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Un monde de solutions - Canada

Dans le ventre de Montréal

Lieu unique au monde, le Complexe environnemental de Saint-Michel est devenu un laboratoire visité depuis 2001 par plus de 8000 personnes provenant de 56 pays, notamment de la Chine et de l’Europe. Il a été la carte de visite de Montréal à l’Exposition universelle de Shanghaï, en 2010. Fermé au public, le « ventre de Montréal », où l’on transforme des déchets de toutes sortes en énergie, où un dépotoir est en train de devenir un grand parc urbain, a été ouvert à une équipe de La Presse pour une visite guidée.

On peut déjà avoir un aperçu du futur parc en empruntant la boucle de 5 km qui en fait le tour, offrant une vue impressionnante sur ce mélange insolite de collines herbeuses et de petits boisés, à quelques centaines de mètres de l’autoroute Métropolitaine. Photo Olivier Jean

Comment cicatriser une plaie béante au beau milieu d’une ville comme Montréal, tout en produisant de l’électricité à partir des vieux déchets, du compost avec les nouveaux et en faisant du lieu un parc immense ? La réponse en quatre lettres : CESM.

 

Le Complexe environnemental de Saint-Michel (CESM), c’est d’abord une ancienne carrière qui a creusé un trou de plus de deux kilomètres carrés à un jet de pierre de l’autoroute Métropolitaine, dans le quartier du même nom. Devenue un dépotoir à la fin des années 60, elle a reçu plus de 40 millions de tonnes de déchets en tous genres, qu’on aura complètement recouverts de terre d’ici quelques mois.

Ce lieu pratiquement inconnu des Montréalais est, depuis deux décennies, un exemple réussi de conversion en milieu urbain. « Le cas du Complexe Saint-Michel, un dépotoir en pleine ville avec des milliers de résidences à quelques centaines de mètres, est en fait unique au monde », dit Éric Blain, chef de division, soutien technique et infrastructures, à la Ville de Montréal.

 

Chaque année, jusqu’à 16 000 tonnes de résidus verts, principalement des feuilles d’automne, y sont transformées en compost. La majorité est utilisée pour le recouvrement de la montagne de déchets, qui atteint 70 mètres à certains endroits, et pour les besoins horticoles de la Ville.

Quelques centaines de tonnes sont redonnées aux Montréalais, qui viennent deux fois par année remplir leur remorque ou leurs bacs. « Les gens sont toujours impressionnés quand ils viennent ici : ils voient le compost mature, ils sont capables de regarder à côté, comment ce compost est fait », rapporte M. Blain.

 

 

Des robots qui ont du pif

Pour contrôler les émanations, le Complexe environnemental de Saint-Michel utilise depuis l’automne dernier quatre nez électroniques reliés à une station météo. Acquis au coût de 143 856 $, « ils reconnaissent l’odeur de compostage, et nous indiquent jusqu’où les odeurs vont et comment elles sont diluées », indique le chef de division. Les normes acceptables sont très strictes, en deçà d’une unité d’odeur.

 

« Quand vous coupez votre gazon, c’est environ 300 unités d’odeur. Quand vous faites du barbecue dans votre cour, on peut penser que c’est plusieurs milliers d’unités. Nous, ce n’est pas plus d’une », souligne M. Blain.

 

L’activité la plus potentiellement dérangeante pour les voisins, c’est le retournement des petites buttes de compost, appelées andains, avec un appareil spécialisé. Elles sont situées dans la partie ouest du site. « On s’assure que les vents dominants viennent d’ouest, pour laisser l’odeur se dissiper sur une plus longue distance », explique le responsable.

 

 

La montagne de déchets, plus de 40 millions de tonnes enfouies à partir de 1968, est parsemée de puits de surveillance (notre photo) et traversée par 20 km de conduits. Ce sont eux qui aspirent le biogaz émis par les déchets jusqu’à la centrale électrique voisine, qui produit 7 mégawatts. Photo Olivier Jean

 

 

« Usine » à controverse

D’ici deux ans, le compostage de 16 000 tonnes de feuilles à ciel ouvert passera à un stade supérieur, avec l’ouverture d’un centre de compostage en bâtiment fermé. Ce sont au total 29 000 tonnes de matières à composter qui seront traitées dans ce centre, qualifié d’« usine » par ses détracteurs.

