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Réviser les accords libano-syriens pour délégaliser l’ingérence, par Nassib Lahoud

Nous reproduisons ici une tribune publiée par Nassib Lahoud, président du Renouveau démocratique, dans notre supplément "Liban-Syrie 2010 : la fin d'un malentendu?" datant d'août 2010.

Nassib Lahoud. Archives/Photo AFP

La rectification des relations libano-syriennes constitue l’un des plus importants défis à relever et représente un intérêt vital pour les deux pays. Les Libanais, leur gouvernement et leurs forces politiques ne recherchent ni la quasi-rupture et les tensions qui ont marqué les cinq dernières années, ni la tutelle syrienne exercée au cours des quinze précédentes. Seules des relations normales, d’Etat souverain à Etat souverain, peuvent former un socle commun qui répond aux intérêts légitimes des deux pays et des deux peuples.

 

La visite effectuée à Damas par le Président de la République Michel Sleiman au début de son mandat a constitué un point de départ positif pour la rectification des relations. Le communiqué conjoint publié alors a énuméré la plupart des points d’achoppement entre les deux pays et établi des mécanismes pour en traiter certains, en premier lieu l’établissement des relations diplomatiques. L’échange d’ambassadeurs entre les deux Etats a marqué un tournant majeur salué par les Libanais, qui y voyaient la réalisation de l’une de leurs plus anciennes revendications.

Après l’établissement des relations diplomatiques, la révision des traités, accords et conventions signés par les deux pays revêt une importance capitale. C’est là le principal indicateur de la maturité et de la véracité du virage syrien en faveur de nouvelles relations avec le Liban. Le communiqué présidentiel conjoint semble en principe aller dans ce sens, en mentionnant la « révision des accords bilatéraux en vigueur entre les deux pays, de manière objective et partant de convictions communes en phase avec les développements dans les relations bilatérales et l’intérêt des deux peuples ».

 

En réponse à la demande du Conseil des ministres d’exprimer des remarques et des recommandations concernant ces accords, nous avons proposé au sein du Renouveau démocratique, en collaboration avec plusieurs experts, un document remis au gouvernement en novembre 2008. Les conclusions de ce mémorandum constituent la base des positions que nous avons défendues, et que nous défendons aujourd’hui, à l’égard des relations avec la Syrie, les critères qui doivent les régir durant cette phase de transition, ainsi que les visites des responsables libanais à Damas.

 

Le traité pilier de « fraternité, de coopération et de coordination » entre le Liban et la Syrie s’appuie sur des principes acceptables de relations entre Etats indépendants : la coopération et la coordination. En revanche, son contenu et son application ont souvent pris des formes contradictoires avec les principes généraux, en créant des relations de complémentarité horizontale et verticale, allant au delà de la coopération, de la coordination et des mécanismes de travail commun entre Etats souverains. En effet, malgré la mention du respect des « normes constitutionnelles de chaque pays », le texte outrepasse les prérogatives du parlement et du gouvernement libanais, le rôle des ministères, les lois en vigueur au Liban ainsi que les pouvoirs des différentes institutions. Le traité place ces prérogatives entre les mains du « Conseil supérieur » composé d’une partie syrienne dirigée par un président de la république aux pouvoirs quasi-absolus, et d’une partie libanaise certes dirigée par un président de la république, mais dont les pouvoirs sont bien plus limités, contingents à ceux du conseil des ministres et balancés par une participation substantielle des présidents de la chambre et du gouvernement. Ce déséquilibre permet dès le départ à la Syrie de présenter au sein du Conseil supérieur une décision unique et cohérente, face à une position libanaise éparse, sujette aux aléas des relations et des rapports de force entre les institutions libanaises.

D’autre part, le traité comporte des textes non équilibrés et des obligations non mutuelles, particulièrement dans le domaine de la sécurité et de la défense. Il convient également de réviser certains accords équilibrés dans la forme, mais qui ont donné lieu à des déséquilibres marqués lors de leur application, vu le rapport de force qui a gouverné les relations libano-syriennes entre 1991 et 2005.

