J’appartiens à la génération Hafez el-Assad, à l’instar de tous ceux qui étaient déjà conscients, au début de la guerre civile au Liban, en 1975, du rôle prépondérant joué par le régime syrien, présidé par Hafez el-Assad, au niveau de l’architecture générale de nos peines et nos violences.
C’est une génération entière qui a vécu des deuils et des déracinements, qui a vécu l’instabilité sociale et l’effondrement de l’échelle des valeurs, qui a hérité les plaies de la guerre, qui a travaillé sur elle-même pour surmonter ces plaies sans pour autant obtenir des résultats concluants et prometteurs.
C’est la génération du « va-et-vient entre deux chaises »... Un va-et-vient qui se poursuit en permanence. Cette génération, plus elle s’éloigne de son pays et plus son cœur y reste attaché et opère un retour à ses origines. Cette génération est modeste et prétentieuse à la fois. Elle se réchauffe de peu, parfois d’une simple tonalité au détour d’un appel téléphonique, parfois d’un répit de quelques heures pour assurer un quelconque ravitaillement. Mais dans le même temps, il s’agit là d’une génération qui prétend avoir vécu ce que beaucoup d’autres n’ont pas pu expérimenter, ce qui lui donne au bout du compte une assurance qui frôle l’arrogance et qui l’accompagne jusqu’aux quatre coins du monde.
Cette génération est aussi celle qui a basculé subitement d’une sorte de guerre chaude à une guerre froide à caractère essentiellement intercommunautaire, imposée par les souvenirs et les déboires du conflit passé ainsi que par l’ingénierie du régime de Hafez el-Assad qui s’est employé à maintenir les cloisons entre Libanais.
Ma génération s’est engagée dans un dialogue interne permanent et a participé activement à la réconciliation nationale dans le sillage de ce jour mémorable et glorieux du 14 mars 2005.
Certains concitoyens de ma génération sont demeurés quelque peu « dogmatiques » dans leur lecture et leur perception de la guerre. Ils ont adopté une position de recul par rapport à l’idée maîtresse d’union nationale pour revenir à leurs traditionnelles peurs communautaires. Chacun d’eux raconte à ses enfants sa version de la guerre civile libanaise et ils ne font que transmettre, sans s’en rendre compte, les haines et les peurs d’une génération à l’autre.
Ma génération dans sa majorité n’a pas pu et n’a pas su bâtir un avenir stable pour ses enfants. Elle se pose les mêmes questions qui tracassaient jadis ses parents. À titre d’exemple, elle s’interroge parfois : « Faut-il envoyer les enfants aujourd’hui à l’école ? »
Ma génération a été ballottée d’une guerre à l’autre, et a zappé toutes les chaînes de télévision du monde pour en savoir plus concernant son pays. Elle a acheté à cette fin tous les livres qui ont parlé du Liban.
Eh bien, ma génération assiste en ce moment et dans le contexte présent à l’effondrement du régime qui a été à l’origine de la majorité de ses peines. Devrait-elle avoir peur de cet effondrement pour se laisser entraîner sur la voie du syndrome de Stockholm ? Bien sûr que non... Elle attend patiemment, en espérant fortement que ses enfants aient des jours meilleurs...
Par Farès SOUHAID
Coordinateur général du 14 Mars
C’est une génération entière qui a vécu des deuils et des déracinements, qui a...