Ce n’est pas seulement de l’absence d’un État de droit que souffre le Liban, mais d’une véritable culture de la corruption admise comme une tare génétique contre laquelle on serait impuissant. Ce fléau est certes inlassablement dénoncé, non seulement par les médias et la société civile, mais par la classe politique qui en est le principal responsable. Népotisme, clientélisme, enrichissement illicite, détournement de fonds publics, achats de voix : nos politiciens n’hésitent pas à se lancer à la figure des accusations qui pourraient s’appliquer à eux-mêmes. Champion toutes catégories dans ce registre, le bouillant général Aoun a été récemment jusqu’à accuser ses adversaires politiques d’être des escrocs et de former une association de malfaiteurs ! Dénonciations qui lui ont évidemment valu les répliques cinglantes du 14 Mars. Notamment du leader des Forces libanaises, qui a jugé « extrêmement regrettable que le camp qui, depuis vingt ans, n’a cessé de dénoncer la corruption, se soit avéré être le plus corrompu de l’histoire du Liban, après avoir assumé un certain nombre de ministères sensibles ». Mais ces rodomontades masquent mal une certaine complicité entre gens du pouvoir qui s’entendent comme larrons en foire pour piller les deniers de l’État et se couvrir mutuellement. Il est de notoriété publique que plusieurs des plus hauts responsables politiques, à commencer par certains des membres passés ou présents de la troïka, figurent en tête de liste des personnes soupçonnées de corruption ;
ou, ce qui n’est pas moins répréhensible, des corrupteurs. Mais toute accusation portée contre un de ces hauts personnages étant perçue comme visant sa communauté à travers lui, il n’est pas étonnant qu’aucun homme politique n’ait été traduit en justice dans l’histoire du Liban. Et qu’il soit difficile de sanctionner des fonctionnaires malhonnêtes quand le mauvais exemple vient d’en haut. N’émanant pas de parties prenantes au système, autrement plus crédibles sont les dénonciations par les médias et la société civile des cas corruptions. Lesquels semblent s’être multipliés dernièrement. Il ne se passe pas en effet de semaine sans que les médias ne dévoilent de nouveaux « scandales ». À part l’affaire du juge Ghassan Rabah, citons entre autres : les constructions illicites sur le domaine public couvertes par l’État dans l’État du Hezbollah, les révélations concernant ses sources de financement à travers un réseau de blanchiment de l’argent de la drogue dans lequel était impliquée la Banque libano-canadienne, l’absence de transparence relative aux 11 milliards de dollars de dépenses publiques effectuées entre 2006 et 2011 par les gouvernements contrôlés par le 14 Mars, le scandale du mazout rouge acheté à prix subventionné et vendu au prix fort, la découverte d’énormes quantités de produits alimentaires périmés et avariés menaçant la santé des citoyens, l’adjudication de certains services dans le secteur de l’électricité à des firmes dont l’allégeance politique directe va au ministre de l’Énergie, au double du prix que ces services coûtaient à l’État, l’abandon du projet de recours à des centrales éclectiques flottantes, après qu’il se fut avéré que de meilleures offres existaient, des prix inférieurs de plusieurs centaines de millions de dollars à ceux que ce même ministre avait retenus...
Ces cas parmi d’autres montrent la profondeur du mal qui ronge le pays avec des effets dévastateurs sur l’économie, l’environnement, le développement durable et la qualité de vie. Sans compter l’incidence de la mauvaise notation du Liban en matière de corruption sur sa capacité à attirer les investissements étrangers. C’est ainsi qu’il a été classé 134e sur 183 pays au niveau mondial et 13e sur 17 pays de la région Moyen-Orient et Afrique du Nord (MENA) selon l’indice de perception de la corruption 2011 élaboré par Transparency International (TI). Le chapitre libanais de cette ONG, la Lebanese Transparency Association (LTA), a pour mission la lutte contre la corruption, et la promotion des principes de transparence et de bonne gouvernance au niveau local. Depuis sa fondation en 1999, elle a organisé plusieurs colloques et publié un nombre impressionnant de rapports et de recommandations dans ce but, parmi lesquels deux ont un caractère exhaustif : « Vers une stratégie nationale anticorruption » et le rapport 2011 sur le « Système national d’intégrité ». Le premier conclut que l’absence de bonne gouvernance est étroitement liée au régime de démocratie consensuelle basé sur le partage des pouvoirs entre les communautés religieuses. Ce, en dépit de l’existence, contrairement aux autres États arabes, d’institutions démocratiques devant en principe assurer le fonctionnement d’un État de droit. Et le second couvre les 17 institutions et secteurs qui forment les piliers du système politique du pays, parmi lesquels figurent en premier lieu les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, l’administration publique et les partis politiques. Il préconise des réformes spécifiques à chaque « pilier » et d’ordre général dont : la ratification de la Convention des Nations unies contre la corruption (Uncac), la création d’un organisme national de lutte contre la corruption, la promulgation d’un règlement concernant l’accès à l’information et la défense des dénonciateurs des cas de corruption, la réforme de la loi électorale... Mais en l’absence de volonté politique et d’un système judiciaire indépendant, les recommandations de l’association et des autres acteurs concernés, y compris l’Association des parlementaires arabes contre la corruption (Arpac), sont malheureusement restées lettre morte. Et les dénonciations par les médias des scandales de corruption n’ont pas l’air d’émouvoir outre mesure nos responsables. Sans préconiser un soulèvement du type « printemps arabe », au vu de l’expérience de nos voisins, il est évident que seule une plus forte mobilisation citoyenne et non partisane pour faire pression sur les dirigeants est en mesure de provoquer un changement. Et les organisations de la société civile sont les mieux placées pour cela. D’où la décision de notre association de ne plus se cantonner dans un rôle de plaidoyer mais de rallier le plus grand nombre de citoyens, en particulier les jeunes, autour de cette cause, dont la première étape est le lancement d’une campagne sur le thème : « Il est temps de nous réveiller ».
commentaires (6)
L'humour n'a pas de prix, il vous aide a remedier au stress relie a tout ce qui constitue la vie quotidienne du Libanais moyen qui, des qu'il ouvre les yeux de bon matin doit faire face a une journee de pollution, d'embouteillages, de cherete de vie plus que galopante, de corruption un peu partout et j'en passe, alors jouir d'une bonne comedie a la tele ou d'un receuil d'histoires legeres (je recommande P.D. Wodehouse) ou encore se regaler du sens de l'humour de M. Malek ou M. Hakim est a mon avis un remede absolument indispensable a l'esprit. Et la je note que M. Kamel Jaber s'est arrete dans cette voie, apres qq. essais pourtant tres prometteurs. J'en profite aussi pour remercier M. Dominique Talaat qui a si bien ironise il y a qq. jours que "Le Hezbollah s'etait rendu coupable de semer la terreur chez les poissons", commentaire venu a temps, juste avant que les Americains n'accusent ce parti de toutes les miseres du monde!
Fady Challita
13 h 31, le 30 mars 2012