lire », comme le note si bien Christian Bobin, « c’est ajouter au livre, découvrir, en s’y penchant, son propre visage dans la fontaine de papier blanc ».

Carole AWIT


 

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