L’essentiel, soit 25 000 tonnes, est ce qu’on appelle du « digestat », soit la matière putrescible dont on a extrait le biogaz dans deux autres usines de biométhanisation, dans l’est et dans le sud de l’île. Dans cette installation où la matière première est envoyée dans de grands tuyaux, on injecte de l’oxygène pour accélérer le compostage, qui se fait trois plus vite qu’à ciel ouvert.

Objectif ultime : faire en sorte que Montréal n’enfouisse plus un seul déchet en 2020.

« C’est une technologie au point, où on s’assure qu’il n’y aura pas d’odeurs incommodantes pour les voisins », assure M. Blain. De toute évidence, la Ville marche sur des œufs dans ce dossier, qui soulève une opposition quasi unanime des organismes communautaires dans le quartier Saint-Michel.

 

 

Des spectacles qui carburent aux poubelles

En 2003, l’École nationale du cirque a emménagé à la TOHU (cité des arts et du cirque), devenant un symbole environnemental puissant. Premier bâtiment vert certifié LEED au Québec, il est étroitement associé à l’usine voisine de Gazmont, qui produit environ 7 mégawatts, de quoi alimenter en électricité 4000 résidences.

L’électricité est produite à partir des biogaz extraits de l’ancien dépotoir, grâce à un réseau de 20 km de conduits. Brûlé, le biogaz transforme l’eau en vapeur qui alimente des turbines. L’hiver, cette vapeur chauffe également la TOHU.

 

Même les forts vents qui battent ce grand espace sont exploités. Quatre éoliennes permettent d’alimenter l’équipement de surveillance des conduits, régulièrement malmenés par les mouvements de sol.

 

L’activité la plus potentiellement dérangeante pour les voisins, c’est le retournement des petites buttes de compost, appelées andains, avec un appareil spécialisé.  Photo Olivier Jean

 

 

Vers un nouveau parc urbain

À partir de 2017, les Montréalais auront accès à un tout nouveau parc de 1,5 km2, « le plus vaste projet de réhabilitation environnemental jamais entrepris par la Ville de Montréal », selon les documents officiels.

 

Les déchets sont recouverts d’une couche de près de deux mètres, composée essentiellement de sable, d’une membrane géotextile et finalement de terre. On peut déjà avoir un aperçu de ce futur parc en empruntant la boucle de 5 km qui en fait le tour, offrant une vue impressionnante sur ce mélange insolite de collines herbeuses et de petits boisés, à quelques centaines de mètres de l’autoroute Métropolitaine.

 

« Ce projet est celui dont nos cols bleus sont les plus fiers, note Éric Blain. C’est un travail titanesque, mais il avance de jour en jour, et les budgets et les délais sont respectés. » On y retrouvera notamment un lac artificiel dans la partie nord-ouest, le lac de l’Escarpement, un des trois bassins de rétention du site. Les promeneurs pourront flâner dans le boisé des Découvertes ou la plaine des Vents, assister à des spectacles dans un amphithéâtre creusé de plusieurs centaines de places.

 

Date prévue pour la fin des travaux : 2020. « Ce sera magnifique, un des plus beaux parcs de Montréal, promet M. Blain. Toute la configuration, les volumes et le choix des végétaux ont été pensés dans ce but. »

 

 

(Avec la collaboration d’Audrey Ruel-Manseau)

 

 

Voir les vidéos associées à cet article ici, ici, ici et ici.

 

 

 

 

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Quelques dates

 

1895 : Début de l’exploitation d’une carrière de calcaire, qui durera 90 ans, creusant ce trou spectaculaire de plus de 2 km2.

 

1968 : Une partie de la carrière devient un dépotoir, dans lequel on enfouira plus de 40 millions de tonnes de déchets jusqu’en 2009. La montagne de déchets atteint jusqu’à 70 M.

 

1989-2008 : On installe plus de 375 puits de captage des biogaz afin de prévenir les émissions et les gaz à effet de serre polluants.

 

1996 : La centrale Gazmont convertit les biogaz en électricité.

 

2000 : Le site d’enfouissement ne reçoit plus de déchets putrescibles. Ceux-ci sont réorientés vers d’autres endroits.

 

2003 : Ouverture de la TOHU.

 

2009 : Fin des activités d’enfouissement.

 

1999-2013 : Recouvrement de l’ancien dépotoir, qui deviendra un parc de 1,5 km2.

 

 

 

Cet article fait partie de notre notre édition spéciale "Un monde de solutions".

 

 

 

 

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