Une faculté inouïe d’adaptation, une compromission inavouée avec la réalité, une course désespérée et désespérante pour gagner du temps, retarder l’issue fatale, le moment de vérité qu’ils appréhendent. Alors, on fait comme si, on fait avec, on se fait une raison, on laisse passer et on ferme évidemment les yeux...
L’État, que soixante-dix ans d’indépendance n’ont pas réussi à façonner, que les pouvoirs successifs ne sont pas parvenus à bétonner, peut attendre quelques autres décennies pour se constituer, pour s’imposer comme seul recours ! Il faut bien, au préalable, que les diverses communautés religieuses se fassent une meilleure place au soleil, que les maronites, frustrés, obtiennent réparation, que les chiites arrivent à préserver leurs acquis et que les sunnites puissent remonter la pente minée par « leurs partenaires dans la nation »
On s’étripe pour un siège parlementaire supplémentaire, on rouvre les vieux dossiers d’une corruption généralisée, à effet boomerang, on insulte, on invective... et on se retrouve, le lendemain, dans une même équipe ministérielle pour clamer, haut et fort, que la confiance règne et que la situation est sous contrôle.
Tragique politique politicienne, pitoyables guéguerres pour des dividendes toujours mal acquis, affichage d’alliances et de mésalliances opérées au gré d’intérêts conjoncturels : la liste des aberrations et autres dérives est longue sans être exhaustive. Aux frontières, entre-temps, à Tripoli ou à Saïda, à des encablures des sièges officiels et des officines des partis politiques, les menaces s’accumulent, les flammes du drame syrien gagnent du terrain, dévorent les derniers espaces d’une paix fictive.
Dans les périphéries, dans les localités prisonnières de leurs vieux démons, s’entassent des centaines de milliers de réfugiés, se développent de nouvelles ceintures de misère, se fabrique une bombe à retardement contre laquelle risquent de se fracasser toutes les bonnes volontés du monde.
Et, au cœur de la Cité, d’une capitale qui s’obstine à vivre en dehors du temps réel, gronde une colère légitime, celle du Liban d’en bas longtemps méprisé, longtemps utilisé et abusé par ceux-là mêmes qui s’en disaient les protecteurs, les défenseurs acharnés.
Sombre tableau d’une réalité scandaleusement occultée, noirs desseins d’une classe politique incompétente, pourrie jusqu’à la moelle. Ne désespérons pas pour autant : la vie « à la libanaise » décline encore son insouciance, sa résilience légendaire, et de colloques internationaux en spectacles et festivals culturels se perpétue la tradition ancestrale.
On fait comme si, on fait avec et on ferme évidemment les yeux...
P.S. Hier, comme l’année précédente, comme tous les ans depuis l’assassinat de Rafic Hariri, les forces du 14 Mars ont réasséné des vérités, rappelé des constantes, souligné l’impossibilité d’aboutir au changement, aux réformes souhaitées, à l’ombre d’institutions fantômes, d’un État pris en otage par les hordes du fait accompli, éviscéré par les mafias de la corruption. Hier, une fois de plus, le couteau a été retourné dans la plaie à l’évocation des martyrs de la révolution du Cèdre, de l’impunité dont bénéficient encore les criminels. Hier, une fois de plus, des jeunes de la société civile ont crié leur colère, clamé leur engagement à poursuivre le combat. Hier, une fois de plus. Jusqu’à quand ?
Mrayét il 3ajayéb will gharayéb...
11 h 34, le 19 mars 2013