Rechercher
Rechercher

Nos Lecteurs ont la Parole - Échos de l’agora

La délivrance au bout du calvaire

D’Antoine Courban
Dans une récente intervention sur Radio-Vatican, reprise par La Stampa le 01/03/2012, Mgr Mario Zenari, nonce apostolique à Damas, a commenté les événements tragiques dont il est témoin en Syrie. La déclaration du prélat, mesurée et sage, est avant tout courageuse car elle ne se laisse pas aller à l’état de panique qui semble saisir les magistères et les hiérarchies des différentes Églises du Levant. Le discours de Mgr Zenari se distingue par une douleur à peine contenue, quoique évoquée avec pudeur, face aux souffrances de l’être humain dans cette Syrie qui est une anthologie de l’histoire des civilisations et des religions. Le grand mérite du prélat romain est de lire l’actualité à travers les « signes des temps », selon les termes consacrés par la théologie.
On ne rencontre pas une seule fois les vocables de « révolution » ou « printemps arabe » ou toute autre formulation de nature politique dans les propos du prélat, consignés par Giacomo Galeazzi. Il préfère dire que le peuple de Syrie vit depuis plus de 11 mois une période de carême qui, à l’heure actuelle, semble parvenue au « temps de la Passion ». Derrière ces métaphores langagières, se profile un présupposé, un constat non dit, mais criant de vérité : celui de la volonté d’un peuple qui accepte librement les privations d’un carême ainsi que les souffrances d’une passion qui le mènent vers un calvaire inévitable, ultime étape avant la résurrection dans la fraîcheur d’un dimanche de Pâques.
Ce qui autorise le prélat à se livrer à une telle lecture singulière, c’est le spectacle des enfants des villes syriennes devenus victimes de la violence et de la cruauté. Mgr Zenari se fait l’écho du nombre de 500 enfants, rapporté par l’Unicef, victimes innocentes de ces violences. Il ne peut s’empêcher de rapporter le massacre d’une famille de 17 personnes dont un bébé de 10 mois. Ils furent tous sortis de leur domicile, alignés le long d’un mur et fusillés. Quelques jours auparavant, un gamin qui participait aux obsèques d’une fillette aurait été sciemment abattu selon les dires du prélat. Comment ne pas évoquer le souvenir du terroriste russe du XIXe siècle Yvan Kalyayev, chargé de tuer le Grand-Duc Serge de Russie. Après des journées entières de traque, il se trouva enfin face au carrosse de sa victime. Mais le Grand-Duc était accompagné de son épouse et de deux enfants. Le tueur renonça à son projet car il était un activiste politique et non un vulgaire assassin.
Ce qui se passe aujourd’hui en Syrie n’a plus rien de politique. Pour la première fois dans l’histoire, nous assistons en temps réel à toute l’horreur de la barbarie. Nous voyons directement tout ce dont l’homme est capable contre un autre homme. Ce qui jadis demeurait caché et meublait quelques livres d’histoire ou les récits douloureux de souvenirs que les générations se transmettaient devient aujourd’hui image et bande sonore vécues en direct. Nous voyons les chairs pantelantes, sanglantes. Nous ne sentons pas l’odeur de putréfaction et de pestilence qui s’en dégage. Nous regardons ces corps d’enfants, de femmes, d’hommes jeunes et moins jeunes, désarticulés et qui ont subi de toute évidence d’atroces supplices. Néanmoins, au-delà de l’horreur et de la pestilence, l’observateur averti demeure surpris par l’expression des visages de nombreux cadavres, surtout ceux des enfants. Leur dépouille nous parle au milieu des plaies béantes, des corps éviscérés, des membres désarticulés ou manquants. Au-delà de ce que nous voyons et de la puanteur de ce qui doit se sentir ; au milieu des miasmes fétides de la putréfaction, on ne peut s’empêcher d’être médusé par le caractère lisse des traits des visages où le rictus des rigidités cadavériques est peu perceptible. Malgré les paupières closes pour l’éternité, ces visages d’êtres humains qui ont tant souffert semblent contempler sereinement ce monde agité et sanglant.
Toute cette horreur indique combien le bourreau est hors de lui : Il rue, il tue, il torture, il ricane, il bave de haine, il se vautre dans les chairs sanglantes de nourrissons, il dépèce les corps, les écorche, les débite en morceaux, leur fait éclater la cervelle. Il jouit d’un orgasme interminable à voir ces visages effrayés, tremblants de peur, avant de les achever. Mais le même bourreau est, en même temps, aveugle. Il est incapable de voir sur les visages de ses victimes mortes cette paix infinie, cette douce sérénité, ces traits apaisés, ce sourire ébauché que leur confère la touche de grâce qui les recueille. En dépit de la plongée dans l’horreur, au milieu d’un tel spectacle insoutenable, ces cadavres d’enfants dont le visage dégage une douceur infinie disent combien l’homme est somptueux, clament et proclament silencieusement que l’homme est sacré. C’est pourquoi le « temps de la Passion », dont parle le nonce apostolique à Damas, ne pourra pas s’éterniser, l’aube du dimanche de Pâques est au bout du tunnel. Ce temps de la Passion est-il un temps de grâce ?
En replaçant la tragédie syrienne dans le cadre d’un temps liturgique, Mgr Mario Zenari a corrigé le tir et lavé, en quelque sorte, l’honneur des chrétientés orientales dont les autorités de juridiction ont négligé d’effectuer la même lecture symbolique, alors que ces Églises vont incessamment célébrer la semaine de la Passion ainsi que Pâques selon les calendriers grégorien et julien. C’est comme si toutes les cérémonies liturgiques qu’elles vont organiser, et qui chantent avec éclat cette somptuosité et cette sacralité de la chair humaine, ne semblent plus faire sens à leurs yeux. Fascinées par la force du pouvoir, ces juridictions ne sont plus en mesure de remplir leur rôle premier de gardiens de l’éminente dignité de la personne humaine.
Dans une récente intervention sur Radio-Vatican, reprise par La Stampa le 01/03/2012, Mgr Mario Zenari, nonce apostolique à Damas, a commenté les événements tragiques dont il est témoin en Syrie. La déclaration du prélat, mesurée et sage, est avant tout courageuse car elle ne se laisse pas aller à l’état de panique qui semble saisir les magistères et les hiérarchies des...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut