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Un monde de solutions - Liban

Avec FERN, les restaurants se mettent au tri et au recyclage

Trier les restes dans les restaurants de Beyrouth, il fallait y penser. La jeune ONG FERN est la première à cibler ce secteur, par son initiative de collecte et de compostage des déchets organiques.

Grâce à Fern, plusieurs restaurants de Beyrouth ont désormais deux poubelles, une pour les déchets organiques, l’autre pour les déchets recyclables.

Dans la cuisine du restaurant Tawlet à Mar Mikhaël (Beyrouth), on voit désormais deux poubelles plutôt qu’une : l’une, avec un sac bleu, consacrée à tous les produits recyclables (verre, plastique...), et l’autre, avec un sac noir pour les déchets organiques (restes d’aliments principalement). Si le personnel de ce restaurant, qui propose une cuisine du terroir, s’est habitué à trier ainsi les déchets, c’est qu’il y a été formé. « Il n’est pas plus difficile ni plus long de jeter les déchets dans deux poubelles différentes, il s’agit simplement de s’y habituer, souligne Nabil Abbas, directeur du restaurant. Il a fallu quelques semaines à notre équipe pour acquérir les bons réflexes. »

Le personnel de Tawlet, ainsi que celui d’une dizaine d’autres restaurants de la capitale ont été formés au tri à l’initiative d’une nouvelle ONG, « Food Establishment Recycling Nutrients » (FERN), qui vient d’être lancée par ses deux co-fondateurs Meredith Danberg-Ficarelli et Naji Boustany, en novembre dernier. « Le Liban vit dans une perpétuelle crise de déchets, explique Meredith. Le territoire est exigu, il ne sera pas possible de multiplier les décharges à l’infini. Il faut trouver des solutions plus durables pour réduire les déchets à la source. »

 

Voilà pourquoi, depuis quelques mois, la jeune Américaine diplômée en gestion durable à New York, débarquée au Liban pour un simple stage qui se prolonge en séjour en bonne et due forme, et le jeune Libanais, ancien manager de restaurant, s’attellent à la tâche de convaincre les directions de restaurant du bien-fondé de leur démarche de tri, compostage et recyclage. Avec un don de l’ambassade de Grande-Bretagne, ils ont pu mettre leur projet sur les rails, en attendant qu’il devienne rentable.

 

Le processus est le suivant : dès qu’un restaurant accepte de faire partie de la liste de FERN, Meredith et Naji effectuent une analyse de la situation (combien de déchets générés par jour, quelle possibilité de réduction...). Ils se chargent ensuite d’une première formation rapide du personnel au principe des deux poubelles. « Nos meilleures réussites, c’est quand le directeur et le chef de cuisine sont tous deux convaincus et impliqués, affirme Naji Boustany. En fait, ils se rendent compte que le processus est simple. »

 

L’ONG assure ensuite le suivi : visites impromptues pour évaluer le degré de sérieux du tri (il est important qu’il n’y ait pas d’erreur parce que la qualité du futur compost en pâtirait) et collecte des poubelles. FERN dispose en effet d’un véhicule de collecte et d’un centre où l’ONG opère un tri supplémentaire des déchets recyclables, afin de séparer le verre, du plastique, etc. Les déchets organiques sont ensuite acheminés vers les centres de l’entreprise « Cedar Environmental », qui propose un compostage rapide, suivant un accord avec l’ONG. Pour alléger les charges, FERN demande aux restaurants une contribution à leur convenance.

Enfin, FERN fait aussi parvenir les plats non consommés à la Banque alimentaire libanaise.

 

 

Meredith Danberg-Ficarelli et Naji Boustany, les fondateurs de Fern, une ONG libanaise qui sensibilise les restaurants au tri des déchets pour le recyclage.


 

Réduire les déchets d’un million de tonnes par an ?

Si les deux jeunes gens s’intéressent de près au secteur de la restauration, c’est qu’il s’agit de l’un des grands acquéreurs de produits agricoles et, par conséquent, de producteurs de déchets organiques. Or les déchets organiques revêtent une importance particulière, selon Naji. « Le Liban produit 1,6 million de tonnes de déchets par an, dont plus de 60 % sont organiques, souligne-t-il. Si on se met en tête de composter les déchets organiques, il y a un potentiel de réduire cette quantité d’environ un million de tonnes ! »

 

« Il faut savoir que les produits recyclables ont une valeur, mais également les restes d’aliments, explique pour sa part Meredith Danberg-Ficarelli. L’agriculture moderne a recours aux engrais chimiques qui contiennent un taux très élevé d’azote. Quand il pleut, tout cet excédent d’azote se retrouve à la mer, charrié par les eaux de pluie. Cela réduit le taux d’oxygène dans l’eau, favorisant l’apparition d’algues et l’extinction d’autres espèces. On constate ainsi des zones complètement mortes comme aux États-Unis dans le Mississippi ou ailleurs. Or utiliser les déchets organiques pour en faire du compost (un enrichisseur de sol) et remplacer les engrais chimiques, au moins en partie, permettront de faire d’une pierre deux coups : réduire les déchets à la base et promouvoir une agriculture plus saine. »

Naji Boustany ajoute : « Ce qui justifie d’autant plus notre action, c’est qu’au Liban, un lien étroit existe entre les restaurateurs et les agriculteurs, puisque les premiers s’approvisionnent directement chez les seconds, utilisant bien moins de produits industrialisés que dans d’autres pays. »

 

« Nous sommes tous responsables »

Au-delà des restaurateurs, les deux militants visent le grand public, « qui doit comprendre combien coûte à la société le mauvais traitement des déchets ». Malgré les embûches, ils ne perdent pas espoir car, selon eux, « la plupart des gens sont conscients qu’il y a un problème, mais ne savent pas qu’il existe des solutions durables ».

Et pour sensibiliser le public, quoi de mieux que de s’adresser à la clientèle des restaurants ? Une fois par mois, les deux jeunes gens organisent, à Tawlet où leur aventure a commencé, une soirée de collecte de fonds qu’ils utilisent à bon escient pour s’adresser directement au public. Nous avons demandé à Kamal Mouzawak, fondateur de Souk el-Tayeb (le célèbre marché fermier qui gère Tawlet), s’il pensait que le tri au restaurant est une bonne idée. Sa réponse : « Ce n’est pas une bonne idée, c’est une action désormais nécessaire. Nous devons devenir responsables de nos actes. Même en tant que clients, il est impératif de savoir ce que notre repas a coûté à l’environnement, comment fonctionne l’équipe qui nous sert, si des animaux ont été maltraités dans le processus... »

 

 

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Les déchets au Liban, une crise ingérable

 

Des dépotoirs côtiers qui s’effondrent en mer, une décharge principale (à Naameh) sursaturée et pourtant en pleine expansion faute d’alternative, des débats à chaque date de renouvellement des contrats de l’État avec des sociétés privées (auxquelles on a accordé des monopoles dans les différentes régions libanaises)... autant dire que le Liban est confronté à une crise de déchets qui ne date pas d’hier.

 

Pour un pays où 60 % au moins des déchets sont de nature organique (selon les régions), le compostage (transformation des restes organiques en compost, qui est un enrichisseur de sol) semble une option inévitable. Pour autant que le tri soit effectué à la source.

 

Actuellement, les foyers et les entreprises qui opèrent le tri et envoient leurs ordures au recyclage le font sur une initiative personnelle. À part les bennes de recyclage posées dans certaines rues par la société chargée par l’État de collecter et traiter les déchets du Grand Beyrouth (une action qui n’a jamais été accompagnée de la campagne de sensibilisation nécessaire), toutes les initiatives allant dans ce sens sont strictement privées et associatives, prises par des ONG telles que FERN et Terre-Liban (cette dernière collecte les déchets recyclables de certains foyers et entreprises depuis plusieurs années déjà). Aucune initiative à l’échelle de l’État, et aucun moyen de connaître exactement le taux national de foyers et d’entreprises qui font du recyclage.

 

De son côté, le gouvernement a opté, contre l’avis de nombreux militants écologistes, pour la technologie de « Waste to Energy » dans les grandes villes, qui consiste à produire de l’énergie au moyen des gaz récupérés lors de l’incinération. Le projet n’a pas encore été adopté officiellement à ce jour. Une campagne intitulée « Zéro déchet » a été lancée par plusieurs associations pour lui faire face.

 

 

Cet article fait partie de notre notre édition spéciale "Un monde de solutions".

Dans la cuisine du restaurant Tawlet à Mar Mikhaël (Beyrouth), on voit désormais deux poubelles plutôt qu’une : l’une, avec un sac bleu, consacrée à tous les produits recyclables (verre, plastique...), et l’autre, avec un sac noir pour les déchets organiques (restes d’aliments principalement). Si le personnel de ce restaurant, qui propose une cuisine du terroir, s’est habitué à...
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