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À La Une - Caucase

Des législatives géorgiennes sous haute tension

Une campagne chargée en provocation et en agressivité, un duel entre deux hommes, une Russie semi-présente... C’est dans ce contexte tendu que les Géorgiens se rendent aux urnes aujourd’hui pour élire leurs députés.

La Géorgie élit ses députés aujourd’hui lors de législatives où le parti du président Mikheïl Saakachvili affronte une coalition d’opposition dirigée par le milliardaire Bidzina Ivanichvili. Les deux hommes ne se sont fait aucun cadeau au cours d’une campagne lourde de «provocation» et d’«agressivité», selon des observateurs de l’OSCE dans ce pays du Caucase de 4,5 millions d’habitants. «Nous assistons à un affrontement entre deux fortes personnalités, deux grands ego, chacun voulant battre l’autre et refusant tout compromis», a déclaré à l’AFP Thomas de Waal, spécialiste du Caucase à l’institut Carnegie. La coalition d’opposition Le rêve géorgien de M. Ivanichvili accuse M. Saakachvili de mettre en place un régime autoritaire alors que M. Saakachvili affirme que son principal opposant, s’il arrivait au pouvoir, mettrait fin à la modernisation du pays et le renverrait à son passé marqué par la corruption et le chaos.
Fait marquant de cette campagne électorale, ce sont ces deux hommes plutôt que leurs formations politiques respectives qui s’affrontent. «C’est une constante depuis l’indépendance de la Géorgie au début des années 90 et c’est le cas pratiquement dans l’ensemble de l’espace postsoviétique, précise Silvia Serrano, chercheur associée au Cercec (Centre d’études des mondes russe, caucasien et centre européen de l’Ehess), ajoutant que l’on observe partout une très grande difficulté à institutionnaliser le domaine politique. En général, les partis ne sont en réalité que des formations disparates, regroupées autour d’un leader très charismatique. Malheureusement, il n’y a aucune originalité à cette situation, mais elle dénote une difficulté dans la construction du politique dans les États postsoviétiques.»

Les enjeux
Les hostilités au cours de cette campagne très mouvementée ont mis en relief la fragilité de la démocratie géorgienne. Depuis la révolution de la rose en 2003, le personnel politique et les observateurs affirmaient que les conditions de la relève seraient un test permettant d’évaluer la démocratisation dans le pays. « Or ce qu’on voit aujourd’hui, c’est que tant que Saakachvili n’était pas menacé par une opposition un tant soit peu sérieuse, il pouvait effectivement jouer complètement le jeu de la démocratie. À partir du moment où il y a eu la perspective d’une alternance, les choses sont devenues beaucoup plus compliquées pour lui. Ainsi ressurgissent un certain nombre de vieux démons, une guerre de ce qu’on appelle les “compromates”, c’est-à-dire la divulgation de documents compromettants. Tous les coups sont permis... Cette personnalisation extrême de la compétition politique n’est pas de bon augure», explique Mme Serrano. D’autant plus que ces législatives sont cruciales dans la mesure où des changements dans la Constitution vont accroître les pouvoirs du Parlement et du Premier ministre, et réduire ceux du président en 2013.
Parallèlement, un autre enjeu de ces législatives est l’après-scrutin. «Ce qui me paraît inquiétant, c’est que probablement quels que soient les résultats qui seront annoncés et même quelles que soient les conditions dans lesquelles vont se dérouler le scrutin, il y a fort à parier que les électeurs ne seront pas confiants dans les résultats et donc contesteront son issue. C’est la manifestation d’un manque de confiance vis-à-vis de l’institution électorale, qui peut à court terme déboucher sur une situation de troubles», poursuit la spécialiste du Caucase.

Scandale
Par ailleurs, ces législatives seront influencées par un récent scandale de torture. La révélation, la semaine dernière, de vidéos de scènes de sévices et d’humiliation pratiquées sur des détenus dans une prison de Tbilissi a suscité des manifestations à travers le pays. «Il y a eu une émotion considérable qui s’est manifestée après la diffusion de ces vidéos. Cette émotion n’est pas tant liée au fait que les gens ignoraient ce genre de pratiques. Tout le monde se doutait bien que ce type de procédé est monnaie courante en prison, mais la diffusion des images a eu un effet de divulgation d’un mensonge d’État. Elle a cristallisé un mécontentement diffus de la population qui pouvait s’exprimer sur d’autres points que la politique pénitentiaire», souligne Mme Serrano. Ces vidéos ont pu ainsi rendre possible l’expression publique d’une irritation qui était déjà présente avant leur diffusion.

