Israël sous l'emprise des religieux ?

Charles Enderlin est le correspondant permanent de France 2 à Jérusalem depuis 1981. Il a réalisé des documentaires d’excellente qualité sur le processus de paix et toute une série de livres dont certains sont devenus des références obligées. Enfin, c’est son équipe qui a tourné le reportage sur la mort du petit Mohammed al-Dura le 30 septembre 2000, images qui ont fait le tour du monde et qui lui ont valu l’hostilité de toute une série de radicaux sionistes qui le poursuivent de leur vindicte. L’affaire est toujours pendante devant les tribunaux.

Ce libéral se penche aujourd’hui sur la montée du sionisme religieux à tendance messianique. Il a utilisé ses archives personnelles et réalisé de nombreux entretiens. Ce courant est aussi ancien que le sionisme, mais il a été longtemps marginal. Pour ses tenants, même si l’État d’Israël a été bâti par des laïcs, ils ont été les instruments de l’œuvre divine chargée de préparer l’arrivée du Messie. Après la conquête de Jérusalem, ils ont proposé la destruction des mosquées du Haram al-Sharif et ont fait du maintien de la conquête de la Cisjordanie un commandement divin. Du fait de l’épuisement du sionisme travailliste, ce sont eux qui fournissent les militants de la colonisation de la Cisjordanie avec le mouvement dit du « Bloc de la foi ». Ils multiplient les faits accomplis et infiltrent le système politique et militaire israélien.

S’ils ont bien accueilli l’arrivée du Likoud au pouvoir en 1977, ils se sont opposés au processus de paix avec l’Égypte. Des groupuscules issus de leur mouvance ont mené des attentats contre les Arabes. À partir de 1978, ils ont revendiqué le Liban-Sud comme faisant partie de la terre d’Israël. Ils mobilisent les citations issues des écritures religieuses et des commentaires bibliques pour prôner l’assujettissement, l’expulsion ou l’extermination des ennemis d’Israël.

Les années 1990 voient la montée en puissance du mouvement qui combat les accords dits d’Oslo. Des appels à l’insubordination sont lancés dès qu’il s’agit d’opérer un retrait. Ils considèrent que Baroukh Goldstein, qui a massacré 29 Arabes à Hébron le 25 février 1994, a agi au nom de Dieu. Ils participent au climat délétère qui conduit à l’assassinat de Rabin. Ils se retrouvent proches de Netanyahu quand ce dernier accède au pouvoir en 1996. Le messianisme se renforce constamment : comme dans d’autres religions, il tend à forcer la volonté divine en accomplissant ses desseins supposés.

Le radicalisme des positions fait que chaque gouvernement israélien est vu comme trahissant la cause de l’État juif. L’opposition est résolue contre tout abandon de la souveraineté sur le Mont du Temple/Haram al-Sharif. Au contraire, la revendication minimum est l’établissement d’une synagogue à proximité des mosquées. La seconde intifada confirme l’hostilité du monde contre les juifs.

L’auteur continue sa désespérante chronique. On multiplie les implantations dites « sauvages » qu’en pratique le gouvernement ne remet pas en cause. On oppose l’identité « juive » à l’identité « israélienne » ouverte aux non-juifs. On rejette ouvertement l’autorité de l’État. Les cadres de l’armée appartiennent de plus en plus à cette mouvance. Un tiers des officiers d’infanterie relèveraient d’une obédience religieuse. Les unités d’élite sont particulièrement concernées.

Cette évolution suit celle plus générale de la société israélienne. Les religieux ont plus d’enfants que les laïcs et les messianistes se rapprochent de plus en plus des fondamentalistes qui exigent une application renforcée de la loi religieuse dont une ségrégation renforcée des sexes. La majorité de la population met la judaïté avant la démocratie. La droite religieuse est persuadée que le temps travaille pour elle et que les progrès de la colonisation sont irréversibles. La solution des deux États a été en pratique rendue impossible.

Les messianistes sont maintenant convaincus que la conquête de la Cisjordanie est achevée. Ils passent maintenant à l’étape suivante, le Mont du Temple. Lors des élections législatives de 2013, les principaux partis israéliens ont invoqué la liberté religieuse pour demander le droit pour les juifs d’aller prier dans le sanctuaire.

La conclusion de Charles Enderlin est sans appel :

« Après la destruction du Temple, la pensée juive s’était engagée dans l’exploration d’un univers religieux où la présence physique de la divinité n’était plus indispensable. Cela procédait d’un processus de sécularisation intellectuelle, issu de la philosophie grecque et fondé sur la dichotomie entre l’esprit et la matière, l’abstrait et le réel. L’avenir d’Israël, de sa démocratie, du sionisme libéral et de la paix dépendra de la manière dont le judaïsme saura résister à l’appel de l’eschatologie. »

On ne peut que sortir effrayé de cette lecture. La seule consolation, si c’en est une, est que la société israélienne est de moins en moins occidentale et se rapproche, dans ses mauvais côtés, des autres sociétés du Proche-Orient…

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