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Culture - Table ronde

Le graffiti, art de rue, miroir des villes

Dans le cadre de l’événement White Wall, organisé au Beirut Art Center par la Fondation Saradar, quatre intervenants autour du thème du graffiti.

Nino Azzi, Marianne Bel-Auricombe, Tania Hélou, Melhem Chaoul et Nadim Karam discutant du graffiti, entourés des belles fresques murales au BAC. Photo Michel Sayegh

Maya GHANDOUR HERT

 

White Wall regroupe, on le rappelle, une exposition à l’intérieur du BAC, mais aussi extra muros, sur le périmètre qui l’entoure ainsi que dans divers lieux de la ville où de nombreux graffitis ont été disséminés par les artistes locaux et internationaux participant aux rencontres. Le mérite de cette exposition (outre d’enjoliver divers murs et lieux phares, dont notamment la superbe murale de l’artiste chilien Inti à Hamra ou les gigantesques fresques du côté des gares Charles Hélou et Mar Mikhaël) est de donner un aperçu vivant de ce mouvement artistique né à New York au début des années 70 et qui est rapidement devenu un phénomène mondial. Il est d’ailleurs difficile de parler de mouvement artistique. Il faudrait plutôt parler d’une forme d’art libre, présente sur l’ensemble du territoire urbain. Et d’un art multiple, car englobant différents courants et techniques. C’est, en partie, ce qui ressort de la table ronde menée par Tania Hélou (directrice de la Fondation Saradar) avec Melhem Chaoul, Marianne Bel-Auricombe, Nadim Karam et Nino Azzo comme panélistes d’une table rectangulaire bien installée au milieu des superbes fresques murales (éphémères, hélas) du Beirut Art Center.
Si les interventions allaient dans plusieurs directions sans lien ni transition entre elles, elles ont néanmoins participé à une ébauche de cette forme d’art qui se cherche. Une réflexion de façade, en somme, qui a la vertu toutefois d’ouvrir le débat sur un art qui mérite bien ses galons.
Dans sa présentation, Tania Hélou a indiqué que cette table ronde avait pour but de «décrypter et comprendre le graffiti au Liban et à l’étranger, à travers plusieurs perspectives. Promouvoir et reconnaître le graffiti comme un art à part entière ».
«Alors que le graffiti s’est développé pour devenir une forme artistique reconnue dans le monde, il a de même subi une transformation radicale au fil des années, passant d’un mode d’expression “révolutionnaire” de messages sociopolitiques et relatifs à la guerre à une peinture murale bien élaborée et à la mode », a-t-elle précisé.
Prenant la parole à son tour, Melhem Chaoul, professeur de sociologie, a donné une ébauche du contexte socioculturel libanais qui, bien que partielle, permet de mettre en lumière certains aspects importants de la culture urbaine libanaise.
«Beyrouth est dépositaire de trois traditions culturelles : celle de l’oralité, celle de l’écrit et celle de l’image et de l’icône, a souligné le sociologue. Je vois le graffiti comme une double déconstruction de l’écrit et de l’image, un éclatement de la norme et de la conformité de l’icône et du “khat”. Donc nous sommes face à une nouvelle pratique culturelle qui reflète des nouveaux modes (des antimodes) de sociabilité qui manifestent l’autonomisation croissante d’une culture de la jeunesse. »
Selon Chaoul, Beyrouth a marqué le paysage intellectuel libanais et arabe par un double ancrage : « celui de la pensée oppositionnelle ou subjective élaborée en dehors du monde arabe, notamment celui qui est produit par les milieux oppositionnels et marginaux des espaces urbains occidentaux, et celui de l’hybridation de ce corpus avec de nouvelles formes d’expression endogènes, de nouveaux “langages du présent” en prise avec des problématiques et des interrogations locales ».
Ainsi, Beyrouth est « simultanément le lieu du pouvoir politique, économique, financier et culturel et de l’antipouvoir, de l’opposition aussi bien libanaise qu’arabe au cours de plus d’une période pendant le XXe siècle ».
Les graffitis que le sociologue a eu l’occasion d’observer relèvent, selon lui, de ce double ancrage et de cette hybridation. « On constate d’abord que les lieux, les murs, les espaces où s’inscrivent les graffitis sont situés dans les soubassements des voies de transport qui relient la capitale à ses banlieues. Dans les entrailles de ce que les Libanais appellent notamment des “autoroutes”, la colère et le refus de l’ordre établi s’accumulent dans ces lieux invisibles visibles. »
Le sociologue affirme que «ces formes qui expriment tout à la fois la colère, la déconstruction, le désir de paix malgré la violence marquent un territoire, une identité en contruction, et semblent nous dire : “Attention, à partir de là, les espaces de domination et de normativité se terminent, et c’est le nôtre qui commence” ».
Mais il a finalement reconnu avoir besoin d’une meilleure connaissance des graffiteurs pour mieux appréhender leur art. « Je ne sais au départ comment les concevoir, comme groupe, formel, informel, une école artistique, une secte, une néotribu de nomades peintres urbains qui razzient les murs de la ville et disparaissent le matin?» s’est interrogé Melhem Chaoul.
Marianne Bel-Auricombe, psychologue interculturelle et professeur de français, a fait un mémoire sur la culture hip-hop et l’identité interculturelle. Elle travaille à l’Université de Toulouse II sur des projets internationaux avec le professeur Seraphin Alava, les associations Les militants du savoir, BAM et Faute o graff, porteurs de projets liés aux cultures urbaines et plus particulièrement le graffiti. Bel-Auricombe les a présentés lors de son intervention.
Elle y a ramené les origines du graffiti toulousain au muralisme mexicain et au « boogie down» dont le slogan était « peace, unity, love and having fun ». Ce mouvement était parqué par l’échange et la rencontre, mais aussi par l’innovation et la spontanéité de l’expression urbaine.

