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À La Une - Mali

Quand Tombouctou vivait sous la charia...

Plusieurs habitants témoignent sur ce qu’ils ont vécu du temps des islamistes.

Il y a encore quelques jours, Maïmouna Djité, une jeune Malienne de 15 ans, ne pouvait sortir qu’entièrement voilée (à gauche) ; aujourd’hui, dans Tombouctou libérée, elle s’affiche sans complexe (à droite). Fred Dufour/AFP

Défiant le couvre-feu, la jeune Tombouctienne s’est faite belle pour dîner et regarder Ali Baba et les 40 voleurs chez des amis. Un plaisir tout juste retrouvé pour Maïmouna Djité, 15 ans, qui baissait les yeux devant les islamistes, il y a moins d’une semaine. Quelques jours après la libération de Tombouctou (900 km au nord de Bamako) par les forces maliennes et françaises, Maïmouna bavarde et pose, les cheveux en bataille. Mais pendant les dix mois de règne des jihadistes, elle ne se hasardait plus dans son quartier de Badjindé qu’« entièrement voilée ». À présent, le grand frère de Maïmouna, prénommé Ali Baba – « comme le film » –, aime se promener en marcel blanc dans les rues et y exhiber ses gourmettes. « Quand on pense qu’on ne pouvait même plus parler avec sa propre sœur dans cette ville ! »


Sur une avenue sablonneuse, à 200 mètres de chez elle, siégeait la redoutée « prison des femmes », ex-agence bancaire où « l’inspecteur » Ahmad Mohammad Mossa, « un Touareg de la région, entassait les femmes s’il l’avait décidé ». À l’emplacement du distributeur automatique d’argent, elles étaient « une douzaine » à se serrer, dans une pièce de deux mètres sur deux. « Je les entendais qui pleuraient. Ils les laissaient sans eau, elles urinaient même là. » « Les islamistes prenaient les filles, leur demandaient pourquoi elles ne se couvraient pas entièrement la tête, et les fouettaient parfois. Même si tu sortais dans la rue avec ton frère, ils disaient que c’était ton copain ! »


Dans le quartier Koira-Tawo, dans une maison en banco (boue séchée), une fillette balaie le sol en sable de la cuisine pendant qu’Azahara Abdou, 20 ans, raconte : « Il y a un mois et demi, je lavais mes habits ici et j’étais sortie pour les faire sécher. Ahmad Mossa et ses hommes sont venus me dire que je n’étais pas habillée correctement. Je suis restée deux jours à la “prison des femmes”. Au second, cinq “petits” (subordonnés) d’Ahmad Mossa m’ont violée. » Puis elle explique, en langue songhaï, que son propre « grand frère a été tué par les islamistes, quand on savait que les Français allaient venir » reconquérir le Nord : « Il prenait le thé avec quatre amis. Les islamistes les ont accusés d’avoir volé du gasoil. Mon frère s’est levé pour s’enfuir, ils l’ont tué de quatre balles. »

Ici, Belmokhtar prenait le thé
Abdou Mohammad Traoré – guide de « la cité des 333 saints » qui n’a plus vu de touristes depuis l’arrivée des islamistes en avril 2012 – fait désormais visiter aux journalistes étrangers les lieux symboles de l’« occupation ». Ce guide de 28 ans assure que Tombouctou a vu passer les plus redoutés émirs d’el-Qaëda au Maghreb islamique (AQMI), tels l’Algérien Abou Zeïd et son compatriote Mokhtar Belmokhtar, chef du groupe dissident ayant organisé la récente attaque du site gazier d’In Amenas en Algérie. « Vous voyez, dans cette boutique pillée mardi matin par la foule, Mokhtar Belmokhtar venait parfois prendre le thé, raconte-t-il. Le borgne portait un turban noir. Ses subordonnés un turban café au lait. Tous étaient armés de kalachnikov. » D’autres islamistes organisaient des méchouis au bord du fleuve Niger. Jusqu’à leur fuite, pour certains « à dos d’âne », assure-t-il.


Ailleurs, le jeune guide désigne une ancienne belle auberge, « La maison ». « Les islamistes s’y étaient installés et ils y rendaient leurs jugements. Un Touareg, ex-rebelle, avait tué un pêcheur à qui il avait dit : “Tu n’es qu’un chien, tu ne sais pas que la ville nous appartient.” Les islamistes l’ont jugé et exécuté d’une balle dans la tête. » Place des Martyrs, il désigne « la boutique d’un homme marié, surpris à un rendez-vous avec une femme non mariée. Il avait préféré s’enfuir parce qu’il pensait qu’ils allaient le tuer ». Dans la ville, tous les personnages sur les affiches sont barbouillés, « parce que c’était haram (interdit) de voir un visage sur un tableau », relève-t-il. Et au Grand Marché, la liste est longue de tout ce qui ne pouvait plus se vendre : cigarettes, appareils photo, pommades pour éclaircir le teint, téléviseurs, radios..., énumère un client, Mahal Moudou Maïga, 42 ans. Il rappelle, presque amusé, que « c’était satanique pour eux mais pas pour nous. Mais ce n’est rien par rapport à l’amputation d’un présumé voleur qu’ils ont organisée une fois en public ».

 

Pour mémoire

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