 

Il est donc essentiel de réexaminer le traité pilier dans son ensemble, ainsi que les accords et conventions qui en ont découlé, afin de rééquilibrer leur teneur. Ce rééquilibrage, dicté par l’intérêt national et rendu possible par le droit international, est la pierre angulaire de la rectification plus globale des relations entre les deux pays.

 

I. Les principes généraux régissant les relations entre Etats indépendants

a. Tout accord bilatéral doit respecter la légalité internationale, ne contrevenant à aucun principe des Nations Unies et des règles du droit international. L’article 53 du droit des traités internationaux considère « nul tout traité qui, au moment de sa conclusion, est en conflit avec une norme impérative du droit international général ».

b. Les relations libano-syriennes doivent respecter toutes les conventions internationales qui établissent clairement les principes de non ingérence et d’« égalité de souveraineté », du respect de l’indépendance politique et de l’unité territoriale de chaque pays et du non recours à la violence.

c. La seule évocation de ces principes ne suffit pas pour rééquilibrer ces traités. Il revient au pays lésé de dénoncer tout contenu inéquitable ou illégal, et à la seconde partie de répondre à ces requêtes en toute bonne foi et dans un esprit de coopération et d’amitié.

 

II. Le traité pilier : Le Traité de fraternité, de coopération et de coordination de 1991

a. L’objectif annoncé par ce traité est l’établissement d’une coopération et d’une coordination à tous les niveaux. Cet objectif ne doit donc pas aboutir à une complémentarité, voire une intégration entre les deux pays.

b. Si la première section du traité (la déclaration de principes) respecte l’objectif annoncé, les structures et les mécanismes de mise en œuvre présentés dans la deuxième section dépassent le cadre de la coopération et de la coordination. Cette section établit une structure de complémentarité qui inclut aussi bien l’élaboration de visions communes, de mécanismes d’application et d’outils de suivi.

c. De nombreux articles sont devenus caducs, dont l’article 4 qui concerne « le redéploiement des forces syriennes, et la définition des relations de ces forces avec les autorités de l’Etat libanais dans leurs lieux de stationnement ». Cet article doit être supprimé suite au retrait syrien du Liban en 2005.

d. L’article 5 sur la coordination de la politique étrangère, arabe et internationale entre les deux Etats est clairement remis en cause par de nombreux actes syriens pour lesquels la coordination avec le Liban est exclue, que ce soit au niveau des relations syro-iraniennes ou des négociations indirectes avec Israël.

e. D’un point de vue constitutionnel, la composition du Conseil supérieur syro-libanais, régi par l’article 6 du traité, est en conflit avec le principe de séparation des pouvoirs législatif et exécutif. Le conseil supérieur est constitué des chefs des deux Etats, des présidents et vice-présidents des conseils des ministres et des présidents des chambres. Il n’existe aucune justification de la présence des trois présidences au sein du Conseil supérieur. Ce dernier est-il un conseil législatif supérieur ou un conseil exécutif supérieur ?

f. Les prérogatives de ce Conseil sont également ambiguës. D’une part il est dit que ces décisions sont obligatoires et entrent illico en vigueur, alors que le texte affirme par ailleurs que les décisions sont prises conformément aux règles constitutionnelles de chacun des pays.

g. Un « secrétariat général du Conseil supérieur » a été créé, chargé du suivi de l’application du traité. Selon les conventions de Vienne sur les relations diplomatiques et consulaires, l’établissement de relations diplomatiques et l’échange d’ambassadeurs entre le Liban et la Syrie recouvrent largement les missions relevant initialement du secrétariat général. L’attachement injustifié au maintien de cette institution outrepasse le rôle des ministères des Affaires étrangères des deux pays.