La psychologie du tag
«Le graffiti toulousain a connu une grande expansion dans les années 90, a-t-elle noté. À cette époque, pochoirs, couleurs, lettres géantes et personnages font de plus en plus partie des compositions artistiques. Aujourd’hui, ce sont les sociétés de transport qui payent le prix de cette mode, car le graffiti n’est plus un simple cri du cœur pour les jeunes d’aujourd’hui, mais plutôt une course pour marquer son territoire. »
En France, le graffiti est condamné par la loi puisqu’il est considéré comme une «destruction, une dégradation ou une détérioration volontaire d’un bien appartenant à autrui». Les graffiteurs qui sont pris en flagrant délit sont punis d’une contravention (1500 euros ou plus) s’il n’en résulte qu’un dommage léger (ou d’une d’une amende pouvant atteindre 30000 euros et d’une punition pouvant atteindre 2 ans d’emprisonnement dans les autres cas). « Avec ces lois dures, les murs sont redevenus blancs. »
À partir de 2010, le graffiti s’est professionnalisé. Les artistes des années 90 ont « grandi ». Tilt par exemple possède une œuvre exposée au MOMA. Sike a ouvert un magasin d’outils de graffiteurs, Reso anime des ateliers et participe aux rencontres internationales (dont White Wall), et Dran est entré dans le monde de l’art contemporain. Il y a donc une vie après le graffiti.
 Nadim Karam, architecte et artiste qui promène ses « jouets urbains », ses sculptures mobiles ou monumentales, aux quatre coins du globe a parlé de son expérience, et surtout de ses débuts à Paris, où il a passé une année transitoire entre ses études au Japon et son établissement à Beyrouth. C’est en effet dans le métro parisien que Karam a « lancé » sa carrière d’artiste urbain, en collant du papier journal illustré par sa procession d’animaux archaïques sur les murs des stations. Depuis, il s’intéresse au champ expérimental et brouille la limite entre l’art, l’urbanisme et l’architecture, tendant vers un concept plus large : l’art urbain.
Nino Azzi, concepteur et directeur du Art Lounge, Lotus Loft et initiateur de la Foire de la photo à Beyrouth. Précurseur dans son domaine puisqu’il a été le premier au Moyen-Orient à ouvrir un espace comme Art Lounge, un lieu industriel transformé en lieu d’exposition, de concerts, de rencontres... Il est également l’un des premiers à avoir consacré ses cimaises au Street Art, adoptant même le rôle de plateforme artistique de l’art urbain et pop. Il lui a d’ailleurs consacré un ouvrage de référence intitulé Beirut Street Art (2010). Férocement puriste, Azzi a conclu son intervention par un catégorique : « Si le graffiti sort de la rue, il n’appartient alors plus à l’art urbain, il se classe alors dans la catégorie pop ou autre. »
Bien que le graffiti ait gagné ses lettres de noblesse depuis fort longtemps déjà au cœur de certains pays et milieux (dont le milieu artistique), certains réfractaires persistent à vouloir démontrer qu’il s’agit d’un acte illégal.
Pourtant, tout porte à croire que s’il est réalisé dans un contexte légal, le graffiti est un excellent moyen de stimuler la créativité des jeunes et de les pousser à développer leurs talents. Mais il reste finalement, comme l’a si bien noté le sociologique Seraphin Alava présent à Beyrouth, « un miroir de la ville dans lequel il s’inscrit ».

Maya GHANDOUR HERT
 
White Wall regroupe, on le rappelle, une exposition à l’intérieur du BAC, mais aussi extra muros, sur le périmètre qui l’entoure ainsi que dans divers lieux de la ville où de nombreux graffitis ont été disséminés par les artistes locaux et internationaux participant aux rencontres. Le mérite de cette exposition (outre d’enjoliver divers murs et lieux phares,...
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