« Ce plat est un hommage à la Sainte Vierge, c’est elle qui nous a sauvés », lance Tony Tabet, 63 ans. Chaque année, et ce depuis son adolescence, Tony Tabet participe à Bhamdoun (est de Beyrouth), à la préparation de la hrissé de l’Assomption.
« Il y a 250 ans, la région de Bhamdoun a été ravagée par la peste. Beaucoup de personnes sont mortes. À Marjeyoun, au Liban-Sud, la Sainte Vierge est apparue. Elle a demandé aux fidèles de transporter une ancienne icône de l’église de ce village à Bhamdoun. Lorsque l’icône est arrivée à Bhamdoun, la peste y a disparu », raconte M. Tabet. « Quelques mois plus tard, les habitants ont décidé de rendre l’icône à son village d’origine. La peste est tout de suite revenue et ils ont dû la ramener. L’icône est depuis à Bhamdoun et nous préparons la hrissé, chaque 15 août, en guise de remerciement à la Vierge », poursuit le vieil homme.
La hrissé est un plat aussi simple qu’il est long à cuire. Elle est composée essentiellement de viande de mouton et de blé portés à ébullition dans de l’eau, afin d’obtenir un mélange homogène.
Pour cela, la cuisson dure entre 4 et 5 heures, surtout lorsqu’on prépare ce plat pour un grand nombre de personnes et que bouillent dans les marmites la chair de dizaines de moutons...
« J’ai des problèmes de santé, mais lorsque je travaille pour la Sainte Vierge, je ne me fatigue pas », assure M. Tabet, en touillant le contenu d’une marmite à l’aide d’une énorme spatule en bois.
À Bhamdoun, la fête de l’Assomption est un véritable festival qui rassemble tous les habitants, toutes religions confondues. Les deux églises orthodoxe et maronite du village organisent de nombreuses activités pour cette fête afin de rendre hommage à la Sainte Vierge.
Chez les maronites, après la messe, pendant que les hommes s’affairent à la préparation de la hrissé, le père Fadi Tabet enchaîne les hommages chantés à Jésus-Christ, les jeunes sonnent les cloches et les femmes du village vendent des man’ousheh.
Chez les orthodoxes, pendant que les hommes s’affairent eux aussi à la préparation de leur hrissé, les prières se poursuivent même après la messe, alors que sur la place principale les jeunes dansent la dabké et les femmes chantent.
À côté des deux églises, une plate-forme a été construite spécialement pour installer les marmites dans lesquelles la hrissé est préparée.
« Dans ces trois marmites, il y a 34 moutons, soit 800 kilos de viande », explique Georges Matta, en charge de la préparation de la hrissé côté orthodoxe. « Vous allez me demander pourquoi la hrissé, la réponse est simple : le blé est béni par Jésus Christ, c’est un composant essentiel du pain et le mouton est historiquement utilisé pour les sacrifices religieux », poursuit-il.
Un nuage de vapeur recouvre la plate-forme d’où ce dégage l’odeur de la viande cuite. Un fumet qui rappelle aux adultes leur enfance mais qui n’émeut pas plus que ça les enfants, uniquement fascinés par le brasier sous les marmites ou l’énorme spatule en bois.
« Moi je viens de Meziara (Liban-Nord). Je participais à la préparation de la hrissé dans mon village depuis que j’avais 15 ans », raconte Leila, une vieille dame un peu nostalgique. « C’est un plat lourd, plein de cholestérol, mais c’est une tradition », poursuit-elle.
Un avis que partage Tony Tabet : « Moi j’en mange juste un peu pour prendre la bénédiction. »
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