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Nos Lecteurs ont la Parole

Du pouvoir ou de la vanité de la violence

Par Nicole HAMOUCHE
Quand la déception est tellement grande et que la violence nous prend tellement de court, on n’a plus envie de mots. À quoi servent-ils ? Mutisme, silence... Prendre le large, pour retrouver le souffle, a minima... Mais le mutisme est aussi absence, à soi. La plus terrible des absences. Alors, pour éventuellement conjurer celle-ci, autant s’aventurer dans quelques lignes. Qui ne seront pas forcément dans la bien-pensance, mais dans la confrontation, tout d’abord à soi-même.
S’autoriser à dire le conflit, à le vivre, à appeler un chat un chat ; mais non un chat un chien. S’autoriser à vivre le conflit plutôt que faire comme si de rien n’était, prendre ses jambes à son cou ou alors taper dans l’autre... Parce qu’il suffit d’un mot pour briser toute relation. Les mots, les gestes brutaux, sans appel, ou le refus de quelque geste ou de quelque mot qui soit – c’est équivalent – ne révèlent-ils pas une solitude narcissique en opposition avec la structuration même de notre identité, essentiellement relationnelle, a fortiori dans une terre multiple et complexe comme la notre ? S’il est difficile voire illusoire de pouvoir revenir à un statu quo ante quand l’offense nous a profondément atteint ; reconnaître le conflit, oser la confrontation ne pourrait-il constituer un certain « cheminement vis-à-vis du réel » ; quand bien même long, très long, comme l’écrit Jacques Arène dans son livre Dépasser sa violence ? Dans cette terre de toutes les violences, où l’on continuait à se bercer de discours lénifiants le 19 octobre (à l’exception de celui de May Chidiac) au plus haut de tous les carnages, au plus symbolique de tous – place Sassine, sous le soleil de midi, 118 victimes, civiles et innocentes, pour la plupart chrétiennes – ne peut-on enfin concéder forts de moult années de remous épuisants, d’hypocrisie, de profil bas, que « trouver l’autre et se trouver en même temps soi, c’est d’abord s’exposer au conflit et à la différence » ?
C’est ce qui m’a guidé vers la place des Martyrs, encore une fois le dimanche 21 octobre, en dépit des discours de renoncement ou du fatalisme oriental, qui parasitaient mon élan premier. J’ai voulu suivre cet élan ; ce cri du cœur et encore plus que le 14 mars dernier, j’ai été déçue cette fois-ci dans un premier temps, par la mollesse et la teinture du rassemblement confessionnel, partisan ; et dans un deuxième temps par sa rudesse. Pas beaucoup de drapeaux libanais ; surtout des bandières partisanes, nombreuses ; certaines que je voyais pour la première fois... Un règlement de comptes, des injonctions confessionnelles plus qu’un appel à la liberté, au nom de tout le Liban. Tous ces morts et ces blessés, qui porteront pour beaucoup d’entre eux leurs blessures voire même leurs mutilations à vie, ne comptent-ils pas ? Tous ces chrétiens – puisqu’il faut parler confession – tombés en plein cœur de chez eux, dans leur propre intérieur – au sens propre comme au sens figuré du mot ? Pourquoi pas un seul des leaders chrétiens n’a-t-il pris la parole sur cette place des Martyrs, rien qu’au nom de ces martyrs anonymes ? La révolution du Cèdre n’est pas celle d’un seul clan ; elle était celle d’un peuple... Pourquoi un journaliste lambda, sans aucune légitimité populaire ou politique, peut-il haranguer une foule, prompte à se transformer en horde et faire avorter une révolution alors qu’aucun des leaders – pour ceux qui sont encore là heureusement – de la révolution du Cèdre ne vient se prononcer sur cette tribune ? L’intensité du mot de l’ancien Premier ministre Siniora et l’impact qu’il aurait pu avoir s’est aussitôt trouvée diluée dans l’acharnement des manifestants sur le Sérail et l’attention aussitôt divertie sur des considérations pragmatiques pour calmer la violence et la rue. L’élan premier était coupé net et l’opposition se « suicidait » au lieu de ressusciter comme titrait hier si justement un des journaux de la place. Quand la pulsion de vie prendra-t-elle le dessus réellement sur cette pulsion de mort que l’on retrouve d’un coté comme de l’autre au final ? Quand est-ce que la pensée et la « douceur » – faut-il toujours avoir peur des mots – remplaceront le langage primaire de la séparation et de la brutalité, lequel jusque-là n’a mené nulle part ? La force n’est pas la violence ; la fermeté n’est pas la violence... Ne peut-on être ferme et flexible tout à la fois ? Est-il nécessaire de porter le conflit là où la réalité se casse en deux ? Ne peut-on pas admettre que nous avons partagé un espace commun ; que nous continuons à le partager ? Ne pouvons-nous pas tenter de mentaliser, quand bien même nous serions profondément blessés ; « nous penser en entier et en même temps penser l’autre » pour nous reconnaître frère en humanité ? Par nécessité vitale, comme l’écrit encore Arène. « L’existence d’un monde commun est la base même du sentiment qu’un être ensemble demeure possible. (Mais) on ne peut établir de vérité commune quand on demeure profondément dans le désir d’en découdre. » Pouvons-nous « en découdre » chez nous ? Cette terre du Liban n’est-elle pas ainsi faite, de chiites, de chrétiens, de musulmans, de partisans de Dieu, du dollar, du pétrodollar, du polar, du bobard, etc ?
Ma déception, ma tristesse, ma rage hier, mais aussi avant hier... m’a poussé à vouloir réfléchir, sur la violence notamment ; extérieure, mais surtout intérieure ; celle qui nous habite car celle que l’on voit au-dehors n’est que le reflet de conflits intérieurs bien plus pernicieux et persistants. Je me suis retournée vers Samir Frangie, vers Jacques Arène : « Si nous ne fuyons pas ces moments de vérité intérieure, moments incandescents et parfois insoutenables... nous pourrons cheminer vers cette conversion de la violence vers la bonne violence qui, selon Denis Vasse, est la violence de l’Esprit », écrit le psychanalyste. « Quand elle se fait entendre, elle brise le cœur de pierre et restaure le cœur de chair, le sang se remet à circuler dans le corps. L’Esprit fait violence à la violence. Il est douceur. Il fait mourir la mort. Il est vie. »
Quand la déception est tellement grande et que la violence nous prend tellement de court, on n’a plus envie de mots. À quoi servent-ils ? Mutisme, silence... Prendre le large, pour retrouver le souffle, a minima... Mais le mutisme est aussi absence, à soi. La plus terrible des absences. Alors, pour éventuellement conjurer celle-ci, autant s’aventurer dans quelques lignes. Qui...

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