Le dossier de l’électricité s’est ajouté hier, d’une manière nouvelle, aux deux premiers. En effet, le général Michel Aoun a affirmé à l’issue de la réunion hebdomadaire de son bloc parlementaire qu’il comptait demander aux abonnés qui s’acquittent de leurs factures de descendre dans la rue et de manifester. Il n’a pas donné de précision sur l’heure, ni sur le parcours de la marche à laquelle il compte appeler.
Parallèlement, Michel Aoun s’en est pris au chef de l’État, auquel il a reproché de se faire une popularité à son compte, en débauchant les ministres qui font partie de son bloc ou de son camp et en les attirant vers ses propres vues.
Cet appel et ces reproches exigent quelques commentaires. Pourquoi Michel Aoun n’appelle-t-il que les payeurs à manifester, sinon pour se démarquer de tous ceux qui, depuis quelques semaines, sévissent sur les routes, pour protester contre les coupures de courant.
Il semble que les milieux du CPL, qui voient là une campagne orchestrée contre le ministre de l’Énergie, Gebran Bassil, aient décidé de contre-attaquer, sur le même mode, afin de se démarquer de ceux qui ne s’acquittent pas de leurs factures, au nombre desquels figurent des forces qui lui sont alliées. Encore un signe de la dislocation d’une coalition qui, comme le gouvernement, semble tirer sur sa fin.
Autorité de régulation
Les dissensions politiques provoquées par la distribution du courant électrique n’ont pas empêché hier le chef du gouvernement, Nagib Mikati, de présider la réunion de la commission interministérielle chargée de mettre au point la loi portant création d’une autorité de régulation pour le secteur énergétique (loi 462). Un nouveau délai a été accordé à la commission pour examiner les amendements qu’y a introduits le ministre de l’Énergie, Gebran Bassil.
On sait qu’outre le ministre de l’Énergie, la commission comprend les ministres de la Santé, des Finances, du Développement administratif, du Travail, de la Justice et de l’Économie.
Par ailleurs, en réponse au ministre de l’Énergie, qui a lié l’amélioration de la distribution du courant à l’achèvement de la ligne de haute tension (220 kilovolts) passant par Mansourieh, et reliant les centrales du Sud au réseau du Mont-Liban, les habitants de cette localité ont redit hier que ce projet « ne passera pas » et que M. Bassil ne devrait pas perdre son temps à affirmer le contraire. Les habitants proposent, comme alternative, la pose de câbles souterrains au niveau de la sous-station de Bsalim, qui reçoit aussi des lignes de haute tension provenant de Zahrani, de manière à les rediriger, à travers le réseau routier, vers la sous-station de Mekallès, puis vers Aramoun. « Si cette solution avait été retenue en mars dernier, à votre installation au ministère, le problème aurait déjà été réglé », affirme un communiqué signé au nom des parents d’élèves de Tilal Aïn Saadé, Aïn Najem, Beit-Méry, Aylout et Daychounieh, et adressé à M. Bassil. Le communiqué ajoute que leur refus n’est pas exceptionnel et que toutes les populations de régions où passent des câbles de haute tension auraient réagi de même.
La présidence
Par ailleurs, c’est une leçon d’histoire où lui-même et le CPL tiennent le beau rôle que le général Michel Aoun a asséné à l’opinion, au cours du point de presse qui a suivi la réunion hebdomadaire de son bloc parlementaire. Partant de l’idée que l’on cherche à disloquer le pouvoir – entreprise dont il se dit innocent –, Michel Aoun a affirmé que son mouvement et ses alliés ont réussi à faire échec successivement aux tentatives de déloger Émile Lahoud de Baabda, de pousser les communautés libanaises à s’entre-tuer (but de la guerre de 2006, selon lui), de pousser les Libanais et les Palestiniens à se battre (Nahr el-Bared), de provoquer des affrontements entre sunnites et chiites (5 mai et le réseau téléphonique du Hezbollah). Puis ce fut l’accord de Doha dont l’objectif véritable, selon Michel Aoun, se basant sur Wikileaks était de l’écarter de la présidence. « Mais ce qui compte pour moi, et je l’ai déjà dit, c’est la République et non la présidence de la République », a-t-il lancé.
Coût du rajustement
Signalons par ailleurs que le ministre des Finances, Mohammad Safadi, a achevé hier l’étude du coût estimatif du rajustement des traitements et salaires dans le secteur public. Ce chiffre s’élève à 1 000 milliards de livres et s’ajoutera au déficit du budget pour 2012, qui s’élèvera donc à 6 247 milliards de livres, soit un dépassement de 29,66 % .
Ce déficit ne sera pas comblé ou partiellement compensé par des recettes, a précisé M. Safadi, le gouvernement – contrairement à l’avis du Premier ministre – ayant refusé d’imposer de nouvelles taxes à la population, notamment d’entériner le fameux relèvement de 10 à 12 % de la TVA.
Ceci étant, M. Safadi estime que ce surcroît de charges salariales devrait peut-être se compenser par des réductions des dépenses.
Le ministre des Finances a assuré que le projet de budget sera avalisé par le gouvernement d’ici à un mois, tout en rappelant que cet aval doit être précédé de la légalisation des dépenses de 11 milliards de dollars effectuées sans l’aval du Parlement par les gouvernements précédents, sur base du douzième provisoire, du fait de la crise ayant entraîné la paralysie des institutions et la fermeture du Parlement.
« Je ne dis pas que ces dépenses sont injustifiées, mais n’ayant pas été approuvées par le Parlement, elles n’étaient pas légales », a dit M. Safadi, qui trouve inutile aussi de lier à la légalisation de ces dépenses, qui pourrait prendre du temps, le vote d’une rallonge budgétaire de 8 900 milliards de livres au budget de 2005, le dernier à avoir été régulièrement voté, pour pouvoir financer le budget de 2012.
Les deux électricités opposées de la comédie du gouvernement et de la tragédie du peuple se rencontrent, et l'étincelle qui en jaillit, c'est le drame. Antoine Sabbagha
09 h 46, le 25 janvier 2012