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Le conflit irano-occidental : une guerre des mots qui risque de déraper - Golfe

Le conflit irano-occidental : une guerre des mots qui risque de déraper

Des experts estiment que les menaces de l’Iran de fermer le détroit d’Ormuz ne sont qu’ « une guerre de communication » visant à « dissuader » les États-Unis et leurs alliés de soutenir de nouvelles sanctions liées à son programme nucléaire.

Téhéran a achevé la semaine dernière de larges manœuvres militaires dans le golfe Arabo-Persique, comprenant, entre autres, des opérations pour lancer des mines antinavires et anti-sous-marins, ainsi que des missiles à courte et moyenne portée. Jamajamonline/Ebrahim Noroozi/AFP

La troisième guerre du Golfe aura-t-elle lieu ? En effet, tous les ingrédients pour un conflit armé semblent prêts, alimentant une tension croissante entre l’Iran d’une part et les pays occidentaux d’autre part.
Téhéran a achevé la semaine dernière de larges manœuvres militaires dans le golfe Arabo-Persique. Ces dix jours d’exercices au large des côtes iraniennes comprenaient, entre autres, des opérations pour lancer des mines antinavires et anti-sous-marins, ainsi que des missiles à courte et moyenne portée.
Et pour alimenter encore plus la tension, le régime de mollahs a choisi de relancer le dossier nucléaire sur le devant de la scène. Ainsi, l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) a confirmé le début de l’enrichissement d’uranium à 20 % dans son nouveau site situé sous terre, à Fordo (près de la ville de Qom).
En outre, la justice iranienne a lancé un nouveau défi aux États-Unis en condamnant à mort un Américano-Iranien. Ancien marine de 28 ans né aux États-Unis d’une famille iranienne, Amir Mirzaï Hekmati a été « reconnu coupable de collaboration avec un pays hostile et espionnage pour la CIA », selon l’agence iranienne Fars.
L’arrestation de Hakmati est considérée par le régime comme un succès du contre-espionnage iranien dans le domaine du renseignement. À cela s’ajoute la capture d’un drone américain, « RQ-170 Sentinel », ultrasecret, le 4 décembre dernier, un remarquable exploit pour les Iraniens.

Guerre des mots
Parallèlement à cet étalage de force sur le terrain, la guerre des mots entre les Iraniens et les Occidentaux fait rage. L’amiral Ali Fadavi, chef des forces navales du corps des gardiens de la révolution, a déclaré que de nouveaux exercices en mer auraient lieu en février. Ils concerneront cette fois directement le détroit d’Ormuz, un des passages les plus stratégiques de la planète par lequel transite près de 40 % du trafic maritime pétrolier mondial. « Aujourd’hui, la République islamique d’Iran domine totalement la région et y contrôle la totalité des mouvements », a déclaré l’amiral Fadavi, cité par l’agence de presse Fars. Ces déclarations interviennent après celle du premier vice-président iranien Mohammad Reza Rahimi qui a prévenu fin décembre que son pays n’hésiterait pas à fermer le détroit d’Ormuz si les pays occidentaux mettaient à exécution leurs menaces de nouvelles sanctions contre l’Iran. « Fermer le détroit est très facile pour les forces armées iraniennes (...). Il est complètement sous (notre) contrôle (...). (Le fermer), c’est comme boire un verre d’eau, comme on dit en persan », a déclaré pour sa part l’amiral Habibollah Sayyari.
Enfin, le président iranien Mahmoud Ahmadinejad, qui a achevé la semaine dernière une tournée durant laquelle il a obtenu le soutien de quatre pays alliés d’Amérique latine à son programme nucléaire, a assuré que son peuple résisterait aux pressions de plus en plus vives de l’Occident.
Les Occidentaux n’ont pas tardé à réagir. « Le monde entier se mobilisera » contre la fermeture du détroit d’Ormuz, a lancé ce week-end le Premier ministre britannique David Cameron, en visite officielle en Arabie saoudite. Selon le New York Times, l’administration américaine aurait fait parvenir, par un canal secret, le même avertissement à l’Ayatollah Ali Khamenei, guide suprême de la République islamique. Avant cela, le secrétaire américain à la Défense avait déjà déclaré que la fermeture du détroit d’Ormuz par Téhéran serait une « ligne rouge » à ne pas franchir. Une mise en garde similaire est venue du ministère français des Affaires étrangères qui s’est empressé d’affirmer lui aussi que « le détroit d’Ormuz est un détroit international. En conséquence, tous les navires, quel que soit leur pavillon, bénéficient du droit de passage en transit, conformément à la Convention des Nations unies sur le droit de la mer, adoptée en 1982, et au droit international coutumier de la mer ».
Ces tensions ont suivi la promulgation fin décembre par le président américain d’une loi de financement du Pentagone qui renforce les sanctions contre le secteur financier de l’Iran, notamment la Banque centrale, alors que l’Union européenne s’apprête à étrangler financièrement Téhéran en frappant son secteur pétrolier d’un embargo.

