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L’Érythrée, « injustement jugée », veut s’ouvrir sur l’extérieur - Portrait

Issaias Afeworki, héros de l’indépendance devenu dictateur isolé

Issaias Afeworki est né en 1946 dans une famille chrétienne à Asmara. Peter Busomoke/AFP

Le président Issaias Afeworki, au pouvoir depuis l’indépendance de l’Érythrée en 1993, est passé du statut de héros vénéré de 30 ans de guérilla de libération à celui d’impitoyable dictateur brisant toute voix dissidente et ayant isolé son pays des bords de la mer Rouge du reste du monde.
Issaias, 67 ans, n’a pas toujours été le « dictateur isolé et lunatique » décrit dans un câble diplomatique américain de 2009 révélé par WikiLeaks. Dans sa jeunesse, il fut un chef rebelle qui tint tête à la puissante armée éthiopienne, tour à tour soutenue par les États-Unis et l’URSS.
À son indépendance, le 24 mai 1993, l’Érythrée est vue un comme un modèle d’espoir en Afrique par certaines puissances occidentales. Dans les années 1990, le président américain Bill Clinton cite Issaias Afeworki parmi les « dirigeants de la renaissance » du continent.
L’enthousiasme s’évanouit vite : le président érythréen, admirateur de Mao depuis qu’il a suivi une formation politique en Chine durant la Révolution culturelle, renforce le pouvoir du parti unique, le Front populaire pour la démocratie et la justice (FPDJ, issu de la rébellion antiéthiopienne), et dans les années 2000, soutient divers groupes rebelles de la Corne, notamment les islamistes somaliens.
Issaias Afeworki est né en 1946 dans une famille chrétienne à Asmara, capitale de l’Érythrée. Parti faire des études d’ingénieur à Addis-Abeba, il rentre à 20 ans en Érythrée, annexée quelques années plus tôt par l’Éthiopie, et rejoint la rébellion séparatiste naissante.
Grand, bel homme, intransigeant, il gravit peu à peu les échelons pour prendre le commandement du Front populaire de libération de l’Érythrée (FPLE), dont l’organisation impressionnante compense l’infériorité numérique et en armement, et dont les combattants échappent aux bombardiers éthiopiens grâce à des labyrinthes de bunkers.

Autoritarisme croissant
Le FPLE prend Asmara le 24 mai 1991 et l’Érythrée proclame son indépendance deux ans plus tard, jour pour jour.
Le rêve de liberté des Érythréens se fracasse rapidement sur la réalité d’un régime de parti unique, sans élections nationales. La Constitution adoptée en 1997 ne sera jamais mise en œuvre.
La paix non plus ne dure pas. L’amitié, nouée dans le maquis lors de la lutte contre la junte éthiopienne du Derg (1974-1991), entre Issaias et Meles Zenawi, devenu en 1991 Premier ministre d’Éthiopie, s’est muée en farouche inimitié qui tend les relations entre Asmara et Addis-Abeba.
Un contentieux autour d’une localité poussiéreuse, Badme, déclenche un conflit meurtrier entre les deux voisins, qui fait au moins 80 000 morts entre 1998 et 2000. Malgré un accord de paix, les tensions persistent aujourd’hui, l’Éthiopie refusant notamment de se retirer de Badme, pourtant placée en territoire érythréen par une commission internationale indépendante.
À domicile, la gestion de ce conflit et son autoritarisme croissant valent à l’ex-chef rebelle des critiques de son entourage le plus proche. La purge est brutale. En 2001, Issaias fait arrêter onze membres du premier cercle au pouvoir, ex-compagnons de la lutte d’indépendance, qui ont osé réclamer des réformes démocratiques et la mise en œuvre de la Constitution de 1997. D’autres s’exilent pour échapper au cachot.
La presse indépendante est « suspendue » – et le reste à ce jour – et ses journalistes emprisonnés. L’Érythrée dispute depuis à la Corée du Nord la dernière place du classement en matière de liberté de la presse.
Le régime se durcit et la répression s’intensifie. Issaias ne tolère aucune critique, balaie les condamnations internationales, notamment après l’expulsion d’une mission de maintien de la paix de Casques bleus de l’ONU et d’agences humanitaires étrangères. Le dirigeant applique une draconienne politique d’autarcie, isolant son pays.

Pas de culte de la personnalité
À l’inverse de nombreux dictateurs africains, Issaias évite cependant tout culte de la personnalité. Son portrait n’apparaît pas sur les billets de banque, rarement à l’extérieur des bâtiments officiels.
Longtemps, il met un point d’honneur à arpenter les rues d’Asmara, fait des apparitions surprises dans des bars enfumés, aimant cultiver une image « d’homme du peuple ».
Au fil des ans, l’ex-rebelle, parfait arabophone et bon orateur, semble de plus en plus paranoïaque, disant craindre d’être assassiné par la CIA.
Parallèlement, son aura a pâli chez ses concitoyens. Notamment auprès des jeunes, contraints à un dur service militaire à durée indéterminée et qui fuient le pays par milliers, vers l’Éthiopie ou le Soudan voisins, bravant les unités de police chargées, à la frontière, de « tirer pour tuer » et malgré les sanctions auxquelles sont exposées leurs familles restées au pays : terribles amendes ou emprisonnement.
Face à une opposition en prison ou en exil, alimentant quasi quotidiennement dans le pays la peur d’une invasion éthiopienne, Issaias, de plus en plus décrit comme omnipotent et instable mentalement, a jusqu’au bout verrouillé toute possibilité d’alternative à son régime.
Le président Issaias Afeworki, au pouvoir depuis l’indépendance de l’Érythrée en 1993, est passé du statut de héros vénéré de 30 ans de guérilla de libération à celui d’impitoyable dictateur brisant toute voix dissidente et ayant isolé son pays des bords de la mer Rouge du reste du monde.Issaias, 67 ans, n’a pas toujours été le « dictateur isolé et...