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À La Une - La situation

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La présentation officielle par Nagib Mikati de sa démission à Michel Sleiman. Photo Dalati et Nohra

S’il est une illustration de l’incapacité chronique de la démocratie libanaise à se normaliser, c’est bien dans les retombées les plus prévisibles de la démission de Nagib Mikati qu’on peut la voir.
Dans toute démocratie qui se respecte, beaucoup ou même médiocrement, une crise politique comme celle dans laquelle le Liban vient d’entrer est censée être arbitrée par la tenue d’élections législatives anticipées. Ici, c’est le contraire qui se passe. La chute du cabinet en place confirme de manière certaine ce que l’on redoutait déjà sans en être tout à fait sûr, à savoir que le scrutin législatif prévu en juin, au terme normal du mandat de la législature actuelle, est définitivement renvoyé à une date ultérieure.


Il ne reviendra donc pas aux électeurs de trancher en faveur de telle ou telle option politique (à défaut de véritables projets) dans un pays gouverné de plus en plus à la manière de ces sociétés encore régies par la « loya jirga », cette sorte de haut conseil dans le cadre duquel les chefs de tribu s’entendent parfois – et divergent le plus souvent – sur la marche des affaires publiques, et où de surcroît il n’est jamais exclu que les ententes entre chefs se fassent aux dépens de l’État de droit.


Pour l’instant, on n’en est certes pas là puisqu’il n’existe pas la moindre visibilité sur les perspectives d’entente, s’il y en a, entre les protagonistes libanais. Du coup, c’est à un vide institutionnel caractérisé, duquel s’inquiète légitimement la communauté internationale, que la démission du gouvernement Mikati paraît logiquement conduire.
Faut-il pour autant regretter le cabinet défunt ? Certes, non ! Dans les annales de la République libanaise, pourtant fécondes sur le plan gouvernemental en matière d’accumulation de médiocrités, d’incompétences et d’occasions manquées, il peut d’ores et déjà trôner à la tête des pires, et cela n’a rien à voir avec les qualités et les défauts de son chef.

 

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Le dernier acte du cabinet sortant résume à lui seul ses absurdités, ses contradictions, sa monstruosité. D’un côté, une décision foncièrement populiste en faveur d’une échelle des salaires pour laquelle on a littéralement raclé les fonds de tiroir – sans trouver grand-chose –, de l’autre, des ministres individuellement montés contre cette même décision à laquelle ils avaient pourtant souscrit dans le cadre des blocs qui les emploient.
Quant à la prétention selon laquelle ce gouvernement a été le garant de la stabilité au Liban durant ces deux années de guerre à notre frontière, elle ne mérite rien d’autre qu’un énorme éclat de rire. Outre le fait que jusqu’au dernier instant de la vie de ce cabinet, la deuxième ville du pays, Tripoli, a régulièrement été le théâtre d’affrontements sanglants, les pires depuis la fin de la guerre, en 1990, tout le monde sait que si le feu ne s’est pas propagé à l’ensemble du territoire, c’est uniquement parce que les vrais acteurs sur le terrain, notamment ceux qui disposent de la force des armes, ne le souhaitaient guère.

Avril « difficile »
Cela constitue d’ailleurs à peu près l’unique bonne nouvelle dans les prévisions de nombre d’observateurs et de milieux politiques pour la phase qui suit la démission du gouvernement Mikati. Tripoli est certes appelée, hélas, à tenir encore le rôle d’abcès de fixation, mais on pense que le reste du pays ne suivra pas, la prudence continuant à guider l’action des principaux protagonistes libanais.


Cela étant dit, ces mêmes milieux n’excluent pas le risque d’incidents en tous genres, voire d’attentats ciblés. Des sources proches des milieux centristes vont jusqu’à prévoir qu’avril serait sur ce plan un mois « difficile », mais cette fois-ci pour le camp du 8 Mars. Ces sources se fondent, entre autres données, sur des informations plus ou moins fiables faisant état de menaces de rétorsion physique lancées par les jihadistes du Front al-Nosra, en Syrie, à l’adresse du Hezbollah. Ces informations, précise-t-on de mêmes sources, sont disponibles auprès de certaines chancelleries étrangères à Beyrouth.

 

(Lire aussi : Le déploiement massif de l’armée à Tripoli a eu raison de la flambée de violences)


Pour ces mêmes milieux, la chute du gouvernement Mikati – de même que la tendance à l’ajournement des élections – est liée à un contexte régional changeant, le désaccord sur la prorogation du mandat du directeur général des FSI, le général Achraf Rifi, n’ayant été qu’une cause secondaire de la démission.
En d’autres termes, le nœud Rifi aurait pu être traité par les voies traditionnelles et, au final, réglé si des considérations objectives plus importantes n’avaient pas mené à la fois à la décision de M. Mikati de rendre son tablier et à celle du Hezbollah de ne pas l’en dissuader.


Pour ces milieux, la mise en place du gouvernement Mikati, en 2011, dans les circonstances que l’on sait, signalait une évolution plaçant l’axe irano-syrien au cœur de l’équation libanaise. Son départ, en mars 2013, ne peut être que le signe d’une évolution contraire, dans le sens d’un recul de cette influence-là. La récente visite du président américain, Barack Obama, dans la région et ses conséquences immédiates, en Israël, en Turquie, en Irak et ailleurs, ainsi que les développements en relation avec le dossier du nucléaire iranien auraient insufflé la nouvelle donne au Liban.
Dans les rangs du 14 Mars, on dit cependant craindre que la décision du Hezbollah de laisser faire M. Mikati ne soit due qu’à la volonté délibérée du parti chiite de plonger le pays dans le vide institutionnel, ce qui explique l’absence de cris de victoire chez ce camp.


Quoi qu’il en soit, le Liban est appelé dans les jours à venir, si ce n’est les semaines, à évoluer dans un noir total. Ainsi, aucune indication n’est à ce stade possible sur l’identité de celui qui succédera à M. Mikati, et encore moins sur la couleur, la nature et les équilibres du prochain gouvernement.
Personne n’a la moindre idée du temps que durera la crise gouvernementale. On s’en tient, pour le moment, à une ébauche de calendrier en fonction duquel les consultations que doit mener le président de la République, Michel Sleiman, auprès des blocs parlementaires pour désigner un nouveau Premier ministre ne seront entamées que le 3 avril prochain.


En attendant, le chef de l’État se rend aujourd’hui à Doha pour prendre part à un sommet arabe qui risque d’avoir des retombées décisives sur l’évolution de la guerre en Syrie. Il est possible qu’à son retour, mercredi, on en sache davantage.

 

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