D’un intégrisme à un autre, d’un parti de Dieu qui s’arroge le droit d’être au-dessus des lois, qu’elles soient locales ou internationales, à des fous de Dieu qui défient ouvertement ces mêmes lois, s’en servent pour mieux exciter la piétaille, la soulever contre les « apostats », le tableau ne surprend plus, ne choque même pas. Pire : il est entré dans les mœurs citoyennes, accompagne le quotidien de M. Tout-le-Monde.
Justice malmenée, légalité tournée en ridicule : le temps fait son œuvre, annihile le réflexe même de l’étonnement. Quand l’État, assiégé, s’adapte à l’anormalité, se fait une raison, le citoyen suit le courant, incorpore les déviances dans un lexique qu’il ne prend plus la peine de mettre à jour.
Et de fil en aiguille, d’une violation collective à une situation insurrectionnelle, les considérations strictement confessionnelles prennent le dessus et ce qui est légal devient illégitime. Le droit cède alors la place au non-droit et l’aberration institutionnalisée fait tache d’huile, descend progressivement dans la rue.
Comment s’étonner dès lors que la déliquescence soit généralisée, que la corruption étende ses tentacules à toutes les administrations, que les lois soient systématiquement bafouées, que les chauffards sévissent dans les rues sans crainte d’être inquiétés, que les voleurs à la tire prolifèrent dans tous les quartiers et ne rencontrent personne pour les réprimer.
Comment s’étonner que les criminels aient trouvé un nouveau filon, une juteuse source de revenus, des prises d’otages, quasi quotidiennes, qui se terminent presque toujours par le paiement de fortes rançons et la disparition des malfaiteurs dans une nature évidemment accueillante, que ce soit dans la Békaa ou au Sud. « Les rapts ne sont pas de nature politique », tiennent à préciser des sources sécuritaires. Est-ce pour nous rassurer ou pour excuser les défaillances d’une maréchaussée visiblement dépassée par les événements ?
Comment s’étonner que pour un oui ou un non, des foules hirsutes bloquent les autoroutes, dressent des barricades de fortune et enflamment les pneus de la pollution, parfois, tenez-vous bien, en signe d’appui à une légalité taillée à leur mesure. Des foules qui réussissent la gageure de banaliser le ridicule et d’en tirer fierté !
Des élections en juin ? Comment les organiser dans ce climat délétère, quand des voyous, des bandits de quatre chemins, rivalisent de zèle et d’ardeur avec des milices bien implantées, quand les armes sortent de leur étui à la première occasion et quand l’État se voit contraint de composer avec ceux-là mêmes qui contestent son autorité ?
Et qu’on ne vienne surtout pas accuser les médias de jeter de l’huile sur le feu, de trop braquer les lumières sur les sujets qui fâchent. Le jour où la presse, pour complaire au « suzerain » du moment, ou pour caresser une opinion frileuse dans le sens du poil, souscrira à la normalité ambiante, composera avec la banalisation criminelle, ce jour-là le Liban aura définitivement sombré dans le déni, dans la négation de soi...
Courage toujours pour la presse de dénnocer l’anormalité qui est devenue dans nos uts et coutumes dans un pays ou la loi de la jungle seule gère l' Etat au nom de la confession . Antoine Sabbagha
06 h 56, le 11 février 2013