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À La Une - Éclairage

Derrière la démission, le spectre des élections

Tout le monde était à la recherche d’un scénario pour justifier la non-tenue des élections législatives à la date prévue, et finalement, le Premier ministre Nagib Mikati a choisi celui qui lui convient le plus : partir la tête haute, en « héros sunnite ». Selon ses proches, M. Mikati pensait depuis quelque temps sérieusement à la démission, sentant de plus en plus que le gouvernement qu’il préside était en fin de course, après avoir réussi à permettre au Liban de traverser cette période délicate avec un minimum de problèmes. Mais avec l’approche de l’échéance législative, la situation était devenue plus complexe et les divergences plus aiguës, sur fond de pressions internationales pour le déroulement des élections à la date prévue.


Toujours selon ses proches, Nagib Mikati serait convaincu qu’au fond d’elles-mêmes, les parties locales ne veulent pas de ces élections, sans avoir le courage de le dire tout haut, chacune voulant rejeter la responsabilité d’un éventuel report sur l’autre. Et au final, c’est à lui que serait revenue la mission peu enviable d’annoncer le report. Il a donc préféré se retirer, en choisissant pour prétexte la question de la prorogation du mandat du général Achraf Rifi, tout en plaçant les différentes parties au pied du mur : soit elles parviennent à s’entendre rapidement sur un nouveau gouvernement qui superviserait la tenue des élections, soit celles-ci seront reportées de facto.

 

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Un des proches du Premier ministre précise ainsi que ce dernier a profité de ce contexte pour tenter de faire passer cette prorogation. Soit ses partenaires au sein de la coalition gouvernementale (qui lui ont déjà fait des concessions au sujet du financement du TSL et du maintien en place de l’appareil sunnite de l’équipe Hariri) l’acceptent pour maintenir le gouvernement en place, soit ils la refusent, et ce sera une occasion pour lui de démissionner en marquant des points sur la scène sunnite et tripolitaine. Nagib Mikati aurait donc contacté l’adjoint du secrétaire général du Hezbollah, Hussein Khalil, pour l’informer que si la prorogation du mandat du général Rifi est refusée, il présentera sa démission dans une déclaration télévisée le soir même. M. Khalil l’aurait rappelé quelques instants plus tard pour lui transmettre les « salutations » de Hassan Nasrallah qui lui aurait dit aussi : « Faites ce que vous jugez bon. » L’affaire était donc entendue.


Qu’est-ce qui a donc changé chez le Hezbollah et Amal qui n’avaient pas cessé, depuis plus d’un an et demi, de défendre le gouvernement en affirmant que son maintien en place est préférable à son départ ? Plusieurs explications sont données. D’abord, les deux formations chiites et leurs alliés avaient depuis quelque temps le sentiment d’être amenés à multiplier les concessions sous prétexte du maintien du gouvernement. Ils estimaient ainsi avoir été déjà très patients au sujet des nominations sécuritaires et judiciaires, notamment pour les postes sunnites. Mais concernant le général Rifi, ils ne voyaient aucune justification pour proroger son mandat, d’autant qu’il a atteint l’âge de la retraite et que son départ est dans le cours normal des choses. Ensuite, leur base populaire commencerait à multiplier les critiques à leur égard, considérant que ce gouvernement ne sert pas les intérêts de la majorité. Enfin, ces derniers temps et en particulier depuis le tollé soulevé par la position du ministre des Affaires étrangères à la réunion de la Ligue arabe au Caire, sans que le Premier ministre ne prenne sa défense, le Hezbollah et Amal ont le sentiment que des pressions sont exercées sur les responsables du pays pour les pousser à sortir de leur neutralité sur le dossier syrien.

 

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« La politique de dissociation » si chère au Premier ministre aurait en quelque sorte fait son temps et était devenue quasiment intenable, notamment avec les incidents qui se multiplient à la frontière et la présence de près d’un million de Syriens sur le sol libanais. Si ce gouvernement ne peut plus respecter la politique de dissociation, à quoi bon le maintenir ? Enfin et surtout, la majorité aurait eu le sentiment qu’elle était en train d’être piégée sur le plan des élections avec l’insistance du président de la République et du Premier ministre à faire passer la formation de la commission de supervision des élections, après la signature du décret de convocation du collège électoral et l’ouverture du dépôt de candidatures. Le chef de l’État et le Premier ministre avaient eu beau affirmer qu’ils étaient obligés d’agir ainsi selon la Constitution, la majorité commençait à craindre d’être mise devant le fait accompli et de devoir s’incliner devant la tenue des élections sur la base de la loi de 1960. Ce qui aurait été inacceptable, d’autant que cette loi constitue un avantage certain pour le 14 Mars. À ce stade-là, elle a donc préféré laisser le Premier ministre aller au bout de sa démarche.


Que va-t-il se passer maintenant ? Selon des sources centristes, si les intentions sont bonnes, les différentes parties prendront le chemin de Baabda pour une réunion de la conférence de dialogue axée sur deux sujets : la formation d’un nouveau gouvernement (de transition pour la tenue des élections) et l’entente sur une nouvelle loi électorale, quitte à reporter techniquement la date du scrutin. Il y aurait donc là une chance à saisir et la démission du gouvernement aurait donc l’effet d’un électrochoc national qui permettrait aux différentes parties de prendre conscience de la gravité de l’heure et donc de la nécessité de s’entendre et de faire mutuellement des concessions. C’est le scénario optimiste.
Mais il y en a un autre qui l’est beaucoup moins et qui se résume à l’impossibilité de former un nouveau gouvernement, quelle que soit la personne désignée pour cette mission. Le gouvernement démissionnaire continuerait à gérer les affaires courantes... jusqu’à ce qu’il y ait plus de visibilité dans les développements en Syrie.

 

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