La capacité militaire de l’Iran
Malgré ce branle-bas de combat, il est peu probable que l’Iran parte en guerre contre les États-Unis, estiment plusieurs analystes, sachant que ce n’est pas la première fois que Téhéran profère de telles menaces.
Pour Thierry Coville, chercheur spécialiste de l’Iran à l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS), « l’Iran n’a pas les capacités militaires de fermer complètement le détroit. Mais les Iraniens ont une capacité de nuisance. Ils peuvent perturber le passage des tankers. Même la simple annonce qu’ils sont prêts à perturber le trafic maritime aura un impact négatif sur le marché pétrolier ».
« Même si les Iraniens ont la capacité d’intercepter les pétroliers traversant le détroit d’Ormuz, ils ne pourront pas fermer totalement le passage », ajoute Alireza Nader, un spécialiste iranien du centre de réflexion américain RAND. En agitant la menace de fermer le détroit d’Ormuz, « Téhéran espère décourager les États-Unis et leurs alliés européens de soutenir de nouvelles sanctions liées à son programme nucléaire controversé », estime-t-il.
« C’est une guerre de communication. Les Iraniens veulent rappeler que eux aussi ont des armes et qu’ils peuvent en user », tempère également Thierry Coville. « Ils tentent de montrer qu’il y a des limites que l’Occident ne doit pas dépasser, ajoute-t-il, surtout que le régime iranien a encaissé plusieurs coups durs récemment. »
Ces menaces ne seraient donc qu’une réaction verbale au projet d’embargo sur le pétrole iranien que défendent depuis plusieurs semaines l’UE et les États-Unis. Les Américains, eux aussi, se sont efforcés de relativiser le risque d’une guerre. « C’est une nouvelle tentative de détourner l’attention du vrai problème, qui est le non-respect continuel de la part de l’Iran de ses obligations internationales en matière de nucléaire », a ainsi commenté le porte-parole du département d’État Mark Toner.

Risques de dérapage
En effet, la fermeture du détroit d’Ormuz, même pour une courte période, pourrait entraîner des conséquences catastrophiques sur l’économie mondiale. Toutefois, les premiers à souffrir seraient les Iraniens eux-mêmes, car ils ne pourront plus exporter leurs ressources énergétiques, estiment plusieurs observateurs.
« Ni les Iraniens ni les Américains veulent un conflit armé », assure M. Nader. « Mais le problème, c’est que la tension est devenue si forte qu’il y a largement la place pour de mauvais calculs de part et d’autre. Téhéran agite cette menace comme un moyen de dissuasion, mais si cela allait trop loin, le pays pourrait se retrouver emporté dans une guerre », ajoute-t-il.
Or, pour Thierry Coville, «quand l’Occident parle d’embargo sur le brut iranien, il vise le cœur du système économique iranien qui dépend à plus de 80 % des recettes du pétrole. L’Iran peut très bien considérer cette décision comme une déclaration de guerre ».

Campagne préélectorale
Ces accrocs interviennent deux mois avant des élections législatives qui seront le premier scrutin depuis la réélection contestée de Mahmoud Ahmadinejad à la présidence en juin 2009. « Les manœuvres militaires ainsi que les menaces proférées par le régime visent à montrer la force des autorités iraniennes. Il s’agit d’un message destiné à la population, d’une part, et aux hautes sphères du pouvoir divisées entre elles, d’autre part », explique par ailleurs M. Nader.
« Il est plus facile au régime de parler du programme nucléaire que d’aborder les autres problèmes comme la hausse de prix, le chômage, etc. », ajoute M. Coville. Selon lui, « l’Occident joue le jeu du régime qui justifie ainsi la souffrance des Iraniens par les sanctions internationales, alors que le gouvernement, lui, résiste aux pressions ».
2012 est également une année électorale aux États-Unis et en France. Confrontés à des difficultés sur le plan interne, Barack Obama et Nicolas Sarkozy veulent eux aussi jouer la carte de l’apaisement. Aucun des deux dirigeants ne peut se permettre une nouvelle guerre avant les élections présidentielles, ce que le régime iranien sait pertinemment.

Embrasement régional ?
Reste enfin le danger d’un embrasement régional. Ce risque existe-t-il ? Avec l’arrivée au pouvoir dans différents pays arabes des gouvernements islamistes, une crainte d’une radicalisation des deux cotés du golfe Arabo-Persique se précise. La dynamique du printemps arabe a en effet favorisé la montée du sunnisme politique radical qui s’oppose farouchement au chiisme iranien. Dans ce contexte, les dirigeants des monarchies du Golfe ont appelé en décembre dernier l’Iran à cesser ses « ingérences » dans les affaires intérieures de leurs pays et ses tentatives de provoquer un « conflit confessionnel », au terme de leur sommet annuel à Riyad. De plus, les États-Unis et l’Arabie saoudite ont signé un contrat de vente de 84 chasseurs-bombardiers F-15 et de modernisation de 70 autres appareils. Mais Thierry Coville reste très nuancé concernant un conflit généralisé. « Les conflits sunnito-chiites sont instrumentalisés politiquement. Il est pratique de designer un méchant comme l’Iran, l’Occident peut en profiter pour vendre de grands contrats d’armements aux pays du Golfe », affirme-t-il.
Alireza Nader estime de son coté qu’une frappe de l’État hébreu n’est pas à exclure dans ce contexte. « Une attaque israélienne contre les sites nucléaires iraniens pourrait bien déclencher une guerre à grande échelle, incluant les États-Unis », ajoute-t-il. « Les Américains et leurs alliés doivent donner du temps aux sanctions pour qu’elles puissent donner l’effet escompté, surtout que l’Iran y semble de plus en plus vulnérable », conclut-il.
La troisième guerre du Golfe aura-t-elle lieu ? En effet, tous les ingrédients pour un conflit armé semblent prêts, alimentant une tension croissante entre l’Iran d’une part et les pays occidentaux d’autre part.Téhéran a achevé la semaine dernière de larges manœuvres militaires dans le golfe Arabo-Persique. Ces dix jours d’exercices au large des côtes iraniennes...