 

III. L’Accord de sécurité et de défense

Il convient de remettre en question cet accord qui contrevient aux fondements de la souveraineté et de l’indépendance libanaise.

a. Cet accord charge le comité de défense et de sécurité, composé des ministres de la Défense et de l’Intérieur des deux pays, du « maintien de la sécurité des deux Etats et de proposer des plans communs pour faire face à toute agression » et demande aux « commandements des armées et des services de sécurité d’appliquer et de superviser la mise en œuvre des programmes établis par le comité de défense et de sécurité ». Or quelle est la base juridique d’une telle demande, non sujette à l’autorisation préalable du Conseil des ministres qui est la seule partie constitutionnellement habilitée à donner de tels ordres aux institutions militaires ? De plus, le Liban a effectivement subi des agressions israéliennes successives en 1993, 1996, 1999 et 2006, sans que ce comité ne se réunisse ou prenne quelconque mesure. Quel est donc l’intérêt de son maintien ?

b. L’accord dispose que « les services militaires et de sécurité de chacun des deux pays prennent toutes les mesures nécessaires pour interdire toute activité, action ou organisation, dans tous les domaines militaires, sécuritaires, politiques et médiatiques, de nature à nuire ou à causer du tort à l’autre pays ». De ce fait, toute organisation politique, tout média, risque l’interdiction. Comment cette interdiction s’intègre-t-elle dans le corpus juridique et les principes constitutionnels libanais ? Qui est compétent pour identifier la nuisance ou le tort causés à l’autre pays ?

c. L’accord préconise des réunions régulières entre les ministres de la Défense et de l’Intérieur des deux pays et des services qui y sont rattachés, afin d’aboutir à une vision commune des risques potentiels, voire à la mise en place de services communs. Cette disposition suggère une notion de complémentarité de vision, de structure et de modes d’application, qui va au-delà des principes de coopération et de coordination.

d. De plus, la partie syrienne a annoncé en avril 2005 l’exécution de toutes ses obligations au regard de la résolution 1559, en retirant tous ses services et forces militaires du Liban. Ce retrait et cette annonce signifient qu’il n’incombe plus à la Syrie aucun rôle sécuritaire au Liban, et imposent de fait une nouvelle réalité à laquelle l’accord de défense et de sécurité ne s’applique plus.

 

IV. Les autres accords

Il convient de regrouper les autres accords en trois catégories :

a. Une série d’accords dont il faut clarifier ou rectifier certaines dispositions, par exemple :

• « L’accord de coopération et de coordination économique et sociale », qui préconise la liberté de circulation des citoyens libanais et syriens entre les deux pays, la liberté de travail, d’emploi, d’installation et d’exercice des diverses activités économiques et professionnelles.

• « Le comité de suivi et de coordination syro-libanais », qui a décidé lors de sa réunion des 11 et 12 octobre 1999 la liberté d’échange des produits agricoles.

Or ces domaines sont régis par des limitations diverses de par le droit libanais. Le Liban est-il effectivement disposé à la libéralisation totale de ces activités, notamment la main d’œuvre et la production agricole ? Est-ce dans son intérêt national ? Il est donc clair que ces accords nécessitent une révision radicale.

b. Une série d’accords dont il faut examiner la bonne application. Les associations économiques libanaises ont présenté plusieurs rapports sur l’application de ces accords et ont réclamé des garanties d’équité et de justice. Parmi lesquels, celui de l’Association des Industriels Libanais du 30 août 2000 qui comporte des exemples d’obstacles pratiques à ces principes, à travers les pratiques administratives syriennes complexes, la restriction du droit d’importation aux organisations du secteur public et l’exclusion de certains produits du principe de libre-échange, etc. De même, plusieurs textes tels que l’accord sur l’enseignement supérieur et l’accord judiciaire sont critiquables au niveau de leur application et non de leur contenu.

c. Les accords de partage de l’eau (le Nahr al-Kabir al-Janoubi et l’Oronte) qui nécessitent une révision technique approfondie pour assurer l’équilibre des droits et devoirs de chaque Etat.

 

V. Conclusions et recommandations

La révision du traité pilier et des accords subséquents est essentielle, pour de nombreuses raisons, parmi lesquelles :

• La longue période de 19 ans qui s’est écoulée depuis la signature du traité de 1991 a été le théâtre de soubresauts et de changements fondamentaux.

• La plupart des accords bilatéraux parle de coopération et de coordination à travers « les lois et règles de chacun des pays ». Cela signifie que ces lois et règles souveraines sont le critère fondamental pour valider ou amender les accords.

