Enfants, on nous avait appris que la révolution française avait été déclenchée par un hiver très froid et des maladies du blé, des pommes de terre et des vignes. Quelle est donc la maladie qui a mis la sève au printemps arabe ? La mondialisation sans doute, l’Internet bien sûr, mais surtout le mensonge, l’insulte à l’intelligence d’une génération systématiquement maintenue dans l’ignorance, éduquée à la vénération du chef, terrorisée par la répression. L’accès à l’information, la possibilité d’entrevoir le monde libéral par la lucarne de l’ordinateur eurent à eux seuls l’effet d’un habeas corpus. Les forces religieuses, longtemps opprimées par les dictatures séculières, attendaient elles aussi leur heure. Il était normal qu’elles profitent de la colère populaire pour placer leurs jetons. Il est tout aussi normal que leur guerre soit financée par des puissances de droit divin qui croient ainsi préserver leurs trônes. Il sera normal qu’au bout du compte ce factice édifice s’effondre à son tour.
Ce n’est pas un printemps d’hirondelles et de fleurs ni de pelouses et de bourgeons. C’est un printemps de débâcle et de dégel violent, de torrents de sang et de boues infâmes. Le printemps est ainsi, pourri, mais il est nécessaire au fruit. Tandis que s’installe dans le monde arabe cette épouvantable et interminable saison, le Liban, sur la touche, se sent un peu imbécile. Ici, sans démocratie mais sans dictature à abattre, on ne sait pas mettre un nom sur ses démons. Engluée dans son étroit sectarisme, c’est une société de moins en moins instruite et de plus en plus pauvre, sans vision, sans ambition et sensible aux discours populistes, qui regarde passer le train fou des révolutions environnantes. Elle aimerait bien le prendre, changer de vie, mais ne voit pas comment. Pour exprimer notre mal-être, nous brûlons des pneus. Bouazizi, lui, s’est immolé.