Rechercher
Rechercher

Législatives 2013 : les électeurs libanais ont la parole - Législatives 2013 : Les électeurs libanais ont la parole

« La classe politique actuelle doit partir », affirment les Lahoud de Torzaya

Septième volet de notre série* en partenariat avec la Fondation Samir Kassir sur les attentes des électeurs libanais : la famille Lahoud du caza de Jbeil.

La famille Lahoud de Tourzaya, dans le caza de Jbeil.

Sur l’autoroute menant à Annaya, peu avant d’arriver au couvent Saint-Charbel, une bretelle – visible aux seuls habitués de la région – permet d’accéder à la route menant à Tourzaya, un petit village situé dans les hauteurs du caza de Jbeil abritant des maronites et des chiites. De part et d’autre de la route défile un paysage vert. Du côté de la vallée, de nombreuses serres agricoles témoignent de la vocation de la région. Plusieurs kilomètres défilent avant que les premières maisons ne commencent à être visibles.
C’est dans cette petite localité qui compte une quarantaine de maisons que Jean Semaan Lahoud (44 ans), lui-même originaire de Tourzaya, et son épouse Zakiya Akl Khoury (43 ans) ont élu domicile il y a treize ans pour fuir le brouhaha de la ville.


La porte des Lahoud s’ouvre sur un petit appartement modeste, où le couple vit avec ses quatre enfants : Simon (19 ans), Rita (17 ans), Michel (14 ans) et Charbel (7 ans). L’aîné suit des études de génie civil au CNAM (Conservatoire national des arts et métiers). Les trois autres sont en terminale, quatrième et dixième au collège Saint-Joseph des sœurs maronites de la Sainte-Famille.


« En tant que chrétiens vivant à Tourzaya, nous constatons que nous sommes livrés à nous-mêmes, contrairement aux autres communautés du village », déplore Jean. Ne cachant pas son ras-le-bol, il ajoute : « Ici, ni les chefs religieux ni les hommes politiques ne s’occupent de nous. Tout est le fruit d’initiatives privées. D’ailleurs, cela a toujours été le cas des chrétiens depuis l’arrivée des disciples de saint Maron. »
« Les plus grands hôpitaux, les plus grandes écoles et universités relèvent des communautés chrétiennes, poursuit Jean, entouré de son épouse, de Rita et de Charbel. Malgré cela, les chrétiens ne peuvent pas avoir plus qu’un enfant s’ils veulent lui assurer une vie décente. »


Ayant été victime de deux accidents de santé majeurs que la Caisse nationale de Sécurité sociale n’a pas couverts, il continue, indigné : « Il faut vendre tous ses biens pour se faire soigner. Idem pour assurer l’enseignement des enfants. Voici les gros problèmes que nous rencontrons, au moment où nous constatons que les autres communautés ne manquent de rien. »
Pour pouvoir vivre décemment, Jean estime qu’il faut « quémander des services des autres communautés, s’humilier devant les hommes politiques – chose que nous refusons –, être affilié à un parti ou à un courant politique – sachant que tous les partis chrétiens n’aident pas – ou tout simplement compter sur soi-même ». Dans ce dernier cas, tous les membres de la famille « mettent la main à la pâte » pour pouvoir joindre les deux bouts.


Un village isolé
Jean est agriculteur et possède un atelier de décapage et de peinture. Zakiya s’occupe de la maison et aide son mari pour le travail aux champs. « Nous sommes une famille solidaire », lance-t-elle. Installée dans la salle de séjour où trônent des photos de plusieurs saints et saintes, elle insiste : « Mon mari a un salaire, mais nous l’aidons quand même, sinon il devrait embaucher quatre ouvriers. »
Malgré ses deux emplois, Jean se trouve souvent dans l’incapacité de boucler ses mois. « Dans les professions indépendantes, le travail n’est pas stable, raconte-t-il. Parfois, pour pouvoir subvenir aux besoins de la famille, je suis obligé de travailler sur les chantiers de mon frère, au même titre que les autres ouvriers. »


