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Nos Lecteurs ont la Parole - Opinion

Pourquoi s’acharne-t-on sur notre patrimoine ?

L’Association pour la sauvegarde du patrimoine de Tripolis (ASPT) dont le siège est à Paris ne peut que s’indigner des projets actuellement en cours concernant le patrimoine archéologique.


En effet, la presse annonce quasi quotidiennement des projets de réaménagement et d’urbanisation galopante sur les vestiges d’une histoire millénaire, sans jamais prendre en compte la valeur intrinsèque de ce précieux héritage.
L’exemple de la ville de Tripoli est frappant car il y a, de la part du gouvernement et des autorités publiques, un acharnement sur ses sites historiques. La ville est constituée, d’une part, d’un patrimoine qui menace de s’écrouler, où tous les styles hérités de différentes périodes de l’histoire constituent un héritage architectural inestimable, et, d’autre part, de hideuses constructions en béton qui dénaturent le cœur de la vieille ville.


Comment expliquer que ces bâtisses, qui dénaturent complètement le paysage urbain de cette ville plusieurs fois millénaire et qui empêchent sa classification, n’intéressent pas les investisseurs, et que leur choix ne porte que sur les monuments classés et répertoriés ? Comment expliquer aussi que les sites classés soient encore et toujours des propriétés privées se vendant à très bas prix ? Enfin comment expliquer que ces perpétuels désastres se font toujours avec la connivence du ministère de la Culture, qui accorde les autorisations aux acquéreurs pour démolir un monument classé, acheté très bon marché, et le remplacer par un immeuble en béton armé souvent de style architectural médiocre, car s’agissant du centre économique de la ville, les exigences sont de fait économiques et loin de l’esthétisme.


Une soixantaine d’années se sont écoulées depuis la crue du fleuve Abou Ali, qui avait emporté la plupart des maisons bordant le fleuve et représentant le paysage architectural de la vieille ville. Les rives du fleuve ressemblaient d’une façon frappante à ce que nous pouvons voir actuellement à Porto Vecchio, à Florence, en Italie. Cet événement a déclenché de multiples catastrophes commises par les architectes et les politiciens de l’époque, qui n’ont pas mesuré la valeur de ce patrimoine unique. Ce qui est inadmissible, c’est que la ville a été petit à petit dépouillée de ses plus précieux vestiges. Celui dont se souviennent encore les Tripolitains, avec beaucoup d’amertume, est le Grand Sérail qui occupait l’immense place d’el-Tall et qui était un véritable joyau architectural de style ottoman. Personne ne peut dire pourquoi il a été démoli. À la place, un plancher sablonneux occupe cette grande place orpheline. Et les exemples sont nombreux, puisqu’il s’agit d’une ville entière construite par les différents conquérants, à des périodes fortes de l’histoire glorieuse de la deuxième ville du Liban, célèbre « city of all Eras » (Trablos koul al-oussour). Nous ne nous attarderons pas à les citer, car l’heure n’est pas aux regrets, mais à essayer de sauver ce qui reste.


Si l’on croit ce qui est cité quotidiennement dans la presse sur les intentions du ministre de la Culture, concernant les nouveaux projets en cours d’étude, notre patrimoine est en péril. Après la catastrophe du théâtre Inja (1886), qui a secoué la société tripolitaine en 2011, et la transformation qu’a subie le fleuve Abou Ali, qui a séché, il s’agirait aujourd’hui de transformer la Foire internationale de Tripoli, chef-d’œuvre de l’architecte brésilien Oscar Niemeyer, en parc d’attractions, de démanteler les façades plusieurs fois centenaires du Khan el-Askar, de laisser s’effriter les uns après les autres les murs des immeubles vétustes, sans compter le projet qui menace actuellement la Vallée sainte, dernier havre de paix au Liban, dont l’eau des fontes des neiges alimente les nappes phréatiques de la ville de Tripoli.
Nulle part au monde de tels événements auraient pu se produire. Le Liban est le seul pays où l’on démolit les vestiges, où l’on démantèle les sites, enterre les fleuves, pille les façades des monuments, réduit le potentiel architectural, transforme le cachet des paysages, et où l’on bâtardise l’architecture.


La sauvegarde du patrimoine nous concerne tous. Les vestiges archéologiques ne doivent être la propriété de personne d’autre que l’État. Leur préservation est une nécessité absolue, car c’est le trésor national d’un pays qui ne compte surtout que sur le secteur du tourisme. Le Liban est riche d’histoire, et sa richesse patrimoniale est la preuve d’un passé ô combien glorieux. C’est notre mémoire collective, et elle est féconde, pourquoi s’acharne-t-on à nous l’enlever ?


Cessons de faire l’autruche. Chaque citoyen est concerné par ce patrimoine et doit être informé du devenir de ses vestiges, des moyens déployés pour le sauvegarder. Défendre son patrimoine est un droit et un devoir. Il y va du développement du pays et de sa survie. Que nous restera-t-il lorsque tout sera détruit ? L’exemple de l’hippodrome romain de Wadi Bou Jmil montre bien que le sol libanais regorge de vestiges non encore effleurés et qu’il est essentiel de les préserver en l’état et ne jamais les sacrifier au profit de constructions modernes dont la ville de Beyrouth abonde. Il s’agit donc de comprendre l’incompréhensible. Pourquoi doit-on construire sur des vestiges d’une telle importance ? Pourquoi le ministre de la Culture s’obstine-t-il à autoriser un tel drame, se mettant à dos toute la société civile à qui on enlève, sans raison valable, un trésor archéologique inestimable ?


Pour faire cesser ces catastrophes, un comité de vigilance est né à Paris, à l’initiative de l’Association pour la sauvegarde du patrimoine de Tripolis, association loi 1901. Ce comité est constitué d’un comité d’honneur regroupant des personnalités françaises et libanaises, des intellectuels, des écrivains, artistes et penseurs, militants, journalistes et défenseurs du patrimoine. L’objectif de ce comité est de surveiller les projets en cours, d’en référer aux organismes de sauvegarde du patrimoine, tels que l’Unesco, avec qui des accords de coopération sont en cours.


Le but est d’essayer de stopper toute initiative visant à dénaturer de quelque façon que ce soit le paysage libanais, en particulier dans la ville de Tripoli. Sait-on jamais, peut-être arriverons-nous un jour à préserver ce qui reste et à contribuer au développement authentique de notre cher pays, bassin des civilisations antiques et inventeur de l’alphabet !

Joumana CHAHAL TIMERY
Présidente de l’Association
pour la sauvegarde du
patrimoine de Tripolis

L’Association pour la sauvegarde du patrimoine de Tripolis (ASPT) dont le siège est à Paris ne peut que s’indigner des projets actuellement en cours concernant le patrimoine archéologique.
En effet, la presse annonce quasi quotidiennement des projets de réaménagement et d’urbanisation galopante sur les vestiges d’une histoire millénaire, sans jamais prendre en compte la valeur...
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