• Ainsi, la partie libanaise – représentée par le Conseil des ministres – se doit d’adopter un mécanisme pratique et un calendrier de révision des accords, au regard des lois et règles libanaises en vigueur. La partie syrienne devra alors discuter les requêtes libanaises en fonction de ses propres lois et règles en vigueur.

 

Quel que soit le mécanisme adopté, la révision devra comporter les éléments suivants :

• La préséance des relations diplomatiques sur toute autre forme de relations, étant donné qu’elles constituent le cadre régulateur des liens entre Etats souverains.

• L’examen de la nécessité du maintien du Conseil supérieur en parallèle aux relations diplomatiques. Et au cas où ce Conseil est maintenu, la révocation ou l’amendement des articles et paragraphes qui octroient à ses décisions un caractère obligatoire dépassant les pouvoirs législatif et exécutif des deux pays.

• La révocation de tous les textes rendus caducs par les événements et ceux en conflit avec la Constitution, le droit libanais et le droit international, notamment dans les domaines de la sécurité, de la défense et de la politique étrangère.

• L’adoption de tous les amendements de nature à éliminer le concept de complémentarité, qui ne peut être mis en application entre deux régimes politiques et économiques tellement différents ; et de ce fait, l’élimination des imbrications structurelles créées par le traité et les accords subséquents entre les parties libanaise et syrienne.

• L’amendement des accords dont la mise en œuvre s’est avérée déséquilibrée malgré des textes apparemment équitables et des engagements linguistiquement mutuels. Il convient ici de consulter les représentants des différents secteurs concernés par ces accords.

 

Au vu de tous ces éléments, nous avons proposé au Conseil des ministres de former trois commissions de révision spécialisées :

• La première chargée de la révision du traité de fraternité, de coopération et de coordination, ainsi que de l’accord de sécurité et de défense ;

• La seconde chargée des accords socioéconomiques, en partenariat avec les parties prenantes ;

• Une commission technique chargée des accords de partage de l’eau conformément au droit international et aux données hydrauliques et géographiques.

 

En attendant la mise en place de ce processus, il convient de recourir en cas de besoin à une coordination entre ministères, à condition que cela se fasse hors des mécanismes, comités et canaux du Conseil supérieur et de son secrétariat général. Une coordination fondée sur des ententes bilatérales que chaque partie applique de son côté ; le Conseil des ministres demeurant seul habilité à prendre des décisions en ce sens et à superviser ces actions de coordination.

 

En conclusion, la volonté politique demeure le principal ingrédient pour un rééquilibrage réussi des relations entre les deux pays. Cette volonté ne peut être dictée par la pression internationale et doit provenir d’une conviction profonde que l’indépendance et la souveraineté du Liban constituent un intérêt stratégique pour la Syrie. Les nouveaux accords signés par la délégation ministérielle libanaise dirigée par le Premier ministre Saad Hariri le 17 juillet dernier vont dans la bonne direction ; ils ouvrent même de nouveaux horizons, mais sont loin d’être suffisants. Jusqu’à présent, les conventions et les accords les plus épineux (le traité pilier, la sécurité, l’eau…) ne sont toujours pas à l’ordre du jour des discussions. De plus, les responsables syriens ont précisément tenu à réitérer leur attachement aux structures les plus controversées, à savoir le Secrétariat général du conseil supérieur ou le comité de sécurité et de défense, dans leur forme actuelle, sans signe concret d’ouverture à une éventuelle révision de leur rôle. Il est donc clair que le Liban doit impérativement renforcer sa position de négociation ; cela certes ne saurait se faire sans un consensus libanais sur les priorités des discussions avec Damas, dépassant les clivages politiques et fondé sur l’intérêt national réel du pays. Dans l'attente d'un tel consensus, et dans un esprit mutuel d'ouverture et de bonne foi, il faudra surtout éviter tout retour vers le statu quo ante qui a prévalu entre 1990 et 2005.

La rectification des relations libano-syriennes constitue l’un des plus importants défis à relever et représente un intérêt vital pour les deux pays. Les Libanais, leur gouvernement et leurs forces politiques ne recherchent ni la quasi-rupture et les tensions qui ont marqué les cinq dernières années, ni la tutelle syrienne exercée au cours des quinze précédentes. Seules des relations...
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