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À La Une - Entretien

Nicolas Hulot à « L’OLJ » : Le Liban ne peut pas ignorer son problème écologique

Le célèbre reporter et animateur français était de passage cette semaine au Liban.

Dans un entretien avec L'Orient-Le Jour, Nicolas Hulot se dit inquiet qu’on ne fasse pas de la préoccupation écologique une priorité. Photo AFP

L’OLJ : Pourquoi pensez-vous que l’écologie a cessé, ces dernières années, d’être au cœur du débat politique ?
Nicolas Hulot : La crise économique et financière a fourni une occasion d’ajourner la préoccupation concernant l’écologie qui, probablement, tétanise beaucoup de gens. La crise écologique remet en cause les fondamentaux du modèle économique dominant dans le monde, qui a fait ses preuves mais a montré des faiblesses aussi. Un modèle mis en cause par la crise écologique parce qu’il se fonde sur une croissance continue des flux de matières et des flux énergétiques. Or on découvre actuellement que l’on bascule dans l’ère de la rareté, qui ne se pilote pas comme l’ère de l’abondance, si tant est que celle-ci ait jamais existé. Cela demande une révision culturelle, un effort et une remise en cause trop importants, ce qui explique pourquoi cette question est mise de côté au moindre prétexte. En même temps, la crise écologique fait l’objet de beaucoup de scepticisme qui, contrairement à ce que l’on pourrait croire, n’a pas complètement disparu. Il a même ressurgi un peu partout sous l’influence de lobbies très puissants, notamment pétroliers, aux États-Unis et ailleurs. Ces lobbies n’ont pas intérêt à ce qu’on réduise la dépendance aux énergies fossiles, alors que les changements climatiques nous y contraignent. Je pense aussi qu’il y a culturellement une sorte de scientisme résiduel, c’est-à-dire l’idée que la science, comme le progrès, est un processus irréversible, qui permettra de trouver des solutions à tout.

Où va-t-on à partir de là ?
Pour l’instant, on ne va nulle part. Ce qui m’effraie, ce n’est pas la crise écologique en elle-même, mais c’est le fait qu’on l’ignore, qu’on ne veut pas la regarder en face. Je pense qu’à l’état actuel, à l’échelle planétaire, il existe des solutions, mais encore faut-il qu’on considère cette crise comme une priorité absolue. J’ai peur qu’on ne franchisse le point d’irréversibilité, quand on laissera des espèces disparaître, des écosystèmes se détruire, quand la rareté fera place à la pénurie et qu’on devra la gérer. L’humanité dans son ensemble a du mal face à la rareté : auparavant, nous entrions en compétition sur le pétrole simplement ; dans l’avenir, nous risquons d’entrer en compétition sur beaucoup d’autres ressources comme l’eau, mais aussi sur des matières premières qui étaient autrefois communes et deviendront rares, ce qu’on appelle aujourd’hui les terres rares. Curieusement, de grands dirigeants, et même de grands intellectuels, sont en train d’occulter ce danger. La crise écologique reste une préoccupation optionnelle, qu’on prend en compte quand on a tout réglé. Or la crise écologique au sens large du terme – raréfaction des ressources, perte de la biodiversité, changements climatiques – est un fait scientifique établi.



Hulot dans la Réserve naturelle du Chouf, lundi 24 septembre 2012.

Mais rien ne change vraiment. Qu’est-ce que le mouvement écologiste doit proposer aujourd’hui ?
Rien ne change sur les grandes tendances. Jusqu’à présent, je me suis battu dans mon propre pays, et dans l’espace européen, pour qu’on essaie d’infléchir ces tendances, par un certain nombre de normes, de règles, de lois, de nouvelle fiscalité... Ce n’est pas suffisant bien entendu. Ce qui fait défaut aujourd’hui dans le monde, c’est la volonté coordonnée. Je me bats pour qu’il y ait une institution, une organisation mondiale qui édicte un certain nombre de règles communes afin que personne ne s’affranchisse de l’effort. Mais je me bats comme un Don Quichotte. Vous avez constaté l’échec de Copenhague (sommet sur le changement climatique en 2009) et de Rio+20 (sommet sur le développement durable qui a eu lieu cette année). Je continue à répandre la vérité scientifique, proposer des solutions économiques, technologiques, etc. dans l’espace européen. Mais je fais ce que je peux avec ce que j’ai. Tant qu’on se bat seul sur ces sujets, tant que les acteurs économiques, politiques et même les citoyens ne sont pas créatifs, on n’y arrivera pas.