« Les frais de scolarité sont élevés, sans parler des autocars, renchérit Zakiya. De plus, nous devons souvent nous rendre à Jbeil pour faire les courses. À part les légumes, ici, nous ne pouvons rien acheter. » Pour aller à Jbeil, il faut compter environ 45 minutes de trajet, et « l’essence est chère ».
« Le village manque de beaucoup de choses, reprend Jean. L’infrastructure laisse à désirer. Il n’y a pas de magasins, ni de stations-service. La plus proche station est à 6 km. Par ailleurs, nous n’avons pas, dans le village, de générateurs communs. Chaque maison doit avoir son propre générateur et un onduleur (UPS). Même si le carburant nécessaire à faire fonctionner le générateur coûte 200 dollars par mois, nous sommes obligés de le payer parce que nous voulons vivre. »

Une grande indignation
Les Lahoud ne cachent pas leur indignation envers les chefs religieux et les hommes politiques. « Leurs actions ne correspondent pas à leurs déclarations, affirme Jean. Chaque fois qu’une nouvelle équipe vient au pouvoir, nous nous disons que la stabilité va régner, mais les gens continuent de mourir devant les hôpitaux et n’arrivent pas à assurer une éducation à leurs enfants. »
Quant aux chefs religieux, ils devraient « mieux s’occuper des jeunes ». « Je les aime et les respecte, se reprend Zakiya. J’ai élevé mes enfants conformément aux préceptes de la religion et de la charité. Si seulement les hommes de religion aidaient la jeunesse chrétienne qui s’enlise dans la drogue, qui meurt dans les accidents de la route... Pourquoi ne montent-ils pas de projets à leur intention ? »


Rappelant qu’à Tourzaya, l’État n’est pas présent, Jean affirme ne rien espérer des prochaines législatives. « Je n’attends rien de personne, déclare-t-il. Personne ne va rien nous donner. Les professeurs sont dans la rue depuis un mois. Qu’est-ce qu’ils ont pu changer ? »


Jean tente, malgré tout, de rester optimiste. « Si tous les responsables, chrétiens et musulmans, sont solidaires les uns des autres, on peut espérer un changement, affirme-t-il. Ils doivent s’entendre sur un seul mot : “le Liban”. Pour une fois, qu’ils travaillent pour le pays, qu’ils aident les citoyens et qu’ils combattent la corruption administrative. Il n’est pas permis que des dizaines de milliers de fonctionnaires encaissent leurs salaires à la fin du mois alors qu’ils ne savent même pas dans quel département ils travaillent ! Ce sont les agriculteurs et les citoyens, qui n’ont personne pour les protéger, qui paient leurs salaires. »


Pour Jean, le changement ne peut être opéré que par le biais d’élections basées sur une nouvelle loi électorale. « La classe politique actuelle doit partir, martèle-t-il. Qu’on fasse venir de nouvelles personnes. Les hommes politiques ne doivent pas être au service d’un individu, mais de toute la patrie. Ils doivent se pencher sur les problèmes sérieux, comme la santé, l’éducation, l’assurance-vieillesse, etc. »
Aujourd’hui, la famille Lahoud est décidée à boycotter le prochain scrutin. Qu’est-ce qui pourrait lui faire changer d’avis? « Cette fois, je vais réfléchir d’un point de vue confessionnel, affirme Jean. Si les chrétiens s’entendent et qu’ils peuvent choisir leurs représentants, j’envisagerai de voter. Sinon, je ne le ferai pas. »

Retrouvez les autres rencontres de notre série dans notre dossier spécial : Les électeurs libanais ont la parole


Sur l’autoroute menant à Annaya, peu avant d’arriver au couvent Saint-Charbel, une bretelle – visible aux seuls habitués de la région – permet d’accéder à la route menant à Tourzaya, un petit village situé dans les hauteurs du caza de Jbeil abritant des maronites et des chiites. De part et d’autre de la route défile un paysage vert. Du côté de la vallée, de nombreuses...