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Nos Lecteurs ont la Parole

Aujourd’hui tortionnaires syriens. Et demain ?...

Un jour d’été des années 1980, à Lattaquié, deux jeunes Syriens, un sunnite et un alaouite, admiraient la voiture de Rifaat el-Assad pendant que les agents des « moukhabarat » (services secrets syriens) veillaient. Les deux jeunes gens ont été tout de suite arrêtés. Leur crime était d’avoir osé rêver ou admirer le véhicule. Le jeune sunnite a été torturé tandis que l’alaouite a reçu une simple admonestation. Le jeune alaouite était le fils du meilleur ami de mon père. Il m’a avoué que son appartenance à la confession alaouite lui avait épargné les pires traitements. Ma mère, à son accoutumée, l’a interrogé d’une manière indirecte sur l’état incertain de son ami et sur le risque qu’il ait été torturé. En guise de réponse elle eut droit à un hochement de tête affirmatif.
Au fil des quatre décennies du règne de la famille Assad, un grand système de torture a été développé en Syrie, où les fonctions de tortionnaires sont monnayées par l’État. Que deviendront-ils, ces bourreaux, après la chute du régime ? Seront-ils appelés à d’autres fonctions ? Prendront-ils leur retraite dorée à Paris, à Marbella, à Londres ou à Madrid, à l’instar de Rifaat el-Assad, qui mène un train de vie royal en Europe, ses biens immobiliers et financiers lui accordant un titre de persona grata ? Un titre qui masque un passé macabre et un nom qui rappelle des massacres (bagne de Palmyre, Alep, etc.), en particulier celui de Hama en 1982, où des milliers de personnes (environ 30 000) ont été tuées, des maisons et monuments historiques rasés, au nom de la stabilité de la patrie. Les tortionnaires syriens auront-ils l’outrecuidance de proclamer leur loyauté à la cause palestinienne et au caduc nationalisme arabe ? Continueront-ils à dénoncer les terroristes étrangers ?
Maher el-Assad, frère de Bachar el-Assad, symbole de la sanglante répression de la révolte en Syrie (2011-2012), rejoindra-t-il son oncle ? La similitude entre l’histoire du père (Hafez) et celle de l’oncle (Rifaat), entre celle de Maher et celle Bachar, est désagréablement fascinante. Rifaat el-Assad, « le boucher de Hama », chef des Brigades de défense, a étouffé la timide révolte (environ 300 combattants) à Hama. Maher, le chef de la Garde républicaine, tente de son mieux d’éradiquer l’opposition des citoyens syriens. Son échec ou sa réussite changera sûrement l’image de la Syrie.
L’histoire de ces frères amis et rivaux recèle tous les ingrédients d’une tragédie à la grecque, où le roi Bachar ne s’abreuve que du sang de son peuple. Le malheur de l’opposition syrienne, qui ne se résigne plus à être dépouillée de son humanité par un système dictatorial, s’écrit d’ores et déjà dans le sang. Les tortionnaires d’aujourd’hui et les profiteurs (les voyous et affidés) du système syrien organisent des référendums sur l’importance de protéger leurs acquis et d’annihiler toute opposition, quels que soient les moyens. Leur idéologie se résume à garder le pouvoir coûte que coûte. La torture s’avère un outil inévitable pour le régime et ses complices. Et le terrorisme étatique devient un produit incontournable et vital pour la survie d’un régime autocratique. L’esprit de clan guide leur politique et banalise les pratiques de la torture.
Plusieurs familles syriennes, palestiniennes, irakiennes, kurdes, jordaniennes et libanaises exigent que justice soit faite au nom de leurs chers disparus, victimes des tortionnaires du régime. Hélas, la justice est myope quand les tortionnaires d’hier se déguiseront en bons citoyens ou en repentis de guerre.
L’exemple de l’Algérie s’impose puisque les malfaiteurs et les bourreaux de guerre ont été amnistiés à la fin des deux guerres qui ont ravagé l’Algérie. Les familles algériennes témoigneront pour des années à venir leur désillusion de la France, pays de la Révolution et de la devise « Liberté, égalité, fraternité », ancien colonisateur de l’Algérie (1830-1962) et leur État-nation pendant la guerre civile (1992-2005). Le souvenir des tortures perpétrées par ses hommes (Paul Aussaresses, les paras français, le général Massu, Papon, etc) entre 1954 et 1962 est omniprésente dans l’histoire collective des Algériens et des citoyens français. Les délits et crimes liés à la guerre d’Algérie ont été amnistiés pour l’essentiel dès la signature des accords d’Évian, le 18 mars 1962.
En outre, les familles algériennes victimes de la guerre civile qui s’est abattue sur leur pays n’oublieront jamais le jour où les bourreaux d’hier sont devenus les repentis d’aujourd’hui. Leur amnistie en 2005 par l’État prouve encore une fois que la justice est sélective. L’impunité des criminels et de tortionnaires de guerre n’est que monnaie courante dans notre monde qui mène une guerre sans merci contre le terrorisme depuis septembre 2001 – « War on Terrorism », terme employé par l’administration de George W. Bush et supprimé, suppose-t-on, par Obama, fermant ainsi les yeux et se bouchant les oreilles devant les crimes d’État.
Le crime le plus honteux demeure le traitement de plusieurs prisonniers, des présumés terroristes, arrêtés par les gouvernements américain, britannique et canadien, et envoyés en Syrie (Maher Arar), (pratique connue sous le nom anglais de rendition), sachant que ce pays exerçait la torture.
Du Maghreb au Mashreq, la kyrielle de dictateurs et de tortionnaires est longue.
Cette histoire n’est pas inédite puisque plusieurs tortionnaires et criminels de guerre (terrorisme d’État) se faisaient récompenser pour leurs crimes. Ariel Sharon a été nommé Premier ministre d’Israël après un passé jalonné d’actes terroristes dont le massacre de Qibya en 1953, les massacres de Sabra et Chatila en 1982, et d’autres crimes contre le peuple palestinien et les droits de l’homme.
Rifaat el-Assad, Maher el-Assad et Ariel Sharon, trois hommes militaires sans scrupules, responsables de plusieurs massacres, ont été honorés pour leur intégrité et leur amour de la patrie. Quelle niaiserie ! Leurs crimes ont été récompensés par des promotions au sein du gouvernement, bien que Rifaat ait été forcé de vivre (copieusement) en exil, par son frère Hafez el-Assad, qui a échappé au coup d’État ourdi par Rifaat.
La question lancinante porte sur le sort des tortionnaires et/ou des terroristes d’État. Que deviendront-ils, ces hommes et ces femmes, après la chute du régime ?

Dr Samira FARHOUD
St. Thomas University
Fredericton, New Brunswick
Canada, E3B 2N5
Un jour d’été des années 1980, à Lattaquié, deux jeunes Syriens, un sunnite et un alaouite, admiraient la voiture de Rifaat el-Assad pendant que les agents des « moukhabarat » (services secrets syriens) veillaient. Les deux jeunes gens ont été tout de suite arrêtés. Leur crime était d’avoir osé rêver ou admirer le véhicule. Le jeune sunnite a été torturé tandis...

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