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Législatives 2013 : les électeurs libanais ont la parole - Législatives 2013 : Les électeurs libanais ont la parole

À Kfarnabrakh, l’engagement des Ghadban pour pallier les défaillances de l’État

Cinquième volet de notre série* en partenariat avec la Fondation Samir Kassir sur les attentes des électeurs libanais : la famille Ghadban, de Kfarnabrakh.

Wissam et Ziad Ghadban à Kfarnabrakh, dans le Chouf.

Wissam Ghadban est une femme fière qui porte en étendard son prénom à connotation masculine. Wissam habite à Kfarnabrakh, un village qui s’étend sur plusieurs kilomètres dans le relief vert du Chouf, mais qui est terni par une précarité qu’accentue la fadeur d’un matin d’hiver.


Ce matin-là, Wissam Ghadban devait informer Walid Joumblat des activités du Comité des femmes de Kfarnabrakh, une association impliquée dans le développement que cette Libanaise âgée d’une cinquantaine d’années gère depuis la fin de la guerre civile. « Nos activités concernent la personne que les municipalités, tournées plutôt vers les questions d’infrastructures, occultent souvent », affirme-t-elle. De manière générale, c’est surtout à l’absence et aux défaillances de l’État que l’association tente de remédier, quitte pour ce faire à recourir aux services du « bey » druze.
Un bey qui a toutefois expressément stipulé, affirme Wissam, que l’association à laquelle il donnait son aval soit indépendante et « serve tous les habitants quelles que soient leurs affinités politiques ».


À peine rentrée de la journée portes ouvertes à Moukhtara, Wissam prépare pour ses propres visiteurs une boisson chaude épicée, gorgée de noix fraîches. Arrive Ziad, son époux. Il vient de la station-essence dont il est propriétaire et qui lui a permis jusque-là de mieux subvenir aux besoins de ses trois enfants. La station-essence, dont les murs pèlent, jouxte la demeure de pierre des Ghadban. La maison de trois étages donne sur la route asphaltée qui sillonne le village, au-delà de laquelle le regard se perd dans un panorama montagneux. Dans le salon, la vie semble s’organiser autour d’un vieux poêle.

L’agriculture
Ziad est un commerçant, mais aussi un agriculteur. Sa principale doléance est d’ailleurs liée au secteur agricole, qui représente 75 % de l’activité économique du village. « Je possède une parcelle de terrain que je n’ai plus la force physique de cultiver. Mon fils refuse de prendre la relève, faute de rentabilité suffisante. Les biens terriens vont finir par perdre leur valeur », déplore-t-il. « C’est l’État qui doit prêter attention aux villages, et surtout aux agriculteurs », ajoute Ziad.
À titre d’exemple de l’abandon ressenti par les agriculteurs, Ziad explique qu’aucune indemnité ne leur a été versée suite aux dégâts provoqués par les inondations survenues après le passage d’une violente tempête au Liban début janvier.


Autre doléance, exprimée par Ziad et par tant d’autres : l’électricité, dont le rationnement quotidien varie entre 18 et 19 heures par jour à Kfarnabrakh. C’est justement pour pallier ce rationnement extrême que Wissam a demandé et obtenu la gestion de l’un des 15 générateurs distribués aux villages du Chouf par Walid Joumblatt, afin que les habitants puissent couvrir leurs besoins en électricité sans se ruiner (l’abonnement mensuel est de 30 000 LL, soit 20 dollars, pour 5 ampères). L’installation du réseau (35 000 dollars) a été financée en partie par des députés du Parti socialiste progressiste et par les frais d’abonnement initiaux (100 dollars par ménage). « L’association tente de dégager l’horizon pour les habitants du village qui vivent dans la pauvreté, comme dans le reste du pays d’ailleurs », confie-t-elle.


« Aujourd’hui, certains s’endettent pour un médicament à 3 000 LL (2 dollars). La misère est très grande », note encore Wissam. Là aussi, la société civile doit couvrir l’absence de l’État. À Kfarnabrakh, a été créé un centre médical et social, affilié à l’association de Wissam, qui gère les dossiers des 300 patients souffrant de maladies chroniques. Pour ces malades, la consultation n’est facturée que 8 000 LL et les médicaments sont gratuits.

 

 



Manque d’universités et de transports
Pour les habitants du village, l’accès à une bonne éducation est également un problème. En raison de l’irrégularité des cours dans les écoles publiques, « qui ferment leurs portes à chaque chute de neige » ou font grève, les habitants préfèrent inscrire leurs enfants dans des écoles privées, explique Wissam. Des écoles dont les frais de scolarité « ne sont jamais inférieurs à deux millions de livres libanaises (1 333 dollars) », ajoute-t-elle. Là encore, l’association entre en jeu, couvrant chaque année les frais de scolarité de 70 à 80 élèves à hauteur de 50 %.


Le grand regret de Wissam est cependant de voir que la région manque d’universités publiques. « Certains choisissent de ne pas poursuivre leurs études universitaires faute de pouvoir payer l’aller-retour quotidien à Beyrouth », confie Wissam, dont la fille aînée a étudié à l’Université libanaise, dans la capitale. « À l’époque, il y a près de vingt ans, les transports publics étaient assurés, et 120 étudiants de ce village effectuaient chaque jour l’aller-retour pour 1 000 LL », poursuit-elle. Quand le cadet de la famille est entré à l’université, un établissement privé à Beyrouth, l’aller-retour coûtait déjà 7 000 LL. Aujourd’hui, le fils des Ghadban a émigré.


Mais l’association ne peut pas tout faire, « personne ne peut remplacer l’État ni même le bey », reconnaît Wissam.
Qu’attendent, dès lors, Wissam et Ziad des candidats aux prochaines législatives libanaises ? « Ils savent déjà ce que nous voulons, l’important, c’est qu’ils s’y tiennent », lâche Ziad, laconique. Wissam, elle, préfère souligner que « personne ne peut s’attendre au changement si l’on n’est pas soi-même prêt à produire ce changement ».

Un message aux chrétiens
Les Ghadban, eux, sont prêts à s’investir, comme l’illustrent l’engagement associatif de Wissam ou le message lancé par Ziad, un druze, aux chrétiens de Kfarnabrakh, peu présents, mais dont le retour est « essentiel pour que le village retrouve sa vitalité et pour semer l’amour entre ses fils ». « Il ne suffit pas de passer occasionnellement un dimanche ici », dit-il.


Des douze mille habitants druzes et chrétiens du village inscrits au registre d’état civil, très peu y résident effectivement, et encore moins en hiver. Ma’moun et Randa Khoury, des voisins venus prendre le café ce matin-là chez les Ghadban, font partie de ceux qui sont plus ou moins rentrés au village. Comptable à Beyrouth, Ma’moun se rend chaque semaine à Kfarnabrakh et il y passe tout l’été. « J’ai remis les pieds dans ma demeure en 1997 sans jamais chercher à savoir qui aurait pu y habiter en mon absence, affirme-t-il. Celui qui estime difficile de revenir ici n’a pas sincèrement l’intention de participer à la réconciliation. »


Ironie de l’histoire, ce sont moins les stigmates de la guerre de la Montagne que les difficultés économiques qui entraveraient ce retour à Kfarnabrakh. En plus des transports coûteux, la question du chauffage est primordiale. « Il faut 20 litres de mazout par jour pour chauffer une seule chambre », affirme Ziad.
Derrière le domicile des Ghadban, la lumière matinale réchauffe la terrasse, comme une jetée dans un petit champ dont les fruits d’hiver sont des pommes rondes et juteuses.

 

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