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À La Une - L'impression de Fifi ABOU DIB

Il y a feu et feu

Il montrait des photos à la radio. Bien entendu, les auditeurs ne voyaient rien, mais ils voyaient. Le sociologue tunisien Tahar Labib décrivait sur les ondes un cliché sur lequel le président déchu Ben Ali rendait visite à Bouazizi sur son lit de mort. Bouazizi, cet inconnu rendu plus inconnu encore et plus terrifiant par les bandages qui recouvraient son corps et surtout son visage. Réduit à l’état de machine par ses multiples intubations. Ben Ali, les mains croisées, le regard suppliant, souligne Tahar Labib, observe intensément le grand brûlé et semble se demander par quel moyen le convaincre de rester en vie, parfaitement conscient que son propre avenir ne tient qu’au souffle léger du marchand de quatre saisons. Mais le premier héros du printemps arabe n’est presque plus là. Privé de parole, il a à son tour, malgré lui, l’intransigeance des despotes. À ce moment précis, conclut le sociologue, le dictateur est l’esclave de l’esclave. Il est prêt à se mettre à genoux. Leurs vies sont liées et Bouazizi n’a plus rien à perdre. On connaît la suite.
Enfants, on nous avait appris que la révolution française avait été déclenchée par un hiver très froid et des maladies du blé, des pommes de terre et des vignes. Quelle est donc la maladie qui a mis la sève au printemps arabe ? La mondialisation sans doute, l’Internet bien sûr, mais surtout le mensonge, l’insulte à l’intelligence d’une génération systématiquement maintenue dans l’ignorance, éduquée à la vénération du chef, terrorisée par la répression. L’accès à l’information, la possibilité d’entrevoir le monde libéral par la lucarne de l’ordinateur eurent à eux seuls l’effet d’un habeas corpus. Les forces religieuses, longtemps opprimées par les dictatures séculières, attendaient elles aussi leur heure. Il était normal qu’elles profitent de la colère populaire pour placer leurs jetons. Il est tout aussi normal que leur guerre soit financée par des puissances de droit divin qui croient ainsi préserver leurs trônes. Il sera normal qu’au bout du compte ce factice édifice s’effondre à son tour.
Ce n’est pas un printemps d’hirondelles et de fleurs ni de pelouses et de bourgeons. C’est un printemps de débâcle et de dégel violent, de torrents de sang et de boues infâmes. Le printemps est ainsi, pourri, mais il est nécessaire au fruit. Tandis que s’installe dans le monde arabe cette épouvantable et interminable saison, le Liban, sur la touche, se sent un peu imbécile. Ici, sans démocratie mais sans dictature à abattre, on ne sait pas mettre un nom sur ses démons. Engluée dans son étroit sectarisme, c’est une société de moins en moins instruite et de plus en plus pauvre, sans vision, sans ambition et sensible aux discours populistes, qui regarde passer le train fou des révolutions environnantes. Elle aimerait bien le prendre, changer de vie, mais ne voit pas comment. Pour exprimer notre mal-être, nous brûlons des pneus. Bouazizi, lui, s’est immolé.
Il montrait des photos à la radio. Bien entendu, les auditeurs ne voyaient rien, mais ils voyaient. Le sociologue tunisien Tahar Labib décrivait sur les ondes un cliché sur lequel le président déchu Ben Ali rendait visite à Bouazizi sur son lit de mort. Bouazizi, cet inconnu rendu plus inconnu encore et plus terrifiant par les bandages qui recouvraient son corps et surtout son visage....
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