Russie
Les relations tendues de la Géorgie avec son voisin russe ont aussi été l’un des thèmes majeurs de la campagne, quatre ans après une guerre éclair à l’issue de laquelle Moscou a maintenu des troupes en territoire géorgien. Pendant la campagne, le chef de l’État pro-occidental a accusé son rival de faire le jeu du Kremlin en essayant de déstabiliser le pays. M. Ivanichvili a de son côté reproché à M. Saakachvili d’avoir déclenché la guerre en 2008 en lançant une offensive en Ossétie du Sud, dont la Russie a reconnu l’indépendance après le conflit, ainsi que celle de l’Abkhazie, autre région sécessionniste.
Mme Serrano met cependant en garde contre le seul amalgame Russie versus Occident. «On a beaucoup trop regardé les évolutions politiques internes en Géorgie à travers le prisme géopolitique, comme si en réalité chaque candidat était le poulain d’une superpuissance régionale. Je pense qu’effectivement, il y a eu à un moment donné un engagement très fort des Occidentaux en faveur de Saakachvili, mais c’est beaucoup moins le cas aujourd’hui où tout le monde se méfie énormément de lui. A contrario, je ne pense pas, contrairement à ce que disent les partisans du président géorgien, que Bidzina Ivanichvili soit le candidat de Moscou», souligne la spécialiste du Caucase, estimant que «ni l’un ni l’autre ne jouit d’une confiance importante dans les capitales étrangères».
Depuis la rupture des relations diplomatiques entre la Géorgie et la Russie, le Kremlin refuse tout contact avec M. Saakachvili que Vladimir Poutine, coutumier des expressions paillardes, a un jour menacé de «faire pendre par les couilles». Mme Serrano rappelle d’ailleurs qu’il y a une «vraie focalisation sur la personne même de Saakachvili» en Russie et que «très probablement Moscou serait soulagé s’il n’était plus au pouvoir».

Tensions
Signe des tensions persistantes, des observateurs européens déployés en Géorgie pour surveiller le cessez-le-feu conclu en 2008 ont affirmé que l’armée russe avait renforcé ses activités militaires ce mois-ci en Ossétie du Sud. Pour la spécialiste du Cercec, le calendrier des opérations militaires a clairement été choisi en fonction des élections législatives. «Néanmoins, c’est toujours un peu difficile à interpréter, reconnaît-elle. C’est sûr qu’il y a une pression permanente de Moscou, qui rappelle sa présence en Abkhazie et en Ossétie du Sud, sachant que cette dernière est à une distance très proche de la capitale géorgienne Tbilissi. Moscou a toujours tendance à montrer ses muscles, le problème, c’est qu’il est difficile de comprendre quelle est la rationalité de la politique russe vis-à-vis de la Géorgie et du Caucase en général. On a l’impression que cette politique est extrêmement conjoncturelle, et repose davantage sur du symbolique et de l’émotif, loin d’une politique cohérente avec des objectifs d’État déterminé et assumé», explique Mme Serrano.
Aujourd’hui, tout le monde va suivre avec extrêmement d’attention ce qui va se passer après les élections, «sachant que dans un an, il y a la perspective de la présidentielle et que l’année qui s’ouvre risque d’être d’une très grande instabilité, quel que soit le résultat des législatives», conclu Silvia Serrano.
La Géorgie élit ses députés aujourd’hui lors de législatives où le parti du président Mikheïl Saakachvili affronte une coalition d’opposition dirigée par le milliardaire Bidzina Ivanichvili. Les deux hommes ne se sont fait aucun cadeau au cours d’une campagne lourde de «provocation» et d’«agressivité», selon des observateurs de l’OSCE dans ce pays du Caucase de 4,5...

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