Pensez-vous que proposer des solutions à caractère économique pour les problèmes écologiques (comme les changements dans la fiscalité) permettra d’obtenir de meilleurs résultats ?
On ne peut pas ignorer l’économie. Compter seulement sur la société civile, qui crée un grand nombre de solutions et d’initiatives, est important, mais reste insuffisant. Laisser le modèle économique dominant, qui épuise les ressources, sans régulation, sans lois, sans normes, signifiera que tous les efforts déployés par les ONG seront anéantis. Entre le monde économique et les citoyens, il y a le monde politique. Je crois encore à la politique, mais au sens noble du terme. Il faut donc imposer des règles, à l’échelle européenne, mais aussi, si possible, à l’échelle mondiale. L’organisme qui fixe des règles à un niveau international, c’est l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Est-ce normal que le destin de l’humanité soit entre les mains de l’OMC ? La réponse est non. Pourquoi ne pas, alors, créer une organisation mondiale de l’environnement qui fasse le poids politique et juridique face à l’OMC, avec des décisions contraignantes. Une telle organisation pourrait très vite soustraire à la spéculation un certain nombre de biens communs qui ne sont pas des marchandises. On ne peut admettre qu’il y ait aujourd’hui des personnes qui achètent des stocks de maïs juste pour faire monter les cours par exemple. À Copenhague et Rio, aucun chef d’État n’a contesté le changement climatique. Chacun doit donc assurer sa part d’efforts. Je comprends que ce soit plus dur pour les pays émergents et du Sud, voilà pourquoi j’appelle l’Occident à être créatif et partager les processus qu’il met en place. Mais chacun doit assumer la responsabilité à son niveau, en fonction de ses moyens, car tout le monde va pâtir du changement.

 


Le prochain sommet de l’ONU sur le changement climatique aura lieu au Qatar, dans un pays pétrolier, sachant que ces pays sont généralement réticents aux mesures à prendre pour réduire la dépendance aux énergies fossiles. Pensez-vous que ce sommet initiera un changement quelconque? Allez-vous y être ?
Je n’ai pas été à Rio+20, c’était la première fois que je ratais un tel événement. Je ne veux plus cautionner ce qui est de l’ordre des intentions, je veux des actes. En France, j’ai prôné durant des années les petits gestes comme l’utilisation d’ampoules à basse consommation, le tri des déchets... Tout cela est nécessaire mais reste insuffisant. Aujourd’hui, je considère que c’est ce modèle économique néolibéral qu’il faut changer. Je m’adresse à ceux qui sont au cœur de ce système en gardant toute mon indépendance, mais en leur expliquant que la situation n’est pas tenable, que tout risque de s’arrêter à un moment ou à un autre, peut-être brutalement, et qu’il existe d’autres voies. Il faut changer la fiscalité, multiplier les recherches sur des sujets donnés et renoncer à certains procédés. Je n’ai pas encore décidé si je vais me rendre au Qatar ou pas, mais j’ai demandé à la France d’accueillir le sommet en 2015, je n’ai donc pas abandonné cet aspect de la lutte.

Durant votre brève visite au Liban, un pays qui souffre de multiples problèmes écologiques, quelles impressions avez-vous retenues ?
Je ne viens pas en donneur de leçons. Vous avez une histoire particulière qui invite à l’indulgence sur beaucoup de choses. Ce n’est pas pour autant que je pense que le Liban doit s’affranchir d’une vision, d’objectifs et d’un constat. Vous avez vécu une urbanisation très rapide, qui n’a pas forcément tenu compte des critères environnementaux. Je m’aperçois quand même qu’il y a un tissu associatif qui se bat, une société civile qui se mobilise, qui me paraît très isolée, qui manque de reconnaissance des pouvoirs publics et de dialogue. La première priorité est d’établir des passerelles. Il faut que les acteurs politiques, économiques et les ONG se voient régulièrement et engagent un processus de dialogue et de planification. Il y a beaucoup à faire, et le Liban ne peut pas ignorer ce sujet.

 

 

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