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À La Une - Liban-Éclairage

La dynamique multidirectionnelle de Aoun au cœur de toutes les interrogations

Le chef de l’État lors de son tête-à-tête avec le chef du bloc du Changement et de la Réforme, hier, à Baabda. Photo Dalati et Nohra

Depuis 48 heures déjà, le chef du bloc du Changement et de la Réforme, Michel Aoun, se trouve au cœur d’un étrange ballet diplomatique. Est-il en effet révolu, le temps où des partisans du chef du Courant patriotique libre (CPL) accrochaient aux ponts du Metn des portraits se moquant du roi Abdallah d’Arabie saoudite, sous la forme d’un roi de pique muni d’un sabre sanguinolent, pour mieux marquer leur aversion du royaume ? Finies les longues diatribes vantant les mérites du régime iranien, ce modèle d’« ordre » et de « propreté », face au despotisme saoudien ?
Rien n’est moins sûr. 


Cependant, force est de constater qu’après sa remontée dans les sondages après le jeu de poker de la loi dite « orthodoxe », Michel Aoun s’est retrouvé quelque peu bloqué, isolé, sur la scène politique. Un accord entre le Hezbollah et le courant du Futur, passant par l’incontournable tandem Joumblatt-Berry, a fait s’envoler son rêve d’un nouveau raz-de-marée orange avec l’implacable prorogation du mandat de la Chambre. Le chef du CPL n’a même pas pu exprimer sa frustration comme il le voulait face à cette entourloupette, puisque le même tandem Joumblatt-Berry a contribué à torpiller le Conseil constitutionnel – les magistrats aidant bien volontiers – et donc à empêcher l’examen des recours en invalidation présentés par le CPL ou le président de la République contre cette prorogation. 


De plus, les temps se font plutôt durs concernant l’alliance avec le Hezbollah. L’époque où le parti chiite se coupait en quatre pour satisfaire celui qui accordait une couverture chrétienne – et donc nationale – inespérée à ses armes semble s’être dissipée. Le Hezbollah n’a pas suivi le désir aouniste de tenir des élections dans les délais impartis, tout comme il préfère aujourd’hui proroger le mandat du commandant en chef de l’armée, le général Jean Kahwagi, à l’heure où Michel Aoun caresse, lui, sérieusement le rêve de placer son gendre, le général Chamel Roukoz, à ce poste. 

 

(Lire aussi: Quand Berry manœuvre pour faire pression sur Salam..., l'éclairage de Philippe Abi-Akl)

 

Enfin, le chef du CPL ne voit probablement pas d’un bon œil l’implication du parti chiite dans la guerre syrienne, qui dynamite complètement ce qui reste des principes de « libanisation » prônés par le document d’entente de Mar Mikhaël en février 2006. En contrepartie, le Hezbollah, lui, n’a plus vraiment besoin de la couverture que lui assurait si bien le CPL jusqu’à présent, dans la mesure où son problème ne dépend plus vraiment des paramètres libanais. L’envergure du Hezb, son projet, ses enjeux, dépassent désormais largement le contexte libanais. En ce sens, il a plus besoin d’un accord qui lui permettrait de gérer, au moins au plan cosmétique, la tension sunnito-chiite dans laquelle il s’est retrouvé de facto en raison de son aventure syrienne. Cela, le CPL, quelle que soit sa position sur la Syrie, ne peut pas le lui donner. Le Hezbollah ne peut obtenir une telle couverture que de deux façons complémentaires : en entretenant l’épouvantail takfiriste d’une part, avec des équipées sauvages contre les Ahmad el-Assir et consorts, ce qui légitime sa guerre en Syrie et le maintien de ses armes au Liban, et en maintenant un climat de guerre psychologique avec le courant du Futur dans l’objectif de déstabiliser le 14 Mars et de pousser le parti de Saad Hariri à former avec lui un cabinet, ce qui lui permettrait de recouvrer une certaine légitimation sunnite. Or cela, Hariri continue de refuser à le faire, malgré tous les efforts déployés par le tandem Joumblatt-Berry. 

 

(Lire aussi: Aounistes et berrystes à couteaux tirés)


Partant, Michel Aoun a apparemment décidé d’étendre son champ de conscience politique. Cela ne veut évidemment pas dire couper les ponts avec le Hezbollah. Le voudrait-il que le chef du CPL, qui a été trop loin dans son alliance avec le parti chiite – notamment au plan sécuritaire –, ne le pourrait pas. D’ailleurs, il n’est pas sûr que les deux parties aient vraiment envie de divorcer, malgré leurs divergences politiques : la visite preste à Rabieh hier, sous forme de rappel à l’ordre, de l’ambassadeur d’Iran, qui a pris le contrepied des déclarations intempestives de son homologue saoudien la veille contre le Hezbollah, en est la preuve. Une autre preuve est une réunion qui a eu lieu mardi soir entre des cadres du Hezbollah et du CPL pour évaluer les divergences et colmater les brèches dans l’alliance, peu après la visite de Ali Aassiri à Rabieh. Le Hezbollah ne lâche pas ses cartes aussi facilement, et l’alliance avec Michel Aoun en reste une, en dépit de tout. D’ailleurs, les déclarations des cadres aounistes hier comme Alain Aoun ou Ziad Assouad ne remettaient pas en question la portée stratégique de l’alliance avec le Hezbollah, mais plutôt une volonté manifeste de ne pas se retrouver au pied du mur, en marge de l’initiative politique, contrôlée d’abord par le Hezbollah et le président de la Chambre Nabih Berry à l’heure actuelle, pour ce qui est du 8 Mars. Ce qui inquiète Aoun, c’est plutôt une diminution de son influence sur la scène locale en raison de son cavalier seul ces derniers mois. 

 

(Lire aussi: Vingt-quatre heures après Aassiri, Rokn Abadi à Rabieh...)


C’est aussi dans ce cadre qu’il faudra replacer la visite-surprise effectuée par le chef du CPL au président de la République, Michel Sleiman, sur une initiative de rapprochement menée par le patriarche maronite, Mgr Béchara Raï. Si Michel Aoun a été hier chez sa bête noire, c’est bien pour montrer qu’il entend, en bête politique, se recentrer sur l’échiquier interne, en utilisant ici la carte chrétienne comme justificatif. La lecture aouniste voudrait ainsi que, dans le jeu politique en vogue depuis le report des législatives, les « chrétiens » soient marginalisés de la scène politique, puisque toutes les initiatives sont nées d’accords entre le quatuor Hezbollah-Berry-Joumblatt-courant du Futur. Dans ce jeu (report des élections, prorogation, paralysie du Conseil constitutionnel, et même les contacts en faveur de la formation du nouveau cabinet), soutiennent les milieux du CPL, les « deux principaux » pôles chrétiens du pays, Michel Aoun et le président de la République, ont été marginalisés par les autres composantes politiques du pays. Il est donc tout naturel, selon ces milieux, que les deux hommes se retrouvent pour contrecarrer cette offensive et « réordonner le dossier chrétien »... 


En d’autres termes, loin de dévier pour l’instant d’une ligne de conduite politique qu’il a patiemment construite depuis 2005, ce que Michel Aoun paraît opérer n’est pour l’instant qu’un recentrage, un peu comme le Walid Joumblatt de l’après-2009, pour ne pas rester en marge de la politique. Le poids des armes en moins.

I.D.


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