Pour la première fois depuis que les ministres européens des Affaires étrangères ont décidé, lundi, de mettre le Hezbollah sur la liste des organisations terroristes, la chef de la Délégation de l’Union européenne, Angelina Eichhorst, s’est rendue auprès de responsables de ce parti pour leur exposer les motifs et les implications de cette décision, dans le cadre d’une tournée d’explications qu’elle effectue auprès des responsables libanais et qui l’a conduite aussi à Bickfaya, auprès du président du parti Kataëb, Amine Gemayel, du directeur général par intérim des Forces de sécurité intérieure, le général Ibrahim Basbous, et du Premier ministre désigné, Tammam Salam.
Si avec MM. Gemayel et Basbous, la conversation s’est inscrite dans le cadre des échanges diplomatiques de routine, au cours desquels Mme Eichhorst s’est prononcée en faveur d’un gouvernement comprenant « tous les partis politiques » – entendre le Hezbollah – ce n’est vraisemblablement pas le cas de l’entretien avec le responsable des affaires internationales du parti chiite, Ammar Moussaoui, qui a donné lieu à des échanges assez acerbes.
M. Moussaoui n’a pas mâché ses mots en alternant les critiques et les menaces, au moment où Mme Eichhorst répondait sans ambages aux accusations lancées la veille par le secrétaire général du parti chiite contre l’UE. Le responsable chiite a qualifié d’« insulte » la décision européenne, en insistant sur le fait qu’elle aura des conséquences, mais sans préciser lesquelles. « Le Hezbollah considère que cette décision est une insulte pour le peuple libanais parce qu’elle fait l’amalgame entre résistance et terrorisme », a déclaré Ammar Moussaoui, au terme de l’entretien qui s’est tenu dans son bureau dans la banlieue sud de Beyrouth.
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« Le Hezbollah, une seule entité »
« Vous ne pouvez pas condamner d’une main puis tendre l’autre pour serrer la nôtre », a-t-il lancé, avant d’indiquer que cette décision « ne changera rien aux actions et à la politique du Hezbollah ». Il a ensuite insisté sur le fait qu’elle « aura des conséquences et ne restera pas sans suites », en affirmant qu’il a demandé à l’ambassadrice de transmettre aux responsables européens l’appel du Hezbollah à la réviser. « Nous lui avons fait part de notre refus absolu de cette décision qui nuira aux relations libano-européennes et qui ne servira en rien l’Europe, d’autant qu’elle est le fruit de diktats israélo-américains. La preuve est que Benjamin Netanyahu (le Premier ministre israélien) s’est empressé de la considérer comme une réalisation diplomatique israélienne sans qu’aucun responsable européen ne réagisse pour lui demander de ne pas se mêler de cette affaire », a-t-il fulminé, en se moquant presque de la distinction établie par l’UE entre les ailes politique et militaire de son parti. « C’est son affaire. Certains ont dû l’inventer pour répondre à des calculs déterminés, sinon tout le monde sait que le Hezbollah est une même entité avec un même commandement où les militaires et les politiques sont les mêmes », a-t-il dit. Il a également rejeté les accusations adressées à son parti dans l’affaire de l’attentat de Bourgas, en Bulgarie. « Tout comme l’affaire de la liste des organisations terroristes, il s’agit d’une manipulation qu’il faut situer dans le cadre des mêmes pressions politiques », a commenté M. Moussaoui.
Mme Eichhorst, qui a justifié pour sa part la décision européenne par l’attentat anti-israélien de Bourgas, a insisté sur le fait qu’en l’adoptant, l’UE a « décidé d’envoyer un message politique » à la branche armée du Hezbollah.
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Elle a répondu aux commentaires formulés la veille par le secrétaire général du parti, Hassan Nasrallah, en affirmant que cette décision « ne justifie en aucun cas une action ou une attaque quelconque d’un État, même pas Israël », contre le Liban. Le numéro un du Hezbollah l’avait comparée à un feu vert européen à Israël, pour attaquer le Liban.
Il n’en demeure pas moins que Mme Eichhorst a qualifié l’entretien avec M. Moussaoui de « positif », pendant que son interlocuteur relevait à son tour que « les Européens ne souhaitent pas couper les ponts avec sa formation » et que l’ambassadrice lui a fait part du souci de l’UE de maintenir la coopération avec le parti chiite.
Au terme de son entretien avec M. Moussaoui, la diplomate a été reçue par le ministre d’État démissionnaire pour le Développement administratif, Mohammad Fneich, puis par le Premier ministre désigné, Tammam Salam.
« Un gouvernement qui comprend tous les partis »
Au terme de son entretien avec M. Amine Gemayel, la diplomate européenne a également mis l’accent sur le souci de Bruxelles de poursuivre sa coopération avec le Liban et d’œuvrer « encore plus fort pour y assurer la paix et la prospérité ». « Il est important de continuer de soutenir les efforts du Premier ministre désigné, Tammam Salam, pour former un gouvernement rassembleur qui répondra aux aspirations des Libanais et qui comprendra tous les partis politiques, selon la formule qu’il proposera ». « J’assure que l’Union européenne ne pose aucun veto sur aucune composante politique » libanaise, a-t-elle insisté, avant de démentir, en réponse à une question, avoir reçu des menaces personnelles.
Il y a lieu de relever que la démarche de Mme Eichhorst auprès du Hezbollah est intervenue le jour où le Conseil de l’UE a annoncé officiellement avoir modifié la liste des organisations terroristes pour y ajouter l’aile militaire du Hezbollah, conformément à l’accord du Conseil des Affaires étrangères du 22 juillet. Selon un communiqué de la Délégation de l’UE, le Conseil a parallèlement « approuvé une déclaration soulignant que cette décision n’empêche pas la poursuite du dialogue avec l’ensemble des partis politiques du Liban et n’affecte pas la fourniture d’assistance à ce pays ».
« Les entités inscrites sur la liste font l’objet d’un gel de leurs avoirs dans l’UE et d’une coopération policière et judiciaire renforcée entre les États membres dans le cadre des enquêtes et procédures s’y rapportant », ajoute le texte en précisant que « les actes juridiques ont été adoptés ce jour par procédure écrite et seront publiés dans le Journal officiel de l’UE qui paraîtra demain (aujourd’hui) ».
Dans leur déclaration commune, le Conseil et la Commission ont souligné que « la décision d’inscrire la branche militaire du Hezbollah (Hezbollah Military Wing) sur la liste figurant dans la position commune 2001/931/PESC relative à l’application de mesures spécifiques en vue de lutter contre le terrorisme n’empêche pas la poursuite du dialogue avec l’ensemble des partis politiques du Liban ».
« Par ailleurs, le Conseil et la Commission conviennent que cette décision n’affecte pas les transferts financiers légitimes vers le Liban ni la fourniture d’assistance, y compris l’assistance humanitaire, de l’Union européenne et de ses États membres au Liban », selon le texte du communiqué qui précise que l’Union « reste pleinement attachée à la stabilité du Liban “et que” comme c’est le cas pour toutes les inscriptions effectuées en vertu de la position commune 2001/931/PESC, la présente décision sera réexaminée tous les six mois ».
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